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Vincent Price, prince de l’épouvante

En un demi-siècle de carrière, Vincent Price s’est imposé comme l’un des derniers monstres du cinéma d’horreur.
Vincent Price, prince de l’épouvante

« Price offre une interprétation très intéressante et très personnelle de la peur. Il recrée le sentiment d'horreur : celui ressenti par un enfant seul dans la nuit que les parents ont laissé seul à la maison. Il y a une tempête, un monde vaste et terrifiant autour de lui. » Ce sont là les mots que choisissait Roger Corman pour décrire l’un de ses acteurs fétiches... En un demi-siècle de carrière, Vincent Price s’est imposé comme l’un des derniers monstres du cinéma d’horreur.


Par Camille Mathieu, article paru dans le Rockyrama spécial Série B, disponible ici !

L’horreur est une créature émergeant des eaux, c’est le craquement sinistre d’une vieille bâtisse, l’éclat glacé d’un couteau qui s’abat... Mais l’horreur, c’est aussi le visage et la voix de Vincent Price. Dans l’allure racée et élégante de Price, rien ne pouvait prétendre au macabre, à cette « tempête », à ce monde « vaste et terrifiant » qu’évoquait Corman. Le sourcil arqué, une mince moustache, les tempes grisonnantes et les cheveux soigneusement plaqués en arrière… Le charme vénéneux de Price a laissé son empreinte dans la mémoire des cinéphiles du monde entier. Celui qui, dans sa vie, sera célébré pour son grand sens de l’humour, son amour infini des arts et de la cuisine, aura tourné vers le grand écran son visage le plus inquiétant…


Né en mai 1911, dans la ville de St Louis, Missouri, Vincent Leonard Price Jr. grandit au sein d’une famille aisée dont le patriarche est le président de la « National Candy Company ». En 1929, celui qu’on surnommait « The Candy Kid » part étudier l’anglais et l’histoire de l’art sur les bancs prestigieux de Yale, avant de rejoindre l’Institut Courtauld, à Londres, pour se plonger définitivement dans les beaux arts. Mais Price est très vite distrait de ses études par sa passion naissante pour le théâtre. De retour aux États-Unis, c’est à Broadway qu’il poursuit sa carrière sur les planches. En 1936, il interprète même le très britannique Prince Albert dans la pièce Victoria Regina. C’est le début d’une longue série de personnages de « sang bleu » ou d’illustre lignée, au théâtre comme au cinéma. Roi, duc, marquis, ou encore pacha, aucune branche de l’aristocratie n’est épargnée à Vincent Price. En 1938, sa réputation grandissante lui ouvre les portes de la jeune troupe du Mercury Theater, fondée par un certain Orson Welles. Cette même année, il fait ses débuts au cinéma…

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Après plusieurs propositions de la part des studios, Vincent Price cède finalement aux sirènes d’Hollywood, ou plutôt, à celles d’Universal qui cherche en Price un acteur capable de rivaliser avec les têtes d’affiche masculines des studios concurrents. Pour son premier projet, Universal lui réserve un rôle de jeune premier dans une comédie romantique que la postérité ne retiendra pas, Service de luxe, espérant relancer au passage la carrière de sa partenaire, la vedette du muet Constance Bennett. S’il apparaît, dans cette romance, comme un premier rôle plutôt charmant, le film le laisse insatisfait. Dans la biographie qu’elle consacre à son père, Victoria Price écrira : « sa désillusion était le reflet de ses attentes irréalistes et de son incapacité naïve à comprendre qu’Hollywood n'était pas Broadway. » À la recherche de personnages au plus grand potentiel dramatique, Vincent Price enchaîne les rôles secondaires, notamment dans le film La Vie privée d'Élisabeth d'Angleterre qui lui permet de côtoyer des acteurs d’envergure, comme Bette Davis et Errol Flynn, sous la direction de Michael Curtiz (Casablanca). Les films s’enchaînent : il partage l’affiche avec Boris Karloff (La Tour de Londres) ; il s’essaie au film d’horreur dans un rôle invisible qui lui permet de jouer de sa remarquable voix (Le Retour de l'homme invisible), et apprend même à relativiser ses échecs avec humour (Green Hell), en se flattant d’avoir participé à un film sur lequel le New York Times avait écrit : « on ne se souvient pas de la dernière fois qu’on a passé un aussi bon moment devant un film aussi mauvais. »


Mais c’est véritablement en 1944, avec Laura d’Otto Preminger, que Vincent Price se fait remarquer aux côtés de la fatale Gene Tierney. Dans ce classique du film noir, Price se glisse dans la peau d’un héritier désargenté, aussi séducteur que manipulateur. Un personnage qui préfigure la dualité et l’ambiguïté de ses rôles à venir… Price n’a plus la carrure d’un joli-cœur de bluettes, il mise, au contraire, sur cette qualité trouble et inquiétante qui fera bientôt sa gloire. S’il n’y tient pas le rôle phare, il considérera toujours Laura comme son plus beau film, plus encore, comme « l’un de ces films parfaits. Non pas un film prétentieux, mais un film très simple, juste brillant. Sans doute le meilleur film d’Otto je crois, et Otto le croit aussi ».

