Video Pizza : Chute libre, Joel Schumacher, 1993
« - Vous ne voyez pas que c’est un homme fatigué ? À deux doigts du break… Vous cherchez l’incident ou quoi ?! »
Après sa collection de posterbooks au design inspiré de nos VHS préférées, Video Pizza se réinvente sous la forme d’une rubrique qui fleure bon le samedi soir et la pizza quatre fromages. Faites chauffer les magnétoscopes et suivez-nous dans les rayons du vrai faux vidéo-club de Rockyrama tenu par l’excellent Frank Rigatoni. Bienvenue chez Video Pizza !
Par Frank Rigatoni, un article à retrouver dans notre Rockyrama 37 - Batman : Le Défi
« - Vous ne voyez pas que c’est un homme fatigué ? À deux doigts du break… Vous cherchez l’incident ou quoi ?! »
Cette célèbre réplique n’est pas tirée du film qui nous occupe aujourd’hui, non. Elle n’est absolument pas déclamée par Michael Douglas, loin de là. Ce dialogue sort de la bouche de Jean Rochefort, dans le film Calmos de Bertrand Blier, et nous sommes alors en 1975, à Paris. Et pourtant… Et pourtant ces mots auraient très bien pu surgir du film Chute libre, sorti, lui, en 1992, presque vingt ans plus tard. Le film commence sur la même tonalité, un homme, dans les embouteillages, sous une chaleur écrasante, du bruit, beaucoup de bruit, un ventilateur en panne, Los Angeles quoi. Chute libre est l’histoire d’un homme qui veut rentrer chez lui, retrouver sa famille (qu’il n’a plus le droit légalement d’approcher). Nous suivons donc William Foster, impeccablement interprété par Michael Douglas, qui promène son mal être et sa mallette de salary man, qui s’avérera vide, comme sa vie, (quoique même la mallette renferme une pomme).

Le film s’apparente à un jeu vidéo, utilise les mêmes procédés narratifs et de progression géographique, Foster allant de niveau en niveau, affrontant des archétypes de Los Angeles (les gangs chicanos, les riches blancs, le nazi homophobe et son arrière-boutique des horreurs, l’épicier coréen…), ramassant ici et là des armes, un GTA avant l’heure. Si l’on veut une idée assez précise de l’ambiance qui régnait dans la cité des anges dans les nineties, alors Chute libre se prête assez bien à l’exercice tant la ville semble sous tension. C’est que la même année, la ville va vivre l’une de ses plus violentes émeutes suite à l’acquittement de quatre policiers blancs, après les violences commises lors de l’arrestation de Rodney King, des jours et des nuits de saccages et d’incendies, l’intervention de la garde nationale, des quartiers en feu, bref le chaos. Et c’est bien ce sentiment qui traverse le film, une ville en rupture, qui s’écroule, en… chute libre.

Car finalement William Foster n’est que l’un des rejetons mal-aimés de Los Angeles, il est celui qui dit « non », un citoyen qui s’élève pour dire « stop » au système, une figure traditionnelle du cinéma américain, en temps de crise. L’une des scènes les plus emblématiques restera celle du Whammy burger, un fast-food absolument banal dans lequel Michael Douglas décide de prendre son petit-déjeuner. Malheureusement le breakfast n’y est plus servi depuis quelques minutes, et William Foster va péter un plomb. Une situation censée dénoncer l’absurdité d’un système, et une scène qui fonctionne plutôt bien tant elle renvoie à l’expérience de chacun. Le rappeur Disiz la peste reprendra le principe dans son célèbre et bien nommé morceau « J’pète les plombs » (voilà un film qui aura laissé une trace dans la pop culture, lui). À ses trousses on retrouve Robert Duvall, en flic, à quelques jours de la retraite (un autre archétype), impeccable lui aussi, comme à l’habitude. Chute libre a fait les belles heures des vidéo (pizza) clubs et, aujourd’hui encore, on aime se replonger dans cette modeste série B du regretté Joel Schumacher, et on rêve d’aller échanger, avec un pote ou deux, sur ce petit classique du samedi après-midi, autour d’un Whammy Burger.
