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BATMANIA : une folie populaire

23 juin 1989. Dans la rue, dans les magasins, à la télévision, Batman est partout. Tout le temps. Parfois même sans avoir besoin de le nommer.
BATMANIA : une folie populaire

23 juin 1989. Le troisième long-métrage du jeune trentenaire Tim Burton arrive dans les salles américaines. Objectif assumé : moderniser le mythe Batman, le rajeunir, faire oublier le rigolo mais un brin désuet Adam West. Dans la rue, dans les magasins, à la télévision, le défi est déjà assurément relevé. Batman est partout. Tout le temps. Parfois même sans avoir besoin de le nommer.


Par Nico Prat, 2019.

Retrouvez un dossier complet sur la suite Batman : le défi dans le prochain Rockyrama, à paraître en décembre 2022 et disponible ici en précommande !

23 juin 1989.

En cet été de l’année 1989, l’hystérie est collective. Une folie populaire qui a un nom, la Batmania, un visage, celui de Michael Keaton, adoubé après avoir été honni par les foules (« Beetlejuice, jouer Batman ?! »), et un prix, celui que les parents sont prêts à mettre pour rendre leurs enfants heureux. La Batmania, c’est cela : un marketing absolument décomplexé. Kevin Smith, fan de comics, auteur et réalisateur, s’en souvient : « Cet été était tout simplement énorme. Vous ne pouviez pas tourner la tête sans voir le signal de la chauve-souris quelque part. » Des jouets Batman (parmi lesquels la célèbre Batmobile et ses deux rockets), des céréales Batman (dont la forme reprenait celle du célèbre logo), des casquettes, des chaussures et des chaussons, des distributeurs de Pez, des jeux vidéo… Mais aussi des cartables. Des mugs. Des porte-clés. Des trousses. Des stylos. Des gants. Des masques. Des blousons. Des tatouages temporaires. Tout ce qui s’achète, ou presque, possède sa déclinaison Batman. Chez nous, même le très peu pop Jean-Pierre Pernaut ouvre son journal télévisé, le plus regardé de France, sur des images de rayons de supermarchés envahis par un logo noir et jaune scintillant. Certes, depuis Star Wars en 1977, les studios et les analystes le savent, le merchandising rapporte. Pourtant, ce raz-de-marée semble prendre tout le monde par surprise. Alors qu’il ne s’agit là que d’une histoire déjà racontée.

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Flashback. 1966. ABC diffuse Batman, série mettant en scène Adam West dans le costume du justicier, Burt Ward dans celui de Robin, le tout dans une ambiance colorée, décomplexée, un objet pop quasi psychédélique et délicieusement kitsch. Le succès est au rendez-vous. Et déjà, les équipes marketing sont à l’œuvre. Durant l’année de diffusion de la première saison, un large éventail de produits Batman est apparu dans les magasins : ici, une Batmobile, un Batcopter et un Batboat, là, une ceinture utilitaire Batman, un casque Batman en forme de capuchon (complet avec cape), un ensemble de jeux Batman and the Justice League, un coffret Batcave et plusieurs autres jouets Bat. Sans oublier le Batphone, la voiture à pédales Batmobile de chez Mattel, des patins à roulettes Batman, une corne de taureau Batman, un vélo Batman, un pistolet à eau Batman… Et déjà, au milieu des céréales et des bonbons pour les enfants, fleurissent des produits destinés aux adultes. Après tout, Batman est apparu pour la première fois dans le comic book Detective Comics n?27 en 1939, et, près de trente ans plus tard, ses premiers lecteurs sont devenus des adultes bénéficiant d’un pouvoir d’achat. Et ils achètent un peu de tout, parfois n’importe quoi : le thème Batman, écrit et interprété par Neal Hefti, sorti en single et qui atteint alors la 35ème position du classement Billboard… Une reprise du thème par le groupe The Who pour son EP Ready Steady Who… Mais encore des drames audio basés sur la série, publiés par le label Leo the Lion de MGM. Signet sort également une série de romans Batman, comprenant Batman contre Le Joker, Batman contre Le Pingouin, etc. La demande de produits Batman est si forte, en 1966, qu'on trouve même des imitations ou des produits non autorisés. Pourtant, plusieurs décennies plus tard, ce pouvoir de fascination s’est éteint. La série ABC est annulée après trois saisons, et quand Tim Burton reprend les rênes du récit, l’époque a bien changé. Et Warner a peur. 


Pour le journaliste spécialisé Thomas Destouches, que nous avons interrogé : « Le succès, critique et public, du premier Superman avait prouvé qu'un film de super-héros pouvait être une bonne affaire pour les studios. Malheureusement les désastreuses suites ont eu l'effet inverse, démontrant que le filon n'était pas si juteux... Il faut aussi envisager le film dans ce contexte : peu de monde pensait qu'un film de super-héros avait du potentiel, au-delà du cercle de geeks et de nerds. » Il faut également se rappeler que Batman n'est plus très populaire à l'époque. Certes, dans les pages des comics, le héros capé est devenu, au fil des années – sous la plume de Frank Miller, Alan Moore et Denny O’Neil –, un être sombre, mature, sauvage, voire dangereux, mais le grand public est encore marqué par la série TV. Enfin, engager Tim Burton et Michael Keaton est une étrange idée sur le papier. Le premier est encore une curiosité indépendante et loufoque. Quant à Keaton – acteur catalogué comique – dans le rôle du justicier, le choix scandalise. Cet homme peut-il réellement être Batman ET Bruce Wayne ? Personne ne semble pouvoir l’imaginer. Et bien que Kim Basinger, icône absolue depuis la sortie de 9 semaines ½, soit elle aussi au casting, le personnage principal est bien Keaton… Ou bien est-ce Nicholson ? Le choix du méchant est primordial. Qu’un acteur oscarisé accepte de jouer un personnage de comic books, ici le Joker, prend par surprise le public et la presse de l’époque. Et que dire de Prince signant, en guise de onzième album, une bande originale pop rose bonbon ? Des choix audacieux donc, et pas les derniers.

