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Aux frontières de l’humain - Forum des images

Comment l’humanité cohabite(ra)-t-elle avec le règne animal, végétal ou robotique ?
Aux frontières de l’humain - Forum des images

« Le mariage de la raison et du cauchemar qui a dominé le XXe siècle a donné naissance à un monde de plus en plus ambigu. Dans le paysage des communications, se déplacent les spectres de technologies sinistres et les rêves que l’argent peut acheter. [...] Pour documenter les plaisirs troubles de ce paradis glauque, le rôle de la science-fiction s’est de plus en plus imposé. Compte tenu de cet immense continent de possibilités, peu de littératures semblent mieux équipées pour traiter de leur sujet. Aucune autre forme de fiction ne possède le vocabulaire et les images nécessaires pour traiter du présent, et encore moins de l’avenir. »


C’est par ces mots que l’écrivain J.G. Ballard introduisait, en 1974, son roman choc Crash – œuvre controversée, plus tard adaptée au cinéma par David Cronenberg – dans laquelle un narrateur, rescapé d’un accident de voiture, développe une fascination érotique pour la tôle froissée. Une quête troublante, charnelle, sensuelle, vers une impossible fusion entre l’homme et la machine. En préambule de son roman, Ballard formulait une intuition forte, qui guidera toute son œuvre : « Dès le début, lorsque je me suis tourné vers la science-fiction, j’étais convaincu que le futur était une meilleure clé du présent que le passé. » C’est précisément vers ces contrées ballardiennes que nous entraîne aujourd’hui le Forum des images à Paris, avec une programmation inédite qui nous conduit aux frontières du vivant, pour sonder les limites mouvantes de notre humanité grâce au grand pouvoir de la (science-)fiction.


Entre métamorphoses profondes et inquiétantes anticipations, ce cycle thématique, véritable « guide de survie au XXIe siècle », interroge notre notion même d’humanité, dans ce qu’elle a de plus poreux et de plus transformable. Que devient la réalité, lorsque le virtuel dépasse son horizon ? Que reste-t-il de l’homme lorsque l’intelligence artificielle s’empare de nos usages ? Que devient la notion d’espèce, à l’heure des hybridations biologiques et technologiques ? À travers ces questions, c’est un mythe ancien, celui de Galatée, qui se réactualise – une statue rendue vivante, non plus sculptée dans le marbre, mais modelée dans les circuits, les lignes de code ou les mutations. Grâce à une programmation riche et transversale, le Forum des images explore cette question brûlante sous tous ses aspects – technologiques, biologiques et écologiques – et à travers tous les médiums – cinéma, jeux vidéo ou bande dessinée.


Au cœur de cet événement, l’exposition L’animal est nous, conçue par Juliette « Antigone » Cordesse, nous invite, par l’aquarelle, à revisiter notre lien au vivant. En écho, la carte blanche confiée à Thomas Cailley, réalisateur du Règne animal, interroge les devenirs inter-espèces à travers une sélection de films éclectiques, traversant les époques pour mieux dialoguer avec notre présent. Enfin, une rencontre entre Thomas Cailley et le bédéaste Jérémie Moreau (Alyte), animée par le critique et enseignant Gabriel Bortzmeyer, viendra prolonger ces réflexions.


À l’image de la pensée de Ballard, cette programmation – qui se déroulera du 7 mai au 6 juillet 2025 – nous invite à repenser la figure humaine non comme une entité fixe et immuable, mais comme une forme en perpétuelle transformation, à réévaluer à l’aune du monde qu’elle habite, avec, pour boussole, l’art et la fiction. Petit tour d’horizon de la sélection concoctée avec soin par le Forum des Images, à découvrir et à redécouvrir. Retrouvez la programmation détaillée de l’événement juste ici !


Par Camille Mathieu.

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Crash

Après un grave accident de la route, James Ballard s’enfonce dans une fascination morbide pour les blessures et les collisions. Dans sa quête d’émotions fortes, il découvre bientôt l’existence d’une sous-culture de marginaux obsédés par le ballet de la tôle froissée, des plaies ouvertes, du verre brisé et des corps projetés sur l’asphalte. En adaptant le roman éponyme de J.G. Ballard publié en 1973, David Cronenberg met les mains dans le moteur pour décortiquer les liens étranges entre érotisme et technologie, entre la chair blessée et le métal froissé. Une exploration aux confins d’un fétichisme extrême, où pulsion de vie et de mort se mêlent jusqu’à l’extase. Véritable défi à sa mise en scène, Crash vaudra au cinéaste le prix du Jury, à Cannes, en 1996, et scandalisera la croisette sur son passage. Longtemps controversé, aujourd’hui unanimement salué, Crash s’est imposé comme un sommet d’érotisme macabre, où l’avidité du désir ne trouve d’exutoire que dans la violence du choc, le fracas des corps et des machines. Attachez vos ceintures, ici, la jouissance ne naît que de l’impact.

