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Entretien avec William Lustig : B… comme Badass !

Maniac, Vigilante, Maniac Cop, Maniac Cop 2… En une poignée de titres, William Lustig s’est taillé une place de choix au panthéon de la série B anxiogène et musclée des années quatre-vingt.
Entretien avec William Lustig : B… comme Badass !

Maniac, Vigilante, Maniac Cop, Maniac Cop 2… En une poignée de titres, William Lustig s’est taillé une place de choix au panthéon de la série B anxiogène et musclée des années quatre-vingt. Aujourd’hui rangé des voitures, il revient sur une riche carrière exclusivement tournée vers le cinéma d’exploitation, ce qui n’exclut pas une certaine volonté d’indépendance artistique, comme nous allons le constater au fil de ses réponses. Entretien avec le cinéaste qui a bien failli faire True Romance à la place de Tony Scott !


Entretien par Stéphane Moïssakis, 2019.

S : Comment avez-vous débuté dans l’industrie du cinéma ?

 

W : J’ai découvert le cinéma à la fin des années soixante, quand j’avais environ 13 ou 14 ans. À cette époque, les films qui m’ont marqué étaient Bonnie & Clyde, Bullitt, La Horde sauvage de Sam Peckinpah… Ce sont les films qui m’ont donné envie de faire du cinéma, ce qui semblait être un rêve impossible, étant donné que je n’avais aucune connexion dans le milieu. Un peu plus tard, j’ai eu l’opportunité de faire un stage dans une boîte de post-production durant mes années de collège. J’y ai appris toutes les techniques de montage, et c’est à travers cette expérience que j’ai pu obtenir des postes en tant qu’assistant de la production sur des films qui étaient tournés à New York à l’époque.

 

S : Sur votre fiche IMDB, il est stipulé que vous avez réalisé deux films pornographiques sous le pseudo de Billy Bagg. C’est bien vous ?

 

W : C’est bien moi ! J’avais travaillé sur quelques productions pornographiques sur lesquelles j’ai tourné une poignée de scènes chaudes, et c’est à ce moment-là qu’on m’a proposé de réaliser un film entier. Il s’agissait de The Violation Of Claudia, avec Sharon Mitchell et Jamie Gillis. J’avais 21 ans à l’époque. Et c’est un film qui a été tourné comme n’importe quel autre film de l’époque, en 35mm, avec une caméra et un équipement Panavision, et il a d’ailleurs été diffusé un peu partout dans les salles de cinéma du monde entier.

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S : Et comment êtes-vous passé du cinéma porno au film d’horreur avec Maniac ?

 

W : J’ai toujours adoré les films d’horreur et j’ai toujours voulu en faire, y compris quand j’étais en train de tourner des films pornographiques. Après avoir tourné The Violation Of Claudia et Hot Honey en 1977 et 1978, j’ai réuni le peu d’argent que je m’étais fait sur ces productions, et j’ai décidé de l’investir dans un nouveau projet. Avec l’argent que Joe Spinell et mon partenaire Andrew Garroni ont également investi, nous avons réussi à réunir 48 000 dollars et nous sommes partis tourner Maniac dans les rues de New York.

 

S : C’est un faible budget. Comment avez-vous réussi à boucler le film ?

 

W : Nous avons tourné avec ces 48 000 dollars, mais je savais que cela ne serait pas assez pour finir le film. Je me suis dit qu’il fallait tourner coûte que coûte, pour ensuite montrer les images à des investisseurs potentiels qui allaient nous permettre de boucler le projet. Au final, Maniac a coûté 135 000 dollars.

 

S : Le film est également écrit par Joe Spinell, qui interprète le personnage principal. Est-ce qu’on peut dire que c’était un comédien torturé ?

 

W : Pas vraiment. Je pense que Joe - en tant que fin observateur de l’âme humaine - savait apprécier le mal-être des gens et voulait le retranscrire à l’écran. Il aimait incarner des personnages sombres et torturés, c’est vrai. Mais ce n’était pas forcément quelqu’un de torturé pour autant. Le rôle lui a collé à la peau et lui a donné cette image, mais il n’était pas vraiment comme ça dans la vraie vie.

