Entretien avec Kyle Cooper
Kyle Cooper est un Dieu. Le dieu des génériques. Après Seven, son statut ne sera plus jamais le même.
Kyle Cooper est un Dieu. Le dieu des génériques. Après Seven, son statut ne sera plus jamais le même. Le public du monde entier se passionnera pour son incroyable travail, sans vraiment savoir ce qui s’y cache. À quelques mois de la sortie du jeu d’Hideo Kojima, Death Stranding, Kyle Cooper avait bien voulu lâcher ses crayons un instant pour répondre à quelques questions que nous nous posions depuis 25 ans déjà… Ciselées, rapides, efficaces, les réponses de Cooper sont à l’image de son travail : épurées et définitives.
Par Johan Chiaramonte. Retrouvez dans notre Rockyrama n°47, disponible en précommande, un dossier complet sur le film Seven !
Johan Chiaramonte : Quel est votre premier souvenir de cinéma ?
Kyle Cooper : Ma mère m’a emmené voir Butch Cassidy et le Kid dont le générique est vraiment intéressant : il commençait en couleur sépia, comme pour suggérer que le film nous faisait remonter dans le temps...
J.C. : Aviez-vous déjà, à l’époque, un intérêt particulier pour l’image ?
K.C. : J’ai toujours dessiné et sculpté des choses. Je suis, depuis toujours, attiré par les formes, par les arts visuels.
J.C. : Quelle a été votre formation ?
K.C. : J’ai fait un BFA (Bachelor of Fine Arts) à l’Université du Massachusetts, mais aussi un MFA (Master of Fine Arts) à l’Université de Yale.
J.C. : Qu’est-ce qui a déclenché votre intérêt pour les titres de films en particulier ?
K.C. : Alien, Altered States et The Dead Zone par le studio R/Greenberg Associates, ce sont pour moi des premiers chocs. Je découvrais tout un art…
J.C. : Avez-vous admiré le travail d’un artiste en particulier ?
K.C. : Les maquilleurs Stan Winston, Dick Smith, Rob Bottin, et Tom Savini. L’animateur de stop motion Ray Harryhausen. Plus tard, les graphistes Paul Rand, Armin Hofmann et Kenneth Hiebert. Et puis des artistes comme Paul Klee, Hieronymus Bosch...
J.C. : Vous avez co-fondé Imaginary Forces, en 1996. Qu’aviez-vous en tête pour cette agence ?
K.C. : J’ai emprunté le nom au prologue d’Henry V de William Shakespeare. Dans la pièce, le prologue vous dit de pardonner les limites du médium théâtral et d’imaginer des choses qui n’y sont pas. « Pensez, quand nous parlons de chevaux, que vous les voyez imprimer leurs fiers sabots dans la terre qui les reçoit, car ce sont vos pensées qui doivent maintenant parer nos rois. » J’aime l’idée d’impliquer le public ou l’imagination des spectateurs dans votre processus créatif. J’ai aussi pensé que « Imaginary Forces » sonnait comme un groupe de super-héros, dans notre cas un groupe d’artistes avec différentes forces créatives comme la Justice League of America. Notre mission était de trouver comment saisir toutes les occasions créatives qui se présentaient à nous.
J.C. : Vous avez ensuite créé Prologue en 2003. Nourrissiez-vous les mêmes ambitions pour cette nouvelle agence ?
K.C. : Non, dans le cas de Prologue, je voulais arrêter d’essayer de tout faire. Je voulais laisser plus de place aux autres et que cette agence soit un vrai lieu de créativité et d’épanouissement pour chacun.

J.C. : En 2011, le générique qui ouvre Seven a été classé « troisième plus grande séquence de titres de tous les temps » par l’IFC. Et le New York Times l’appelait « l’une des innovations graphiques les plus importantes des années quatre-vingt-dix ». Qu’est-ce qui vous reste, aujourd’hui, de cette aventure ?
K.C. : Je suis heureux que le générique n’ait pas l’air daté ! Je pense qu’il a toujours l’air « bien », mais je dois continuer à faire d’autres choses et parler moins de ce travail-là…
J.C. : Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur ce dont vous aviez parlé avec David Fincher au sujet de cette séquence ?
K.C. : Oui, David Fincher et moi en avons énormément discuté. Nous avons parlé de ce que les coups de feu devraient être, il a eu des idées, comme le doigt coupé par une lame de rasoir, et j’ai pensé à des choses comme la figure de Dieu découpée dans un dollar. Il voulait que Mark Romanek réalise le générique. Je lui ai demandé si je pouvais le faire, et il a dit oui. L’idée que David Fincher m’ait fait confiance à ce point et qu’il m’ait confié une séquence aussi importante pour le film était très généreuse et je lui en serais toujours reconnaissant. Il m’a beaucoup soutenu en me permettant de compter Harris Savides, Jeff Cronenweth, Findley Bunting et Angus Wall comme partenaires durant toutes ces années. J’ai fait de mon mieux sur ce générique, et visiblement ça a marché.
J.C. : Pouvez-vous me parler de l’idée initiale du trajet en train... ?
K.C. : C’était une idée de David que nous n’avons finalement pas utilisée. Le personnage qu’incarne Morgan Freeman faisait un trajet en train pour aller voir une maison qu’il voulait acheter pour sa retraite. David m’a dit ce que je devais faire et de ne pas m’inquiéter de cette idée de train.