Par Camille Mathieu.

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A.I. Intelligence artificielle

À sa huitième minute, A.I. Intelligence artificielle nous présente les futurs « parents » du héros David, dans un hôpital où leur fils biologique, Martin, est conservé dans un état végétatif. Monica, la mère, lit un conte de fées à son enfant, maintenu dans une sorte de caisson glacial, tandis que le père, Henry, est interpellé par un docteur qui s’inquiète de l’état de santé de Monica et de son refus de faire son deuil. Nous devinons que la grande pièce de cet hôpital est réservée aux enfants dans le coma, car ses murs sont décorés d’illustrations issues de contes célèbres. Pourtant, le conte devant lequel Henry et le docteur s’arrêtent pour discuter longuement n’est pas des plus connus : il s’agit des Habits neufs du Grand-duc d’Hans Christian Andersen. C’est l’histoire de deux escrocs se faisant passer pour des tailleurs et qui promettent à un duc richissime de l’habiller avec le costume le plus beau et le plus cher ; une pièce à l’étoffe si exquise que seuls les esprits les plus raffinés pourront voir et en admirer la beauté. Le choix de ce conte précis s’accorde évidemment à l’une des thématiques du film qui est celle du regard porté sur l’autre et sur la « réalité » que l’on concède. Mais ce choix fascine, rétrospectivement, par sa concordance avec l’accueil désastreux qu’a connu le film. Car s’il fallait démontrer comment l’intelligence au cinéma n’est concédée qu’à des films qui s’habillent avec certaines étoffes (pré-vendues par des tailleurs escrocs), A.I. Intelligence artificielle serait un cas d’école.

Film complexe et d’une rare érudition, élaboré par deux des plus grands cinéastes de l’histoire, l’œuvre a été accueillie, au mieux, comme une fantaisie pré-pubère, au pire comme le sujet riche et grave d’un auteur décédé, transformé en sucrerie de parc d’attraction. En détruisant méthodiquement toutes les illusions portées sur notre humanité (du moins son insignifiance au regard de l’Espace et du Temps), A.I. Intelligence artificielle invite son spectateur à se confronter au manque de sens, et donc par rebond, à repartir en quête de sens. C’est en cela qu’il constitue peut-être le film le plus désespéré et le plus dur qu’Hollywood ait produit au XXIe siècle, au-delà des illusions, c’est la raison véritable de son terrible échec public et critique.


Par Rafik Djoumi.

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Akira

A-KI-RA. TET-SU-O. KA-NE-DA. Trois syllabes à prononcer en hurlant qui retentissent comme autant de bombes. L’analogie n’est pas innocente. Akira sous toutes ses formes est bien l’incarnation d’une explosion. Du manga lancé en 1982 à la sortie en salle du film d’animation dans nos contrées en 1991, l’œuvre de Katsuhiro Otomo a produit une déflagration dans toutes les sphères artistiques et industrielles qu’elle a touchées. L’écho se fait même encore ressentir aujourd’hui tant l’impact fut puissant. La densité de son récit est immense, presque palpable tant Otomo réussit à y toucher l’universel du bout des doigts. Et au-delà de sa force narrative et de sa complexité affolante, Akira a tout simplement redéfini les bases du manga pour adultes (Seinen) en faisant évoluer son style graphique, avec l’assurance du maître qui s’ignore. Ouvertement cinématographique dans sa mise en espace et ses cadrages, véritable leçon pour story-boarder débutant, le trait d’Otomo parvient à joindre la précision du détail anatomique à la description minutieuse de l’architecture futuriste de la ville. Mieux, il fait vivre une vitesse inédite dans ses planches, une vitesse qui semble habiter son Neo-Tokyo de 2019. 2019 décidément, année maîtresse pour la science-fiction et notamment pour le cyberpunk, puisque l’unique Blade Runner de Ridley Scott y situe également son action, dans un Los Angeles futuriste aux allures d’un nouveau Tokyo...


Par Ludovic Gottigny, Romain Dubois et Malik Djamel-Amazigh Houha.