 

S : Et comment s’est déroulé le tournage ? Vous n’aviez pas les autorisations pour tourner dans la rue, n’est-ce pas ?

 

W : Non, nous avons d’ailleurs fait croire que nous tournions un film d’étudiants. J’avais tout juste 24 ans à l’époque, et mon équipe était très jeune. Et c’est ce qui nous a permis de tourner dans plusieurs endroits sans avoir de permis, ni l’assurance adéquate. C’est grâce à cette entourloupe que nous avons pu tourner le film avec un si faible budget.

 

S : Toutefois, vous vous êtes octroyé les services de Tom Savini pour les effets spéciaux de maquillage, et c’était déjà une vedette à l’époque. Comment l’avez-vous convaincu de faire Maniac ?

 

W : J’avais été très impressionné par les effets spéciaux du Zombie de George A. Romero à l’époque, et j’avais entendu dire que Tom Savini était dans le coin au moment où nous allions tourner Maniac. Et en effet, il tournait le premier Vendredi 13 dans le New Jersey à ce moment-là. Avec Joe et Andrew, nous sommes allés lui rendre visite pour lui demander de collaborer sur Maniac. Il commençait déjà à être connu à l’époque, car Zombie lui a servi de carte de visite, et il recevait beaucoup de propositions pour faire les effets spéciaux sur d’autres productions plus importantes que la nôtre. Mais à l’époque, Tom venait de se séparer de sa petite amie à Pittsburgh avant de rejoindre le plateau de Vendredi 13, et il ne voulait pas retourner à Pittsburgh après la fin du tournage. Comme nous lui avons assuré que nous pouvions lui trouver un appartement à New York, il a décidé de s’engager sur Maniac.

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S : Et pour le remercier de sa participation, vous lui faites sauter le caisson dans le film !

 

W : C’est amusant, car même s’il adore faire des effets spéciaux, Tom Savini aime surtout faire l’acteur. Du moins à l’époque, c’était clairement le cas. Donc c’était important pour lui d’avoir un rôle dans le film, et nous nous sommes dits « pourquoi pas » ? En lui donnant ce rôle spécifiquement, nous avons pu utiliser des moulages de sa tête qu’il avait déjà créée avant de tourner le film, ce qui signifie que nous avons pu les utiliser gratuitement et que la séquence ne nous a pas coûté très cher !

 

S : Maniac est un film très fort. Comment a-t-il été reçu à sa sortie ?

 

W : Quand nous l’avons montré pour la première fois au marché du film à Cannes, il y avait beaucoup d’attente autour du film. Les fans de cinéma d’horreur et les distributeurs voulaient vraiment voir le film. Le souci à l’époque, c’est que les films comme Maniac, Massacre à la tronçonneuse ou encore Zombie étaient interdits en France. Je trouve que le distributeur René Chateau a démontré une certaine audace en achetant les droits de distribution du film pour la France, sans savoir quand il pourrait vraiment le diffuser en salles. Il espérait juste que la loi allait changer, et c’est ce qui a fini par arriver, très peu de temps après !

 

S : Et aux États-Unis ?

 

W : Le film est sorti après une vague de plusieurs slashers, et il en a pâti. Non pas sur le plan financier, mais notamment sur le plan socio-politique. Il est vrai que Maniac est un film fort, et il a tout simplement amplifié la violence qui était déjà inhérente au genre. Le poster du film a fait sensation, avec ce couteau maculé de sang, cette tête coupée, et ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour les politiciens de l’époque, mais aussi pour les groupes féministes. Mon film représentait tout ce qu’ils détestaient et ils ont décidé de le pointer du doigt de manière très virulente.

 

S : Est-ce que cela a posé un souci pour la distribution du film ?

