Happy Meal : le sandwich de Norman Bates
On les mets au four (histoire de les « croquer »), mais rarement sur le divan. Et pourtant, c'est toute une psychanalyse du sandwich que déploie le chef-d’œuvre matriciel d'Alfred Hitchcock.On les mets au four (histoire de les « croquer »), mais rarement sur le divan. Et pourtant, c'est toute une psychanalyse du sandwich que déploie le chef-d’œuvre matriciel d'Alfred Hitchcock. Ou comment l'assiette se fait le miroir du plus emblématique des psycho killers…
Par Clément Arbrun, article paru dans le Rockyrama n°29, toujours disponible ici !
Et si la Cène était la première des iconographies food porn de l'histoire ? Bien avant Instagram, on y célèbre les vertus de la nourriture, à savoir celles du pain, ce met curieusement en vogue en temps de pandémie mondiale, que déguste et partage le Christ lors de son dernier repas. Et c'est ce met que rompt justement un autre jeune homme et « fils de » un brin moins fréquentable pour l’ultime souper de sa convive : Norman Bates, gérant du Bates Motel, tête d’affiche qui s'ignore et méchant du Psychose d'Alfred Hitchcock. Mais aussi, humble gastronome à sa manière.
Si l'on vous dit Psycho, vous pensez douche, couloirs, serrure, escaliers, architecture gothique, coups de poignard musicaux de Bernard Herrmann. Motel évidemment. Mais pas forcément « cuisine ». Et pourtant, la nourriture dénote dans le film du maître du suspense. Elle prend donc la forme d'un très sobre sandwich, tranché avec amour par Norman, accompagné d'un verre de lait et proposé à une Marion Crane encore de ce monde. On est loin des festins que devait assaillir le cinéaste britannique : le plat est minimaliste et terne, le noir et blanc valorisant peu son attrait esthétique. Pas grand-chose à manger, tout à interpréter. Ce plat est celui que sert une mère à son enfant. À l'inverse, on imagine un jeune enfant s'aventurer dans les placards pour servir le même mets (simplissime) à une mère surmenée ou trop absente. Un plat ô combien familier au sein des foyers américains les plus anonymes. Et donc, très sentimental.
Tout du moins le croit-on, bien avant que nous soit dévoilée la liaison singulière qui unit Norman Bates et sa mère : le cuisinier amateur est un enfant (très) perturbé coupable de matricide. Dès lors, ce sandwich est à la fois le signe du refoulé (l'apparence d'une normalité qui se doit de perdurer dans la tête de Norman), l'écho d'un traumatisme (le plat d'une mère qui accablait son enfant), un motif criminel (on imagine très bien ce fils servir un sandwich à sa mère avant de l'assassiner) et une performance profondément pathologique : Norman Bates se prend pour sa mère et imite ses gestes jusque dans l'assiette. Un listing bien chargé n'est-ce pas ?
Fascinante, la suite « bâtarde » Psycho 2 (Richard Franklin, 1983) fera revenir ce sandwich, confectionné par un Norman vieilli et solitaire, cherchant à étouffer traumatismes et passé meurtrier. Lors d'une scène, l'ancien gérant propose à l'une de ses visiteuses ce casse-dalle... avant de la tuer d'un coup de pelle. Le sandwich devient dès lors la marque de fabrique pulsionnelle d'un serial killer. Comme le motel, il est une forme d’éternel retour, l'ingrédient d'une histoire de fantômes où le hanté n'est autre que Norman lui-même. Celui-ci l'explique très bien au personnage de la jeune Mary, qui cherche à sauver son âme : « Vous sentez... comme les sandwichs au fromage grillé que ma mère m'apportait quand j'étais au lit avec de la fièvre. Elle faisait beaucoup de bonnes choses pour moi avant de devenir... Les bonnes choses, je ne m'en rappelle pas. Elles ne sont plus là. Les docteurs les ont effacées avec tout le reste. Tout le reste, sauf... sauf ces sandwichs au fromage grillé. » Un monologue asséné larmes à l'appui.
Et si cette psychanalyse du happy meal vous semble quelque peu tordue, attardez-vous donc sur ce que becte Norman dans Psycho premier du nom : des Candy Corns, bonbecs au maïs dégustés avec beaucoup d’anxiété. Nourriture d'enfant encore une fois (très populaire à Halloween) et bouffe pathologique, dans la mesure où elle se gobe comme un toc – à répétition. Dans les suites – plus ou moins nécessaires – de Psycho, et jusqu’au remake plan par plan de Gus Van Sant, le sandwich devient un clin d’œil pour initiés. Avant d'assassiner, Norman décoche dans Psycho 2 « vous êtes sûre que vous ne voulez pas un sandwich ? », conscient que ce pain participe à sa légende. De l'humour noir qui va de pair avec le mauvais esprit bien connu d'Hitchock. Exemple : le cinéaste aurait fait manger des Candy Corns à Norman Bates car Anthony Perkins avait selon lui le cou « d'un poulet mangeant du maïs ».
Sur Internet, les fans sont friands de cet aspect easter egg. Des twittos nostalgiques prétendent même avoir adopté le fameux combo sandwich/verre de lait après avoir vu Psychose tout gamin – une étonnante incidence. D'autres ironisent, rappelant que le gérant du motel emploie l'intitulé « toasted cheese sandwich » et non « grilled cheese sandwich » (plus commun) suggérant « qu'il n'y a que des tueurs en série pour appeler ça comme ça ».
En parallèle, de nombreux blogueurs « foodistos » font honneur à ce totem tout de mie constitué. L'essentiel site Food and Film en propose par exemple un équivalent aussi healthy que gourmand : un grilled cheese végétalien à tremper dans une soupe à la tomate, un verre de lait d'avoine en supplément. « C'est un repas parfait pour une soirée pluvieuse d’automne, et puis la teinte sanguine de la soupe aux tomates est tout à fait appropriée », nous explique-t-on.
On s'en régale d'avance.
Par Clément Arbrun, article paru dans le Rockyrama n°29, toujours disponible ici !