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Jason et les argonautes

C’est, avec Le Septième Voyage de Sinbad, l’autre grand chef-d’œuvre de Ray Harryhausen... Depuis sa sortie en 1963, Jason et les Argonautes n’a jamais perdu de son pouvoir de fascination, principalement grâce au bestiaire monstrueux convoqué par ce génie des effets spéciaux optiques et de l’animation image par image. Le réalisateur, qui avait déjà épaté les foules avec le duel entre son héros et un squelette dans Le Septième Voyage de Sinbad, se fixe ici un défi jamais surpassé depuis : animer et incruster sept squelettes qui vont, en même temps, affronter Jason et ses hommes. C’est à la fois le tour de force de Jason et les Argonautes et l’une des séquences qui créera le plus de vocations dans toute l’Histoire du cinéma.


Par Julien Dupuy.

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La Mouche

Rares sont les chefs-d’œuvre de la trempe de La Mouche de David Cronenberg. D’une part, parce que le genre horrifique est si exigeant qu’il n’excuse pas vraiment la demi-mesure. D’autre part parce qu’il existe finalement très peu de films d’horreur qui se revendiquent comme tel, sans pour autant négliger la puissance psychologique, émotionnelle et même tragique du récit qu’ils mettent en scène. Comme L’Exorciste et Alien, le huitième passager avant lui, La Mouche marque donc une date incontournable du cinéma d’horreur. « Il y a quelque chose de plus universel dans La Mouche, qui traite du vieillissement et de la mort, quelque chose qui concerne absolument tous les êtres humains. » disait Cronenberg. Cette universalité, c’est précisément ce qui permet à La Mouche de toucher les spectateurs encore aujourd’hui. On reconnaît souvent à David Cronenberg d’être le chantre du body horror, ce mouvement gore qui questionne la chair humaine. Mais dans son cinéma, du moins celui de l’époque de La Mouche, la chair n’est rien sans l’esprit et le cœur ne fonctionne pas sans le cerveau.


Par Stéphane Moïssakis.

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Pacific Rim

En convoquant le kaiju eiga et les univers mecha au cœur d’une œuvre mythologiquement cohérente, rappelant le tout premier Star Wars, Pacific Rim reste toujours le grand rendez-vous manqué des années 2010 en ce qui concerne la réception commerciale des blockbusters par le grand public. Refusant le postmodernisme, Guillermo del Toro demandait aux spectateurs d’adhérer à son maelström de robots, de monstres et de couleurs. Au cœur de ce spectacle multitexturé, le vrai climax se situe lors de l’affrontement nocturne entre le Jaeger Gipsy Danger et le kaiju Otachi. Sur les riffs de guitare électrique de Ramin Djawadi, Gipsy Danger fait son entrée dans une rue rose et orangée d’Hong Kong, alors que les immeubles de verre sont éclaboussés par la pluie.


Par Fabien Mauro.

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Princesse Mononoké

La déforestation et la pollution ne concernent pas que le Japon. Ce qui se joue dans Princesse Mononoke et Nausicaä de la Vallée du Vent concerne l’humanité entière. Avec Princesse Mononoke, Miyazaki replace la forêt au cœur du Japon, comme centre mystique et spirituel. La forêt et les montagnes sont les demeures de multiples déités et esprits consubstantiels à l’histoire de l’archipel japonais. C’est sur le mont Fuji, volcan emblématique du pays, que réside Konohana No Sakuya, la princesse fleur, incarnation de la vie dont le symbole est la fleur de cerisier. Et c’est dans la forêt que vivent Totoro et ses acolytes. Détruire la forêt et les montagnes, c’est attaquer un écosystème qui ne serait pas seulement constitué d’organismes vivants et de leur environnement physique, mais qui serait aussi l’habitat d’entités divines et d’esprits divers et surtout nombreux qui pourraient se venger.


Par Malik Djamel-Amazigh Houha.

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Tetsuo

Film coup de poing, ou plutôt tronçonneuse, à la frontière du body horror et du cyberpunk, qui devient rapidement culte. Un film métis au synopsis complètement déjanté, qui tient aussi bien de l’ero-guro que du mecha, une transe anarchiste sur fond de sensualité brutale et déviante en noir et blanc, dans laquelle il est question d’aliénation, d’homme machine et d’amour. Indépendant et underground, Tetsuo et le premier film-attentat d’un homme qui deviendra, après cette première salve meurtrière, l’un des cinéastes les plus importants de sa génération aux côtés de Kitano, et qui continuera malgré tout, à œuvrer dans l’ombre et à faire des films comme il l’entend, à sa manière, un pied dans l’industrie et l’autre dans le cinéma indépendant. Dans ce film autoproduit, doté d’un financement limité, tout repose sur l’artisanat, le do it yourself, et c’est ce qui, dans sa forme, en fait véritablement une œuvre punk.