 

W : Oui, car Maniac faisait le tour des grandes villes aux États-Unis et à chaque fois, il y avait des manifestations devant les salles de cinéma, donc cela devenait difficile de pouvoir montrer le film. Mais je parle principalement de la distribution du film à l’époque, car cette aura sulfureuse a grandement aidé le film à faire carrière sur le long terme et à devenir un objet culte. Du coup, la polémique a été vraiment favorable à Maniac, même si on ne s’en rendait pas forcément compte à l’époque.

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S : Vous avez ensuite enchaîné avec Vigilante, qui est totalement différent. C’est un polar urbain qui semble s’inspirer de la vague des films policiers européens des années soixante-dix. C’était bien votre influence ?

 

W : Tout à fait. J’adore cette vague de films d’exploitations européens, et notamment italiens, qui ont suivi la sortie de French Connection, L’Inspecteur Harry et Un justicier dans la ville. À l’époque, j’étais fasciné par leur rythme, leur ambiance, leur style ou encore la musique si particulière et quand je me suis lancé dans Vigilante, je ne voulais pas faire un film qui allait ressembler à une énième copie du film avec Charles Bronson. Je le voyais plutôt comme une sorte de western spaghetti urbain. Nous avons donc travaillé la lumière, la musique et bien d’autres aspects du film avec cette idée en tête.

 

S : Il y a également un peu de blaxploitation, avec la présence de Fred Williamson. En somme, vous faisiez déjà ce que Quentin Tarantino allait faire dix ans plus tard, en intégrant le spectre de votre cinéphilie à travers un seul et même film…

 

W : Oui, mais je n’ai jamais vraiment pensé à rendre hommage à la blaxploitation en engageant Fred Williamson. En fait si, mais pour l’utiliser à contre-emploi justement. J’aime bien engager des acteurs reconnus pour les faire interpréter des personnages qui s’éloignent sensiblement de leur persona cinématographique, et dans le cas de Fred, je voulais qu’il interprète un personnage plus terre-à-terre, loin de sa personnalité flamboyante dans Black Caesar, le parrain de Harlem. À l’origine, pour le rôle de Robert Forster, j’avais en tête l’acteur Tony Musante, que j’aimais beaucoup. C’est un acteur trop méconnu, qui nous a quittés récemment et qui n’a pas eu la reconnaissance qu’il mérite. Par exemple, dans L’Incident de Larry Peerce, il était formidable. Mais cela ne s’est pas fait, et nous nous sommes rabattus sur Robert Forster que j’avais adoré dans L'Incroyable Alligator de Lewis Teague. Aujourd’hui, je ne vois personne d’autre dans le rôle principal.

 

S : Et puis, il y a le formidable Woody Strode, à qui vous offrez une baston mémorable dans la scène des douches de la prison. Malgré ses 70 ans, il était vraiment « badass » dans Vigilante !

 

W : Oui ! En écrivant le personnage, j’ai carrément noté son nom dans le scénario, en précisant qu’il nous fallait un comédien de la trempe de Woody Strode, sinon personne n’allait y croire ! Et nous avons contacté son agent, qui nous a confirmé qu’on pouvait l’avoir pour Vigilante, donc j’étais aux anges. D’ailleurs, quand son personnage débarque dans le champ et assomme le maton d’un seul coup de poing, les spectateurs devenaient complètement dingues dans les salles de cinéma, c’était très réjouissant de voir ça !


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S : Ce qui est très intéressant avec Vigilante, c’est que le film appartient à un genre très contesté d’un point de vue politique. Et pourtant, vous parvenez justement à éviter d’inscrire dans un courant politique, notamment en renvoyant tous les protagonistes dos à dos…

 

W : Vigilante montre l’anarchie qui régnait à l’époque aux États-Unis. Dans les années soixante-dix, le taux de criminalité était très élevé dans des villes comme New York, et il existait des groupes de vigilantes du type de ceux que l’on montre dans le film. Je ne pense pas que ces personnes se positionnaient politiquement comme des gens de gauche ou de droite. Ils voulaient juste survivre. C’est ce que je voulais montrer de manière relativement neutre, mais en somme cela revient à faire un western urbain qui traite de survie en milieu hostile.

