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The Office : Une histoire de famille

C’est sans doute la machine à memes la plus efficace de l’histoire de la télévision, au point où tout être humain fréquentant les réseaux sociaux est désormais familier de la ganache de Michael Scott et de Dwight Schrute.
The Office : Une histoire de famille

C’est sans doute la machine à memes la plus efficace de l’histoire de la télévision, au point où tout être humain fréquentant les réseaux sociaux est désormais familier de la ganache de Michael Scott et de Dwight Schrute, même sans n’avoir jamais vu un seul épisode de The Office. Série culte donc, portée par des scénaristes et des acteurs régulièrement géniaux, Rockyrama ne pouvait s’empêcher d’en faire enfin l’éloge.

Par Romain Fravalo, à retrouver dans notre Rockyrama n°44 : True Romance.

C’est un fait bien connu, mais qu’il est nécessaire de rappeler en introduction : The Office est, à l’origine, une série britannique. Diffusée sur BBC Two de 2001 à 2003, elle est incarnée, à l’écriture comme à l’écran, par l’humoriste britannique Ricky Gervais. La série décrit avec un humour tout anglais le quotidien d’une entreprise de papier, la Wernham-Hogg Paper Company, dirigée par David Brent, un patron aux capacités et à l’humour douteux, sous la forme d’un faux documentaire. Ce prétexte, idée géniale, permet à la caméra, et donc au spectateur, d’être complice de ce qui se déroule dans les bureaux de l’entreprise. La série est l’un des grands succès télévisés dans le Royaume-Uni des années 2000. Remportant une pelletée de BAFTA TV Awards, de Writers Awards et de Golden Globes, elle ne tarde pas à être adaptée un peu partout dans le monde : Inde, Chili, Finlande, etc. En France, une adaptation intitulée Le Bureau, avec François Berléand en premier rôle, est signée par le duo Nicolas et Bruno, à qui l’on doit les très drôles Message à caractère informatif, sans rencontrer le succès de son aînée. Évidemment, les Américains ont également voulu leur version. Reprenant le titre original de The Office, la série transpose les (més)aventures du boss balourd et incompétent à Scranton, Pennsylvanie, au sein de la Dunder Miflin Paper Company. Quant à David Brent (Ricky Gervais), il laisse la place à Michael Scott, incarné par Steve Carell. Diffusée à partir de mars 2005 par NBC, l’adaptation américaine signée Greg Daniels ne rencontre pas le succès escompté. Humour trop britannique, personnage principal prisonnier de son modèle, The Office sauce américaine a du mal à prendre, entre des épisodes provocateurs pas suffisamment drôles et une identité propre qui tarde à se définir. Les spectateurs boudent la première saison de la série, qui a malgré tout, et fort heureusement pour nous, eu droit à une seconde chance.

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La deuxième saison commence sous de meilleurs auspices. Le premier épisode, « La Remise des prix », qui a été écrit comme potentiel pilote plus d’un an auparavant, réalise une audience de neuf millions de spectateurs, soit deux fois plus que le dernier de la saison précédente. NBC décide également de mettre les épisodes en vente sur iTunes, ce qui donne de la visibilité à son produit qui, en plus, profite des projecteurs braqués sur son acteur vedette, Steve Carell, grâce au succès de 40 ans toujours puceau. Cependant, cela ne suffit pas à expliquer l’intérêt grandissant des spectateurs pour The Office. Le changement le plus important est la décision de s’inspirer directement des acteurs pour faire évoluer les personnages. Les personnages, car Michael Scott, le patron allègrement stupide de Dunder Miflin, vampirise de moins en moins les ressorts comiques des épisodes pour mieux les partager avec d’autres, comme Jim Palmer, Pam Beesly, Dwight Schrute, mais aussi une ribambelle de personnages secondaires qui donnent de la profondeur et de la variété d’un épisode à un autre. Dès lors, The Office s’affirme peu à peu comme une sitcom qui décrit, malgré le cadre de l’entreprise, patrons et employés tantôt comme une famille, tantôt comme une bande de potes fondamentalement dysfonctionnelle, dépareillée, qui apprend à s’apprivoiser devant nos yeux.