Par Malik Djamel-Amazigh Houha.

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Robocop

Alors que la ville sombre peu à peu dans la criminalité, la police, impuissante, décide d’exploiter une arme d’un genre nouveau. Tombé au combat, le policier Alex Murphy renaît sous la forme d’une créature hybride, mi-homme mi-machine. Derrière l’ultraviolence punk et métallique de son imagerie, RoboCop interroge déjà, en 1987, les questions essentielles des intelligences artificielles, de la militarisation des forces de l’ordre, d’une justice déshumanisée par l’arrivée galopante de nouvelles technologies, et rendue expéditive par une police toute-puissante et privatisée. Sous le film d’action musclé, RoboCop interroge la part d’humanité qui sommeille en chacun de nous, et pose la question du futur de nos sociétés démocratiques... Un film plus actuel que jamais.


Par Johan Chiaramonte.

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eXistenZ

Dans un futur tout proche du nôtre, Allegra Geller est l’inventrice d’une nouvelle génération de jeux vidéo directement connectés au système nerveux. Alors qu’elle s’apprête à faire la démonstration de sa création, un groupuscule en colère, les Réalistes, tente de l’assassiner. C’est le début d’une vertigineuse course-poursuite, emmêlant étroitement le réel et le virtuel. Devançant largement nos réalités virtuelles, nos métavers et autres intelligences artificielles, eXistenZ préfigure cette soif d’immersion infinie, cette relation transhumaniste et fusionnelle de l’homme à sa machine. Thématiquement à l’heure, le film profite bien sûr de cette esthétique cronenbergienne grotesque, sensuelle, éprouvant les limites de la chair, imaginant pour ses technologies des appareils-organes moites et suintants. Loin de céder à cette note d’hystérie de l’an deux-mille prédisant le règne des machines, eXistenZ brasse, comme toujours chez Cronenberg, des questions intensément humaines et existentialistes.


Par Camille Mathieu.

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The Host

Basé sur l’un des pitchs les plus usés de l’histoire (un monstre mutant, sorti du fleuve, terrorise la ville de Seoul), The Host impose la pleine maturité du cinéaste qui parvient à construire un film-catastrophe qui n’a absolument rien à envier au géant hollywoodien en termes d’efficacité immédiate, tout en conservant la spécificité de son univers, fait de losers dépassés par les évènements et « invisibles » aux yeux de la société sud-coréenne. En lieu et place des militaires et des savants des productions Roland Emmerich, il choisit pour héros une famille de « kassos » tenant une baraque à frites moisie sur les bords du fleuve. Démontrant tour à tour leur incroyable bêtise et leur incroyable bravoure dans l’affrontement avec la Bête, leurs actes et leur souffrance sont systématiquement rejetés par des médias en pâmoison devant le sauveur américain. « Il me semblait naturel de faire une satire de la société américaine en ayant recours au style d’un film américain », précise le cinéaste, qui révèle ici qu’il est tout à fait capable d’enchaîner une séquence de traque sous la pluie digne du John McTiernan de Predator à une pure séquence de bouffonnerie burlesque tout droit sortie d’une comédie hongkongaise.


Par Rafik Djoumi.

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Blade Runner

Blade Runner invite au retour éternel. Plus qu’une invitation même, une condamnation : trop dense, trop visionnaire, trop apocalyptique, trop magnétique pour ne pas se replonger dans une œuvre décisive pour l’avenir de la S.F. au cinéma. Comme le disait Jack dans le cliffhanger de Lost : « We have to go back ». C’est un ordre intimé par les esprits joints de Philip K. Dick, Ridley Scott, Hampton Fancher, Syd Mead, Douglas Trumbull, Rutger Hauer, Vangelis et tous les autres talents liés à un instant « T », parvenus à honorer le texte peu aimable de Dick – Do androids dream of electric sheep? – et dessiner une vue du futur assez unique pour habiter l’imaginaire collectif depuis des décennies. Pour Ridley Scott, le travail sur le film fut un parcours du combattant – de son financement à sa conception, de son écriture jusqu’au(x) montage(s) définitif(s), si toutefois il en existe un. C’est généralement de ces situations d’implosion imminente que naissent les plus beaux textes. Blade Runner n’échappe pas à la règle, mais bizarrement, si le film est devenu au fil du temps une référence – à sa sortie en 1982, il ne rencontra pas le succès escompté – en France, la littérature autour du troisième long métrage de Sir Scott est pauvre, voire inexistante.

Retrouvez la programmation détaillée de l’événement juste ici !


En partenariat avec le Forum des images.