Club VHS : Waterworld
Waterworld (1995 – Kevin Reynolds) Clément ArbrunIl y a dans Waterworld, improbable pendant aquatique de Mad Max II, comme un parfum de fin du monde. Et pas seulement parce qu'il s'agit d'un post-nuke. L'œuvre, précédée d'une réputation abominable, est de celles qui subjuguent par l'équation qu'elles proposent.
Qu'est-ce que Waterworld ? Une malédiction, un flop, une honte ? Son budget, récemment estimé à plus de 200 millions de dollars, véritable folie commerciale, l'a réduit à l'état de fiasco, or le film s'est tranquillement rentabilisé à l'étranger et via le succès en vidéo. Car, spécimen de plaisir bis à l'économie de série A, cette histoire de fonte glacière est avant tout l'idée qu'on peut se faire d'un généreux divertissement VHS, dont le fun régressif est dû en partie à sa constitution bordélique : ce que nous avons devant les yeux est à la fois un film de pirates (le look du bad guy ne trompe personne), une fantaisie futuriste aux allures prophétiques, une fable naïve où la Nature (l'homme-poisson) combat le pollueur (le smoker), un western moderne, ou encore un actionner attractif.
Son encombrant statut de grosse machine coûteuse est des plus embarrassants, quand on sait que Titanic fut son successeur, à la fois en termes d'œuvre marine et de mastodonte onéreux. Mais pourquoi mettre en parallèle leurs deux auteurs respectifs, d'autant plus que le scénario originel de Peter Rader, proposition honnête d'un film d'aventure de et pour les gosses, se rapprochait davantage d'un Conan le fils du futur ? Les mauvaises langues fustigent Kevin Costner et son interprétation monolithique... Ce serait passer sous silence l'engagement quasi-despotique de l'acteur dans cette entreprise démesurée comme seule l'usine à rêves sait les faire. Le voilà qui endosse le costume d'un mutant impitoyable proche de Riddick (rappelons que David Twohy occupe ici le poste de co-scénariste) - c'est-à-dire à l'attrait populaire incertain -, il investit 22 millions de sa poche pour éviter tant que faire se peut le naufrage du navire, il devient co-réalisateur du monstre et accepte de subir les railleries du milieu encore longtemps après ce voyage périlleux vers Dryland, dans ce qui serait le chemin sinueux vers l'exil artistique.
Nanar insignifiant et impersonnel ? Au contraire, Waterworld est une combinaison de caractères affirmés. Kevin Reynolds, loin d'être un faiseur, y déclare à la fois son amour du cinéma chaotique (La Bête de guerre) et de l'entertainment dynamique aux relents de fête foraine (Robin des bois, prince des voleurs). Quant à Costner, après avoir incarné l'Amérique en quête de justice (Les Incorruptibles) ou de vérité (JFK), il assume ici la figure de l'anti-héros, cow-boy solitaire naviguant à travers les vestiges d'une civilisation, annonçant un retour purificateur aux origines (et donc au western, prévisualisation de Postman et d'Open Range). Ultime ironie, Dennis Hopper pourrait être ce vestige : symbole glorieux d'un Nouvel Hollywood contestataire, il rempile ici pour un énième surjeu post-Speed. En lui seul se matérialise Waterworld : exubérance de cabotin à l'exagération épique, rejeton bâtard d'une époque, à la fois nul et grandiose, mais aussi objet mythologique. Car le mariner a un nom : Ulysse...
Waterworld (1995 – Kevin Reynolds)
Clément Arbrun