 

S : Vous avez également tourné à New York. Est-ce que le tournage a été plus facile que celui de Maniac ?

 

W : Non, car le film était déjà plus gros. Nous avions des acteurs reconnaissables, une équipe de tournage plus lourde et nous ne pouvions plus nous faire passer pour des étudiants en cinéma. En ce sens, c’était plus compliqué, car nous devions suivre les règles. Mais la ville de New York a coopéré avec la production, même si le tournage était plutôt compliqué. Par exemple, nous avons dû bloquer plusieurs rues pour le tournage de la poursuite finale, et les habitants du coin nous en ont vraiment voulu et venaient se plaindre auprès de l’équipe.

 

S : Et contrairement à Maniac, le film est en CinémaScope !

 

W : Quand Maniac était montré au cinéma, c’était souvent dans des doubles programmes avec des films de kung-fu et à l’époque, ces films étaient tournés en CinémaScope. Ce qui me rendait dingue, c’est que ces films étaient censés être les plus petits films du double-programme, car Maniac était la nouveauté. Et pourtant, la comparaison m’énervait car mon propre film semblait rétrécir sur l’écran au point de ressembler à un timbre-poste. Alors je me suis juré de tourner Vigilante en écran large !

 

S : On en arrive à Maniac Cop, qui sort en 1988. Le film est évidemment très différent de Maniac, mais avec ce titre, est-ce que c’était tout de même une manière de jouer sur la réputation du film ?

 

W : Je n’ai jamais voulu faire de suite à Maniac. Un jour, nous étions en train de déjeuner avec Larry Cohen et celui-ci me demande pourquoi je n’ai jamais fait cette suite. Selon moi, la fin de Maniac était une fin satisfaisante, fermée et il n’y avait rien à rajouter. À l’époque, les films qui cartonnaient en salles s’appelaient Robocop, Beverly Hills Cop (Le Flic de Beverly Hills) et d’un seul coup, Larry me propose Maniac Cop. J’ai trouvé que c’était un super titre ! En discutant un peu de ce que pourrait être le film, nous avons rapidement trouvé la phrase d’accroche de l’affiche : « Vous avez le droit de garder le silence… pour toujours ! ». Là, je me suis dit qu’on tenait un film. Ce déjeuner a eu lieu en février et nous avons tourné une scène en mars car nous voulions profiter de la parade de Saint-Patrick. Je n’avais pas de scénario, juste quelques pages écrites par Larry Cohen et j’ai demandé à Sam Raimi de venir interpréter un journaliste pour la télé, c’était sa petite apparition dans le film. Puis juste après, Larry a écrit le scénario en entier, et je suis allé démarcher des financiers, cette fois c’était Shapiro-Glickenhaus Entertainment qui a réuni le budget. Nous avons commencé le tournage en août de la même année.

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S : Comment avez-vous trouvé l’interprète du rôle-titre, Robert Z’Dar ?

 

W : J’ai découvert Robert Z’Dar dans un petit film méconnu du nom de The Night Stalker de Max Kleven. Il interprétait un tueur en série qui était poursuivi par Charles Napier, et il était vraiment terrifiant. Pendant la préparation de Maniac Cop, je n’arrêtais pas de me référer à sa performance, et quand nous passions les différents castings, je n’étais pas satisfait des autres comédiens. Je me référais sans cesse à sa présence, tant et si bien que les producteurs m’ont dit qu’il fallait lui proposer le rôle. Et quand il est venu passer son casting, il était évident que c’était la bonne personne pour incarner Matt Cordell, le « Maniac Cop ».

 

S : Maniac Cop a été tourné à New York, quelques années avant la fameuse « tolérance zéro » du maire Rudolph Giuliani. Est-ce que vous pensez que le film pourrait se faire aujourd’hui, alors que la ville semble moins dangereuse qu’à l’époque ?