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Price décroche très vite de nouveaux rôles à sa mesure, creusant davantage le sillon du sinistre en interprétant par exemple le très douteux psychiatre de la série B à succès Shock, d’Alfred L. Werker (1946), mais encore, la même année, en apparaissant dans Dragonwyck. Écho lointain du Rebecca d’Hitchcock, sorti six ans plus tôt, Dragonwyck est à l’origine un projet d’Ernst Lubitsch, confié aux bons soins de Joseph L. Mankiewicz qui signe ici son premier film. Dans ce conte néo-gothique, Price retrouve Gene Tierney. Et si le matériau original d’Anya Seton n’a pas la carrure du roman Rebecca de Daphné du Maurier, il en reprend bien des motifs : une demeure pleine de secrets, un séduisant maître de maison, une timide et romanesque jeune femme… Vincent Price y apparaît, impérial, dans le rôle de Nicholas Van Ryn, le maître maudit de Dragonwyck, l’antre du dragon… Le « mal » est fait : avec sa voix profonde, son élocution impérieuse, ses manières affectées et ses allures de dandy, Vincent Price devient l’ambassadeur d’une certaine manière de faire peur… Un frisson délicieux dont il se délectera lui-même en admettant qu’il est « aussi drôle d’inspirer la peur que de l’éprouver ».


Au tournant des années cinquante, craignant d’être catalogué (il écrira dans les colonnes du Los Angeles Examiner que « le "typecasting" est le croquemitaine des acteurs »), il essaie d’alléger son aura menaçante en apparaissant dans un registre plus léger (Champagne for Caesar). Paradoxalement, ce début de décennie l’enverra dans une tout autre direction que la comédie, avec un film qui exercera une immense influence sur le reste de sa carrière. Sorti sur les écrans en 1953, La Maison de cire d’André de Toth est le remake d’un classique horrifique des années trente, mais possède cette petite touche fifties : la 3D. Véritable succès au box-office, La Maison de cire passera moins à la postérité pour sa « technologie cinématographique du futur », comme se plaisait à l’appeler Warner, que pour le pouvoir de fascination de Price qui brosse le portrait terrible d’un homme, d’un artiste, que la folie a fini par dévorer.


Le succès populaire du film propulse Vincent Price dans les rangs des maîtres de la peur. S’il apparaît également dans Le Fils de Sinbad de Ted Tetzlaff ou l’épique Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille, il ne peut échapper à l’enthousiasme du public pour le film d’horreur. Les années cinquante sont donc émaillées de rôles de genre, avec The Mad Magician ; The Fly, cette même mouche qui inspirera David Cronenberg ; ou encore, avec deux films de William Castle, House on Haunted Hill et The Tingler. 

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Dans House on Haunted Hill (sans lien avec The Hauting of Hill House, le roman magistral de Shirley Jackson, ni avec la série qui en a été récemment tirée), Price interprète un milliardaire excentrique, à l’humour plutôt lugubre, organisant une « fête » dans une demeure fantomatique… Et puisque tout film de maison hantée se doit d’offrir des raisons suffisamment convaincantes de ne pas fuir à toutes jambes, l’hôte machiavélique propose une coquette somme à qui acceptera d’y passer la nuit. Quant à The Tingler, il démontrera davantage les talents de Castle du côté du marketing que de la réalisation. Le film profitera d’un concept un peu particulier intitulé « Percepto », consistant à dissimuler des moteurs sous les sièges pour les faire vibrer durant la projection (la légende parle même de décharges électriques), notamment au moment où la voix de Vincent Price interrompt le film pour s’adresser au spectateur : « Ladies and gentlemen, please do not panic. But scream! Scream for your lives! ». La fête sera évidemment de courte durée : les moteurs sont dévissés et volés, après quelques semaines d’exploitation seulement. 


En cette fin des années cinquante, American International Pictures (AIP), spécialisé dans les films à petits budgets et autres double features, marche dans les traces d’Universal et de la Hammer en misant sur l’hémoglobine et les créatures en tout genre. C’est ainsi que naît le célèbre cycle de Roger Corman, grand manitou de la série B, adaptant les macabres histoires d’Edgar Allan Poe. Qui, mieux que Vincent Price, pouvait donner corps aux héros sombres et torturés de Poe ? Corman, grand amoureux de l’écrivain depuis l’enfance, se lance dans l’adaptation de plusieurs de ses œuvres, entre 1960 et 1965, la plupart mettant en scène Price : La Chute de la maison Usher, La Chambre des tortures, ou encore Le Masque de la mort rouge… Au programme : décors gothiques, exploration de l’inconscient et fâcheuse tendance à enterrer les gens vivants. Price s’impose à sa façon précieuse et exagérée dans le rôle de Roderick Usher, ou fait des merveilles avec son second degré dans Le Corbeau, qui prend résolument ses distances avec l’œuvre de Poe pour verser dans le comique.