Michael Scott est évidemment le trait d’union de la joyeuse troupe. Ce rôle n’était pas une évidence pour ce personnage qui, dans les premiers épisodes, a plutôt tendance à humilier ses employés qu’autre chose. Rappelons par exemple le faux licenciement de Pam dans l’épisode « La Rumeur », les remarques déplacées envers Kelly dans l’épisode « La Journée de la diversité », ou son attitude très gênante envers la vendeuse de sacs à main Kathy Moore. Personnage désagréable au possible, Michael fait sourire, mais attire difficilement l’attachement de ses collègues comme des spectateurs. En ce sens, l’épisode 17 de la saison 3 marque un véritable tournant. Michael est invité par Ryan, le stagiaire de Dunder Mifflin, à présenter sa vision de l’entrepreneuriat devant un amphi d’école de commerce. Depuis le début de la série, Michael tente de nouer une relation père-fils avec Ryan qui, en retour, le trouve absolument nul et dépassé, tentant de le fuir par tous les moyens. Pendant ce temps-là, Pam expose pour la première fois ses peintures dans une galerie et invite ses amis et collègues (au dernier rang duquel se trouve Michael) à venir au vernissage. Seulement, les peintures de Pam reçoivent des critiques très négatives et, pire encore, elle constate qu’aucun de ses collègues ne vient la soutenir. Excepté… Michael qui, après avoir été la risée des étudiants, tient sa promesse et vient voir son employée. Il est alors sidéré par la beauté qu’il trouve aux peintures de Pam, notamment une représentation du bâtiment où siège la société Dunder Mifflin. Il lui propose ainsi d’acheter le tableau et s’empresse de l’afficher dans les bureaux. Pam, sous le coup de l’émotion, le prend dans ses bras. Le fait que Michael, patron parfois odieux, soit le seul capable d’un geste d’amitié en dehors des heures de boulot est comme une révélation, comme la première véritable lumière qui émane du clown triste qu’il est d’habitude. En dépit des blagues potaches et des mots blessants, Michael éprouve des sentiments sincères pour chacun de ses employés. Mieux, Michael se comporte pour la première fois comme un père attachant, sensation décuplée par la trahison de Ryan un peu plus tôt. Fini les filiations unilatérales, The Office va alors développer des liens de plus en plus forts entre ses personnages, mettant de côté les composantes négatives de ceux-ci au profit de ce qu’ils ont de meilleur.

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Petit à petit, les plus antipathiques, Michael et Dwight en tête, finissent par s’attendrir, tandis que les plus discrets finissent par capter la lumière à leur tour. En effet, The Office est passée maître dans l’art du contrepoint. Personne n’y est parfait, ni absolument mauvais ; c’est parce qu’il est solitaire, égoïste et complètement barré que les rares moments où Dwight manifeste son amitié envers ses collègues sont si touchants. De la même manière, aucun des employés du bureau n’est insignifiant ; c’est parce qu’on les entend peu que chacune des interventions de Creed Bratton et de Stanley Hudson finit par devenir emblématique. Cette attention donnée même aux moments sans importance est poussée jusqu’au moindre détail, quand, à l’arrière-plan, on peut voir Meredith Palmer jouer au solitaire sur son ordinateur. C’est ainsi qu’une comédie centrée sur un personnage finit par créer tout un environnement, tout un lore aux relations interpersonnelles complexes et aux lieux variés. De la salle de réunion au parking, de l’entrepôt à la ferme de Dwight, l’univers développé par les auteurs prend place dans des endroits a priori neutres – quoi de plus insipide que les bureaux d’une entreprise de papier ? – qui gagnent en caractère grâce à l’aura et aux expériences de ceux qui y vivent. D’une série typiquement britannique, les auteurs ont su transposer dans le genre le plus américain qui soit : la sitcom. S’inspirant parfois de modèles comme Les Simpsons pour l’absurdité de ses personnages (Kevin Malone, Andy Bernard, Darryl Philbin sont absolument simpsonesques), ou comme Malcolm pour les relations familiales reposant sur un amour vache.

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Mais The Office, ce n’est pas qu’une histoire de famille. Ce sont aussi des épisodes brillants, merveilleusement écrits par une équipe de scénaristes dont font partie certains des personnages secondaires de la série : Mindy Kaling alias Kelly Kapoor, B.J. Novak alias Ryan Howard, Paul Lieberstein alias Toby Flenderson. Lieberstein est d’ailleurs l’auteur de « Temps de stress » (saison 5, épisode 14), épisode absolument culte pour son ouverture et la séquence des gestes de premier secours qui condensent, en quelques minutes, l’essence même de la version US de The Office. Il serait dommage de décrire ce qui rend cet épisode si génial, tant le plaisir est grand de le (re)découvrir par soi-même. Ce que l’on peut affirmer, en revanche, c’est le brio avec lequel l’auteur a su orchestrer des séquences dans lesquelles tout le bureau est en branle et où chaque personnage, par ses caractéristiques, renforce sans cesse le comique de la situation. Aucun ne fait de l’ombre à l’autre, chacun se complète dans un humour que l’on pourrait qualifier de choral. La bêtise de l’un sublime l’idiotie de l’autre, précipitant le spectateur dans le rire le plus sincère, le tout souligné par une réalisation dynamique et intrusive qui n’en loupe jamais une miette.

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Les aventures de Michael Scott et de sa bande ont finalement duré neuf saisons. De rires en pleurs, de départs en arrivées, c’est tout un plaisir sans cesse renouvelé que de suivre cette bande à laquelle on s’attache plus qu’on ne le pense. On ne peut la quitter sans ressentir un petit déchirement. Peut-être parce qu’elle décrit, avec le recul nécessaire, ce qui peut unir et désunir une famille comme une bande de potes. Un manque qui ne dure jamais longtemps tant les réseaux sociaux partagent des instantanés de la série ; tant également la chaîne YouTube Comedy Bites partage les bloopers, ces prises non gardées au montage où les comédiens finissent par rire des bêtises qu’on leur fait raconter. Quand il n’y en a plus, il y en a encore. Et on est loin d’être rassasiés !