J.C. : Comment avez-vous choisi la séquence que nous connaissons aujourd’hui ?
K.C. : Nous nous sommes rassemblés et nous avons opté pour ce qui nous semblait être la meilleure idée. C’est aussi simple que cela !
J.C. : Qui a décidé que « Closer » de Nine Inch Nails serait la meilleure bande originale pour cette séquence ?
K.C : David Fincher, évidemment.
J.C. : Ce qui nous frappe dans cette séquence d’ouverture, c’est le sentiment déstabilisant qu’elle inspire instantanément. Pouvez-vous nous dire quel a été le processus qui vous a permis d’obtenir cet effet avec autant de succès ?
K.C. : Je mets mes propres émotions, comme la peur et la colère, dans les choses sur lesquelles je travaille. Ici, je me suis littéralement mis dans la peau de John Doe, du mal personnifié. Des gens m’ont dit qu’ils avaient ressenti de la peur, qu’ils avaient été parcourus de frissons durant ce générique. Dès lors, je savais que c’était gagné.
J.C. : Jusqu’à Seven, nous pensions que le générique devait être stable, clair et informatif. Dans ce film cependant, j’ai l’impression que vous auriez voulu – peut-être inconsciemment – tout secouer, essayer autre chose... Quelles techniques avez-vous utilisées pour réaliser cette séquence ?
K.C. : Nous avons filmé toutes les typographies sur pellicule. Nous avons minutieusement positionné chaque animation de crédit. David n’est pas un grand fan de la lisibilité dans ses films. Les spectateurs savent qu’avec lui, ils vont vivre une expérience dès les crédits.

J.C. : Comment avez-vous collaboré avec Angus Wall, a-t-il fait des suggestions de montage ?
K.C. : Angus était « le rédacteur en chef » du générique, il montait. Ensemble, nous avons formé une excellente équipe.
J.C. : Pouvez-vous nous parler de la typographie utilisée pour les crédits ?
K.C. : Elle a été griffée, gribouillée, torturée, dirais-je même, à la main sur un grattoir noir avec une typographe nommée Jenny Shanin.
J.C. : Une fois Seven terminé, saviez-vous que vous aviez créé un générique qui serait légendaire, qui raviverait l’intérêt du public et des créateurs pour cette partie du film ?
K.C. : Non. Je pensais que je n’avais pas tourné assez d’images, je n’étais pas complètement satisfait, alors que David l’était. C’est lui qui avait raison.
J.C. : Vous avez travaillé avec Hideo Kojima sur des jeux vidéo Metal Gear Solid. Le processus créatif est-il le même que pour les films ?
K.C. : C’est plus difficile si la séquence du titre doit être interactive, j’ai essayé de le faire avec Hideo Kojima. C’est un très bon ami à moi et j’adore travailler avec lui.
J.C. : Vous avez travaillé en étroite collaboration avec Hideo Kojima sur son jeu, Death Standing. Quel est votre rôle dans le projet ?
K.C. : J’ai travaillé sur la typographie pour le teaser. Mais je peux vous assurer que le jeu va faire parler de lui, c’est une révolution.

J.C. : À ce jour, vous avez créé plus de 150 séquences de titres, je crois. Vous êtes entré dans l’histoire avec Seven et vous avez été reconnu, au même titre que Saul Bass. Qu’est-ce qui vous motive encore aujourd’hui ?
K.C. : J’ai produit ou conçu plus de 350 séquences de titres, en réalité. J’aime réfléchir à des concepts. J’aime me réveiller le matin avec une solution de communication conceptuelle à un problème de design auquel je suis confronté. C’est la meilleure sensation à l’heure du café, je peux vous le dire.
J.C. : Des conseils, pour ceux qui voudraient suivre vos traces ?
K.C. : Tout ce que ta main trouve à faire, ce qu’elle peut accomplir, eh bien fais-le, de toutes tes forces. N’aie pas peur. Au pire, tu recommenceras.
J.C. : Qu’est-ce qui fait une très bonne séquence de titre pour vous ?
K.C. : Un générique qui est visuellement impeccable et un qui implique le public émotionnellement, qui vous rend heureux d’être là où vous êtes, qui vous invite à regarder le film que vous êtes sur le point de regarder.
J.C. : Enfin, de quel film – existant ou non – auriez-vous aimé faire la séquence titre ?
K.C. : Henry V de Kenneth Branagh…