S’il ne renonce pas pour autant aux séries B horrifiques – dont certaines surfent encore sur la vague prolifique des adaptations de Poe (comme La Cité sous la mer ou Le Cercueil vivant) –, la transition vers les années soixante-dix s’amorce sous le signe de l’autodérision. Se moquant volontiers de lui-même à la télévision, Price apparaît également dans la série Batman, dans le rôle de Crâne d’œuf, mais également dans une parodie de film d’espionnage avec Dr. Goldfoot and the Bikini Machine, ou encore dans la comédie horrifique L'Abominable Dr. Phibes. Un film qui ne tardera pas à devenir culte grâce à son humour noir, ses décors art déco flamboyants et ses moments de comédies à la limite du burlesque.

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Par la suite, l’acteur se fait de plus en plus rare au cinéma, poursuivant sa carrière sur scène, à la radio et sur le petit écran, car Vincent Price est également un homme de télévision dont les interventions touchent parfois au stand-up – qu’il rende hommage à Bette Davis lors d’une cérémonie formelle, qu’il se prête à l’une de ses publicités loufoques ou encore qu’il soit l’invité spécial des Muppets. Il se consacre également à sa passion de toujours ; l’art. Au fil des ans, d’apparitions télévisées en conférences, Price sera devenu une véritable référence, célébré pour son érudition comme pour son flair (il achètera son premier Pollock pour 50$ seulement). Fondateur du Vincent Price Art Museum, immense collectionneur et membre du White House Fine Art Committee, Price cultivera toute sa vie sa réputation de patron des arts.


Mais Vincent Price, c’est également un narrateur de génie, et bien que ses apparitions se raréfient, il continue de donner de la voix tout au long des années quatre-vingt. 

Une diction tranchante, précise, des intonations caressantes, un rire profond et grave ; si, comme le disait Stephen King, « la voix du démon est douce à l’oreille », celle de Vincent Price est proprement envoûtante. En 1982, Price accepte d’être le narrateur de Vincent, le premier court métrage d’un jeune réalisateur du nom de Tim Burton. Grand admirateur du comédien, Burton lui rend hommage à travers ce personnage de petit garçon se rêvant dans la peau de son héros, Vincent Price lui-même. « Il y avait une connexion, un lien émotionnel pour moi, ayant grandi en regardant les films de Poe », déclara le cinéaste. « Le personnage de Vincent avait une sensibilité. J'aimais croire Vincent, je le croyais. » Cette même année, Price joue encore de sa voix d’outre-tombe en se prêtant à l’un de ses plus fameux monologues, celui du Thriller de Michael Jackson... En 1986, il sera également le terrible professeur Ratigan de Basil, détective privé et enregistrera même, en 1990, la voix originale de l’hôte menaçant de l’attraction « Phantom Manor » à Disneyland Paris…

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Mais c’est sur grand écran que Vincent Price fera ses véritables adieux au public. C’est encore Tim Burton qui, au sommet de sa gloire, lui offre en son ultime apparition au cinéma avec Edward aux mains d’argent, en 1990. Pour ce film qui lui tient à cœur, le cinéaste réserve à son idole le rôle du créateur d’Edward, un doux excentrique vivant reclus dans une demeure gothique et qui mourra avant d’avoir achevé son « œuvre ». Malgré sa santé fragile, Price accepte le rôle avec joie. Il trouvera là un final à la hauteur de sa carrière, recevant enfin, à travers l’admiration d’un des cinéastes les plus prometteurs de sa génération, la reconnaissance de ses pairs si longtemps convoitée.


Vincent Price tire sa révérence en 1993, à l’âge de 82 ans. En plus de cinquante ans de carrière, le comédien s’est imposé comme l’une des figures mythiques du cinéma d’épouvante aux côtés des plus grands du genre ; Boris Karloff, Béla Lugosi, Christopher Lee ou encore Peter Cushing… D’autres acteurs auront fait de plus grands films ou tenu de plus grands rôles, mais peu auront ainsi inventé leur propre « personnage ». Qu’importe les scénarios de peu d’ambition, les rôles et les décors de série B, c’est toujours Vincent Price qui l’emporte avec son charme féroce, son jeu extravagant et sa voix pénétrante… Gentlemen parmi les monstres, prince de l’épouvante, Vincent Price confirme, en un haussement de sourcil sadique, que les méchants ont toujours les meilleurs rôles.


Par Camille Mathieu.