Entretien avec Adam McKay, réalisateur de Don't Look Up
DON’T LOOK UP – DÉNI COSMIQUE vient de débarquer sur Netflix, qui profite de son casting quatre étoiles (Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Jonah Hill, Ron Perlman, etc.) pour en faire son événement de fin d’année.DON’T LOOK UP – DÉNI COSMIQUE vient de débarquer sur Netflix, qui profite de son casting quatre étoiles (Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Jonah Hill, Ron Perlman, etc.) pour en faire son événement de fin d’année. Et pour nous, c’en est clairement un aussi, notamment parce qu’il est réalisé par Adam McKay, le responsable de certaines de nos plus grosses barres de rire de ces vingt dernières années (ANCHORMAN, FRANGINS MALGRÉ EUX en tête). C’était donc la bonne occasion d’aller lui poser quelques questions sur son nouveau film !
Entretien par Stéphane Moïssakis.
Stéphane Moïssakis : DON’T LOOK UP – DÉNI COSMIQUE est « basé sur des faits réels qui ne se sont pas encore déroulés » selon le carton d’introduction. Comment vous est venue l’idée de ce film qui raconte comment l’humanité toute entière va nier une imminente fin du monde ?
Adam McKay : Pour moi, le sujet le plus actuel de notre époque, c’est le réchauffement climatique. Et je me suis dit qu’il devait y avoir une façon de faire un film autour de ce sujet qui nous concerne tous. J’ai commencé par poser quelques idées sur le papier, et au cours d’une discussion avec mon ami David Sirota qui est journaliste, nous sommes tombés d’accord sur le fait que les médias ont tendance à ignorer le réchauffement climatique. En blaguant, David me dit « c’est comme si un astéroïde allait percuter la Terre mais tout le monde s’en fiche ». Là, je me suis dit que c’était la bonne idée : elle est simple, marrante et je suis parti de là pour écrire DON’T LOOK UP, avec la volonté de faire une comédie avec des scènes vraiment drôles, mais aussi de l’émotion. Je ne voulais pas faire un petit film austère qui s’adresse à un public d’initiés. Je voulais faire un film susceptible d’être vu dans le monde entier.
SM : Pour moi, vos œuvres ont généralement le doigt sur le pouls de la pop culture, que ce soit le cinéma, le sport et même le jeu vidéo puisqu’on sent une inspiration de GRAND THEFT AUTO dans VERY BAD COPS par exemple…
AM : C’est vrai, vous avez raison, je jouais beaucoup à GRAND THEFT AUTO IV à l’époque !
SM : Mais du coup, c’est difficile de ne pas penser à ARMAGEDDON de Michael Bay en regardant DON’T LOOK UP. C’est volontaire ?
AM : En réalité, j’aimais bien l’idée de détourner un type de films très familiers du grand public, que ce soit un film catastrophe comme ARMAGEDDON, un James Bond ou encore un film Marvel dans lequel le monde touche à sa fin. Il y a énormément de films qui traitent de la fin du monde, mais tout est toujours bien qui finit bien. J’aime le fait que ces films proposent un spectacle confortable, car cela nous permet de déjouer les attentes du public.
SM : Votre film, c’est un peu l’anti-ARMAGEDDON en fait ?
AM : Dans un sens oui, c’est ce que nous voulions faire : un film anti-hollywoodien dans le sens où les films hollywoodiens se terminent toujours bien. Mais notre idée, c’est de pointer du doigt que si personne n’agit, cette histoire ne va pas bien se terminer. Et d’une certaine manière, nous pourrions tous nous comporter comme le grand public – moi compris – et mener nos petites vies tranquilles mais dans ce cas précis, il faut vraiment agir, sinon on va vraiment se retrouver dans la merde.
SM : J’ai tendance à penser que DON’T LOOK UP appartient au registre de la satire, là où votre premier film ANCHORMAN serait plutôt une farce. Est-ce que c’est facile de pratiquer ce type de comédie plutôt offensive aujourd’hui, alors que tout est scruté, analysé et digéré sur les réseaux sociaux en un clin d’œil ?
AM : Ce que j’ai essayé de faire, c’est de rire de l’expérience commune que nous avons tous du monde d’aujourd’hui. Je pense que le public dans son intégralité peut se retrouver dans le fait que le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est totalement dingue, et c’est pourquoi la volonté reste de commenter absolument tout ce qu’il est possible de commenter, qu’il s’agisse des origines de l’un des protagonistes, comme du sexisme ou encore de la superficialité de certaines célébrités. La vraie blague, c’est que nous vivons dans un monde dans lequel nous sommes constamment dépassés. Les événements, les sujets et les problèmes se télescopent, tant et si bien qu’il est très difficile d’avoir du recul sur ce qui se passe. D’après les retours que nous avons de la part des spectateurs, le film fonctionne bien. Le public a tendance à rire, quelque soit son appartenance politique, ses convictions religieuses, son genre, sa sexualité, etc… Disons que le film s’attaque à un terrain qui s’apparente à une expérience commune. Sur l’idée de considérer qu’un film comme ANCHORMAN puisse être une farce au lieu d’une satire, je ne sais pas… Je dirais que je me penche toujours sur le travail de certains artistes que j’admire, comme Ralph Steadman par exemple. C’est un dessinateur qui m’a beaucoup inspiré pour DON’T LOOK UP, car c’est un artiste qui dessine des petits commentaires sociaux sous forme de cartoons. Et son travail est à la fois perturbant, tout en restant amusant. C’est un peu le ton que je recherchais pour ce film.
SM : Je tiens à préciser que le fait de considérer ANCHORMAN comme une farce n’est pas une critique négative de ma part. Au contraire, j’adore le film…
AM : Je comprends et je ne le prends pas mal du tout. Mais c’est intéressant car on cherche souvent à définir ce que sont ces films, non ? