Haruomi Hosono : walking on the moon
C’est l’histoire d’un pays, d’un paquebot, de grandes ambitions, de mille sons et directions. C’est l’histoire, ou plutôt les histoires, d’un homme, Hosono, et ses multiples visages.C’est l’histoire d’un pays, d’un paquebot, de grandes ambitions, de mille sons et directions. C’est l’histoire, ou plutôt les histoires, d’un homme, Hosono, et ses multiples visages.
Une histoire qui débute dans la honte, celle d’une famille et d’un petit-fils, Haruomi Hosono, né le 9 juillet 1947 à Minato (Tokyo). Musicien, producteur, arrangeur, auteur et compositeur… Père fondateur du Yellow Magic Orchestra, pionnier de genres aussi riches que multiples (techno, hip-hop, pop), influenceur de Derrick May, Duran Duran, Mac Demarco ou encore L.A Preist (qui cite régulièrement « Madam Consul General of Madras » de Haruomi Hosono & Tadanori Yoko comme l’une de ses chansons d’île déserte)... Haruomi Hosono, héritier malgré lui d’un drame. En 1912, le RMS Titanic fait naufrage dans l'océan Atlantique Nord à la suite d'une collision avec un iceberg. Nous connaissons tous l’histoire, nous avons tous vu le film en salles en 1998. Entre 1 490 et 1 520 personnes trouvent la mort. Masabumi Hosono, né le 15 octobre 1870, lui, survit. Il est le seul passager japonais. Il a trouvé place au sein d’un paquebot de fortune, parvenant ainsi à échapper à son terrible destin. Ce que le peuple japonais, à son retour, ne lui pardonnera pas. Il a trahi l'esprit de sacrifice du samouraï. Son emploi et sa dignité lui sont donc confisqués. Masabumi Hosono est mort le 14 mars 1939. Haruomi est son descendant. Ce drame passé est aussi le sien.
Hosono, en activité depuis les glorieuses sixties et aujourd’hui âgé de 71 ans, est une légende pour beaucoup, mais un inconnu pour la majorité. Un trésor chéri par une poignée qui se partage ici et là des compositions disponibles, dans certains pays, uniquement sur YouTube dans des qualités très approximatives. Un trésor d’une incroyable et parfois improbable richesse. Par où commencer ? Où picorer ? Si la discographie d’Hosono est une boîte de chocolats, bonne nouvelle, aucun n’est ici fourré à l'écœurante liqueur. On y trouve un chocolat léger et fondant, celui des premières années, quand Hosono arpentait les coffee shops de Shibuya avec son groupe Happy End (la toute première formation locale à chanter en japonais sur des rythmes, eux, bien occidentaux) avant le split en 1973. On y savoure également le goût un brin plus prononcé de Tin Pan Alley. Plus qu’un groupe, une formation, une cohabitation de talents qui décida de se fixer dans un appartement situé à une heure de Tokyo pour créer sans entraves. L’ambition est grande et non voilée : Tin Pan Alley est le surnom de la musique populaire américaine de la fin du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle, mais également le nom donné, à New York, à la 28e Rue ouest, où les éditeurs musicaux s'étaient regroupés. Le meilleur album signé Hosono et ses amis de l’époque se nomme Hosono House. Un album d’americana.
Mais le premier album réellement important de l’artiste, selon nous, pardonnez d’avance le point de vue, historiquement et intimement, est sans nul doute celui paru en 1978 sous le nom de Paraiso (bien que d’aucuns lui préféreront une autre sortie de cette même année, Cochin Moon). Paraiso, d’une part, est l’un de ses albums les plus accessibles (la pop y est le genre dominant), mais aussi les plus aventureux. Il est le premier enregistré aux côtés de Ryuichi Sakamoto et Yukihiro Takahashi. Le Yellow Magic Band est en place, le Yellow Magic Orchestra, lui, commence à pointer le bout de son nez. De même que le ARP Odyssey, synthétiseur qui deviendra au fil des années l’un des piliers du son du YMO. Mais, toujours en quête d’une liberté qu’il juge devoir vaillamment conquérir, quand bien même elle serait à portée de main, il profite de chaque pause de son groupe « principal » pour creuser un sillon qui devient tranchée. Avec pour seule ambition celle, non pas d’aborder un genre, mais de le tordre, d’en extraire la sève afin de lui créer une autre, ou plusieurs autres formes. Sampling, looping, expérimentations 16-bits sur composition funk… Tout y passe. Tout est, à la fin du voyage, une création Hosono. Sa discographie officielle mentionne plus de vingt albums, autant de bandes originales (parmi lesquelles nous retiendrons surtout Video Game Music, composée uniquement de chansons de l’univers Namco, ou plus récemment la somptueuse musique sublimant les images d’Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda). Oh ! Sans oublier deux albums tribute réunissant Señor Coconut, Van Dyke Parks, Dr. John, Sheena & The Rokkets, Thurston Moore, Fennesz… Qui dit mieux ?