 

W : Aujourd’hui, la situation est différente. Et notamment parce que la police subit une certaine pression, car elle doit répondre de la manière agressive par laquelle elle traite la criminalité à New York. Du coup, nous nous retrouvons dans une situation similaire à celle des années soixante-dix, car les policiers ont pour ordres d’être moins agressifs. La conséquence de tout cela, c’est que le crime augmente aujourd’hui de plus en plus à New York. Et c’est vrai que la ville est aujourd’hui différente de celle de l’époque où nous avons tourné Maniac Cop, car désormais, ce sont les nantis qui vivent à New York. Nous travaillons sur une sorte de relecture de Maniac Cop qui sera produite par Nicolas Winding Refn, et cette nouvelle version prendra compte de cet aspect contemporain. Cela sera intéressant de montrer des nantis qui se sentent en état de siège dans une ville aux prises avec la criminalité rampante.

 

S : Dans Maniac Cop, il y a également Bruce Campbell, dans son premier rôle conséquent après les films de Sam Raimi. Et d’ailleurs, il joue relativement sérieusement pour la première fois de sa carrière…

 

W : On en revient encore à la notion d’engager des comédiens pour les utiliser à contre-emploi. Maniac Cop est influencé par le film noir des années quarante et le personnage interprété par Bruce Campbell s’inscrit totalement dans cette tradition. Il trompe sa femme avec sa partenaire, la fait tuer malgré lui et devient le premier suspect. Et je trouvais que Bruce serait parfait pour interpréter ce type de personnage.

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S : Et vous le faites mourir dès les premières minutes de la suite !

 

W : Oui, toujours dans le but de surprendre les spectateurs. Larry Cohen et moi-même étions d’accord sur le fait que nous avions exploré la relation entre son personnage et celui de Laurene Landon, et il n’y avait aucun intérêt à poursuivre dans cette direction. Ce n’était pas dû au fait que nous voulions nous débarrasser de Bruce Campbell, mais il nous fallait introduire des nouveaux personnages et des nouvelles vedettes. À ce propos, le casting de Robert Davi pour Maniac Cop 2 s’est fait de façon assez cocasse. La préparation du film était bloquée pour des raisons légales. Plutôt que de rester à Los Angeles et me morfondre en attendant que la situation soit réglée, j’ai accepté une invitation pour venir à Paris et faire partie du jury du festival du Grand Rex. Une fois sur place, j’ai été invité à déjeuner par le distributeur français du premier film, et en me baladant sur les Champs Élysées, j’aperçois l’affiche de Permis de tuer, le James Bond dans lequel Robert Davi incarne le méchant. Au moment du déjeuner, on me demande comment avance cette suite, et qui sera à l’affiche du film. Machinalement, je réponds « Robert Davi » et là, le distributeur fait montre de son enthousiasme. « Robert Davi, il est fantastique ! ». En sortant du déjeuner, je me précipite à mon hôtel et j’appelle la production à Los Angeles pour leur dire de trouver Robert et de lui faire une offre. Nous finissons par le retrouver, il était en train de tourner un film au Brésil, et il accepte de lire le scénario puis de faire le film. Son seul souci était que le film s’appelait Maniac Cop 2 ! Mais je lui ai rétorqué que c’était la façon dont le film avait été vendu aux distributeurs du monde entier !


S : Maniac Cop 2 est un film complètement dingue. On dirait le premier sous stéroïdes. C’est vraiment le film américain le plus proche de ce qui se faisait dans le cinéma d’action de Hong Kong à l’époque !

 

W : Et c’était clairement notre influence ! Avec le chef cascadeur Spiro Razatos, nous tournions Maniac Cop de jour, et le soir, nous allions voir tous les films de Hong Kong qui passaient à Chinatown. Nous avons découvert les films de John Woo, Tsui Hark, Jackie Chan et on les trouvait vraiment incroyables. Alors pour la suite, nous avons décidé de nous en inspirer pour créer des cascades de plus en plus folles.

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S : Et votre mise en scène s’adapte également à ce style énergique, non ?