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Peu confiants au premier abord, les pontes de Warner optent pour une stratégie en deux temps que nous pouvons résumer ainsi : d’abord, jouer la carte du mystère, puis, inonder le marché. Rien de bien novateur pour le spectateur et le fan des années 2010, mais à la fin des années quatre-vingt, le pari est osé. Et ce mystère, il passe par ce logo, et… c’est tout. Juste un logo apparaissant sur des affiches, ou à la fin de la bande-annonce, sans rien dire de plus. Pas de tagline, encore moins de titre… Ce même logo qui est un appel au héros lorsque Gotham en a le plus besoin, fait ici office d’appel aux spectateurs à remplir les salles (et les caddies). Thomas Jamet est Chief Executive Officer de IPG Mediabrands et spécialiste des marques et du digital. Il se souvient d’une époque bien différente pour la publicité, peu propice à la discrétion (« les références de la pub des eighties, c’était Times Square et le Superbowl ; on mettait le paquet »), mais disposée à toutes les audaces : « Ce logo, simple, sans information supplémentaire, était une vraie promesse. C’était osé, mais aussi malin. Malin, car la communauté savait. Malin aussi car on envoyait le signal à cette communauté que Batman était vraiment Batman. On ne leur expliquait pas. Ils étaient dans la confidence. Et puis ce signe, tout le monde le connaissait d'une certaine manière. C'est un peu comme le logo Nike...» Batman, une marque comme une autre ? Oui, selon Thomas Jamet, et même « très certainement l’une des premières grandes marques des années quatre-vingt-dix. C’est aussi et surtout l’héritier de Lucas et Spielberg, à la différence qu’ils ont totalement créé ces marques ex nihilo (Indiana Jones ou Star Wars ou E.T.) alors que le Batman de Burton a finalement réactivé une licence qui était mourante en la réinventant et en remettant au goût du jour le film de super*héros avec le succès que l’on sait ». Mais cette publicité primaire n'est alors que le premier étage d'une opération plutôt bien ficelée. Par la suite, le phénomène Batman prend davantage des allures de rouleau compresseur.

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Le 14 juin 1989, quelques jours avant la grande première du film (et quelques mois avant sa sortie française, le 13 septembre), le prestigieux New York Times, sous la plume de la journaliste Hilary De Vries, se fend d’un long article sur, non pas la qualité du film, mais bel et bien la qualité de son marketing. Extrait : « Le personnage de bande dessinée existe depuis cinquante ans et le Caped Crusader s'adresse aux adultes comme aux enfants. Bien que Warner Brothers ait été discret sur la promotion du film jusque-là, Licensing Corporation of America, une filiale de Warner Communications Inc., a déjà posté des milliers de catalogues contenant tout : des cartes à jouer Batman à une veste à 499,95 $ portant le logo Batman et parsemée de strass. » Deux semaines avant la sortie du film, les analystes savent que quelque chose va se produire, quelque chose de grand, d’ambitieux, de mondial. Bilan des courses : 500 millions de dollars de recettes uniquement pour la partie dévouée au merchandising, certaines sources parlant même de 750 millions de dollars, auxquels doivent sans aucun doute s’ajouter les multiples contrefaçons, encore facilement trouvables à l’époque. Le succès est réel, total. Celui du film aussi, avec précisément 411,348,924 dollars de recettes dans le monde, pour un budget estimé à 35 millions. Au cœur d’un été dominé par les suites (Indiana Jones and the Last Crusade, Star Trek V: The Final Frontier, Ghostbusters II, Licence to Kill, Lethal Weapon 2), les spectateurs ont choisi Batman. Tim Burton réalisera trois ans plus tard Batman Returns, avant de laisser la place à Joel Schumacher et ses armures à tétons, puis à Christopher Nolan et Zack Snyder. 


Que reste-t-il, aujourd’hui, de cette Batmania ? La naissance d’une franchise. Une création hybride, entre vision d’auteur et volonté de blockbuster. Des habitudes perdues, comme celles de ces fans transis payant leur place de cinéma pour aller voir la bande-annonce, avant de sortir de la salle sans même profiter du film qui suit (en 1999, Rencontre avec Joe Black bénéficiera lui aussi de la diffusion des premiers trailers de La Menace Fantôme). Mais aussi un jeu culte sur NES, des chaussettes et des trousses et des stylos. Sans oublier les stickers pour l’agenda. Surtout les stickers pour l’agenda !


Par Nico Prat, 2019.

Retrouvez un dossier complet sur la suite Batman : le défi dans le prochain Rockyrama, à paraître en décembre 2022 et disponible ici en précommande !