Van Dyke Parks a travaillé avec tout le monde. Vic Chesnutt, U2, Cher, Sam Phillips, Frank Black, The Beau Brummels, The Thrills, Scissor Sisters, Laurie Anderson… Brian Wilson, bien évidemment. Des histoires, courtes, drôles, anecdotiques ou fondatrices, il en a raconté depuis des décennies. En 2013, au cours d’un entretien, il se confie sur une rencontre toute particulière : « un groupe japonais du nom de Happy End est venu me voir en studio à Los Angeles. Ils ont débarqué sans prévenir, en affirmant qu’ils souhaitaient que je leur crée “The California Sound”. Je ne savais pas trop de quoi ils voulaient parler, et je leur ai donc dit de partir. Je leur ai dit que j’étais trop occupé avec mon propre album (Discover America). Mais Lowell George [songwriter américain, NDLR] s’est avancé vers leur manager et son attaché-case… Un attaché-case ouvert et rempli de billets de cent dollars. Il s’est tourné vers moi et m’a dit : “je pense que nous pouvons transformer ceci en musique”. Et c’est ce que nous avons fait. J’ai écrit une chanson qui s’appelait “Sayonara America”. C’est devenu un hit au Japon, et le groupe s’est fait un nom ». L’anecdote est révélatrice d’une audace et d’une envie profonde d’adopter des codes existants (encore une fois pour mieux s’en détourner par la suite). Mais quels codes exactement ? Tous. Au minimum.
L’année dernière, pas moins de cinq albums du maître furent réédités, entre juillet et septembre. Pour l’occasion, le journaliste Olivier Lamm, de Libération, se pencha sur son cas. Il se posa cette question : « Quelle ligne rouge unit les cinq disques, parus à des moments si différents des années de faste économique au Japon ? Outre la prescience formelle, constante et versatile, c’est précisément la voix du maître qu’on reconnaît, où qu’il rêve et quoi qu’il fasse, un riff nostalgique sur une guitare demi-caisse ou une séquence virtuose dans son échantillonneur ». En effet, des influences aux influencés, difficile de tracer une ligne droite, ou même tout simplement de garder le stylo sur la feuille sans se lancer dans la création de formes non identifiées. Il y eut plusieurs Hosono. Hosono Pop Superstar, chez lui, aux côtés de Ryuichi Sakamoto et Yukihiro Takahashi. Hosono ambient, technologique, au début des années quatre-vingt (« dans ma chambre, je couvrais le téléviseur avec une feuille semi-transparente et l'utilisais comme source de lumière. J'écoutais de la musique minimale comme Brian Eno et le label Obscure. J’ai joué un morceau dans lequel je passais simultanément un chant grégorien et une boîte à rythmes »). Hosono Synth Pop (le Yellow Magic Orchestra fut probablement le tout premier groupe à utiliser le célèbre Roland TR-808 sur scène). Hosono commercial, aussi. En 1983, le premier magasin Muji a ouvert à Tokyo et Hosono a été chargé de créer une musique de fond destinée à être utilisée en magasin. Sorti uniquement sur cassette (bien qu’il soit disponible en ligne), le résultat renverse avec brio l’idée que l’on peut se faire d’une bande sonore destinée à créer l’envie d’achat. Et puis, il y a le Grand Hosono. Un nom qui résonne plus fort que les autres. « Le rôle de Hosono au Japon a été davantage celui d’un mentor qu'un musicien », écrivait Terre Thaemlitz dans un article de 2003 sur la musique électronique japonaise. « La plupart des producteurs électroniques japonais actuels confessent toujours une dette envers la large influence de Hosono ». Et en effet, de 2ManyDJs à Peggy Gou en passant par Hunee, les créations (ne parlons plus de musique, encore moins de chanson) sont revisitées, réécoutées… La productrice égypto-iranienne Lafawndah ne s’en cache pas : « Sa curiosité engagée est palpable, et il a dessiné de nouvelles cartes musicales que nous essayons encore de déchiffrer ». Pas mieux.
Nico Prat
Texte initialement paru dans Otomo, en commande sur notre shop.