 

W : C’était l’idée. Prenez par exemple l’une des premières scènes du film. C’est une cascade exécutée par Spiro Razatos lui-même. Un criminel passe par la fenêtre, atterrit sur le toit d’une camionnette, puis au sol. Il se relève mais se fait tirer dessus par un flic. C’est Robert Davi, qui range ensuite son arme et quitte la ruelle pour s’engouffrer dans la ville de New York. Le tout en plan-séquence, car je me suis dit que c’était un excellent moyen de présenter son personnage. Là encore, le film n’a pas été facile à tourner, car nous étions en hiver, à New York, en train de tourner plusieurs cascades dangereuses. C’est quand je me suis installé à Los Angeles que j’ai compris qu’on pouvait tourner des films tout en restant au chaud !

 

S : Par contre, vous n’êtes pas totalement responsable de Maniac Cop 3. D’ailleurs, vous n’avez pas tourné toutes les scènes qui sont dans le film à l’arrivée, si ?

 

W : Maniac Cop 3 est un ratage et j’en suis en partie responsable. Cette suite n’a pas été conçue dans le même esprit que celui des deux premiers films. À l’origine, le personnage principal du film devait être un détective noir et l’intrigue devait se dérouler à Harlem. C’était un parti pris intéressant car cela donnait une variation de La Fiancée de Frankenstein pour ce qui touche au personnage de Cordell, mais une variation mâtinée de vaudou du fait de la culture de notre héros. Pendant que nous étions en train de travailler sur la préparation du film, les producteurs m’ont appelé pour me dire qu’ils avaient du mal à boucler le financement et selon eux, c’était du au fait que le héros du film était noir. Le marché étranger le plus important pour nous était le Japon, et apparemment, ils ne voulaient pas pré-acheter le film. Les négociations ont duré une semaine de plus, et nous ne savions pas quel était le véritable souci. J’ai fini par suggérer aux producteurs de demander aux acheteurs japonais s’ils seraient intéressés par le film si nous acceptions de le faire avec Robert Davi dans le rôle principal. La réponse ne se fit pas attendre, c’était oui. Sauf qu’avec ce changement de casting, je me retrouvais avec un scénario qui n’avait plus aucun sens à mes yeux. De plus, les financiers engageaient des producteurs exécutifs qui décidaient de réécrire le film en rajoutant des scènes explicatives, le genre de choses que j’ai toujours évité de faire dans mes films. Les vingt premières minutes de Maniac Cop 3, ce sont des scènes que je n’ai pas tournées et qui ont été ajoutées par la suite car nous avons dû tailler dans le scénario et la production a dû compenser, pour être sûrs d’avoir une durée acceptable pour un long-métrage. C’était vraiment une expérience éprouvante pour moi, je n’avais jamais vécu une telle situation, et tout cela était dû au fait que nous devions sécuriser le marché japonais. Même des années après les événements, cela me rend dingue d’en parler.

 

S : À cette époque-là, vous deviez également tourner True Romance, d’après le scénario de Quentin Tarantino. Est-ce que vous avez travaillé dessus ? Que s’est-il passé ?

 

W : Oui, j’ai travaillé sur la pré-production de True Romance avant que la production ne s’arrête. J’avais avancé sur le casting du film, et j’ai même fait quelques repérages à Detroit, pour trouver les lieux de tournage. Un jour, on m’annonce que la production est mise en attente, sans qu’on m’en donne la raison. Je n’avais rien fait de travers, mais sans nouvelles de la part des producteurs, je suis rentré chez moi et on m’a demandé de travailler sur Maniac Cop 3. Comme je n’avais plus de travail, j’ai accepté à la condition de ne pas tourner plus de huit semaines. Le premier jour de tournage de Maniac Cop 3, je reçois un appel des producteurs de True Romance qui m’annoncent que Tony Scott allait reprendre le scénario et tourner le film. Impossible de contre-argumenter, car le budget était passé de 3 millions de dollars à 20 millions de dollars, du fait que Tony Scott était un réalisateur très côté à l’époque. C’était une situation vraiment dévastatrice pour moi, et je n’ai pas vraiment réussi à me concentrer sur Maniac Cop 3 par la suite. J’aurais mieux fait de partir me ressourcer dans une cabane à la montagne plutôt que de tourner un film à cette époque-là !

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S : Quelle était votre vision de True Romance ?

 

W : J’avais en tête un film plus sec, moins stylisé que celui que vous connaissez. Disons que Tony Scott a fait un film MTV, alors que dans mon esprit, je voulais plutôt faire un film à la manière de ceux de Don Siegel. L’ambiance aurait été très différente, plus âpre et plus noire.

 

S : Uncle Sam est votre dernier long-métrage en tant que réalisateur, et il est sorti directement en vidéo en 1996. Pourquoi avoir arrêté le cinéma après ce film ?

 

W : Dans les années quatre-vingt, quand je faisais des films comme Maniac Cop, Psycho Killer ou encore Hit List avec une compagnie comme Cinetel Films, nous nous mettions d’accord sur le scénario, le budget, le casting et c’était réglé. Je partais faire le film et je leur présentais le résultat neuf mois plus tard. Personne ne venait me demander des comptes et je n’ai d’ailleurs jamais pensé que cela avait un intérêt de fonctionner comme ça pour faire du cinéma. Je pensais que le succès allait me permettre d’obtenir plus de liberté, mais cela n’a pas été le cas. Au contraire même, car les années quatre-vingt-dix ont été très difficiles de ce point de vue. D’une part, le marché de la VHS s’est écroulé et il est devenu plus difficile de faire financer des petits films indépendants comme les miens. Mais de plus, j’avais l’impression d’être constamment pris à partie par des producteurs exécutifs qui voulaient retoucher les scripts ou remettaient en question mes choix artistiques. C’était épuisant et j’en ai eu vraiment assez, car j’avais le sentiment de faire marche arrière dans ma carrière. Dans le cas de Uncle Sam, je me suis retrouvé bien malgré moi au sein d’une controverse entre mes financiers et leurs avocats. Ces derniers ont eu vent de ma « réputation » de réalisateur sulfureux et violent due à Maniac et ont prévenu les financiers qu’il fallait me maîtriser, afin que je ne transforme pas Uncle Sam en film classé X. J’ai dû signer des accords qui stipulaient que je ne pouvais pas tourner des plans trop violents et nous avons donc tourné le film de cette manière. Mais quand nous l’avons montré aux distributeurs potentiels, ils se sont plaints que le film n’était pas gore ou violent. C’est à se taper la tête contre les murs ! C’est vraiment à ce moment-là que je me suis dit que je ne pouvais pas travailler de cette manière. C’est comme si on me répétait constamment que je ne savais pas ce que j’étais en train de faire, que je ne savais pas comment faire du cinéma. J’ai donc préféré en rester là.

 

S : Aujourd’hui, votre carrière est reconnue à travers une série de remakes. Il y a le remake de Maniac produit par Alexandre Aja en 2012, et ce projet de relecture de Maniac Cop dont vous parliez plus tôt. C’est une belle revanche ?

 

W : Oui mais là encore, ce sont des projets que je vois évoluer de loin. J’ai un titre de producteur sur le remake de Maniac, mais c’est purement honorifique. Je n’ai pas vraiment travaillé sur le film, et je faisais totalement confiance à Alexandre Aja, Grégory Levasseur, au réalisateur Frank Khalfoun. J’ai juste négocié les droits avec eux et le producteur Thomas Langmann, c’est tout. Pour Maniac Cop, je suis un peu plus impliqué mais honnêtement, même là, il y a trop de têtes pensantes sur le projet. Je préfère donc suivre le film de loin, donner quelques idées ici et là, passer une tête lors du tournage et attendre de pouvoir le découvrir sur grand écran quand il sera terminé.


Entretien par Stéphane Moïssakis, 2019.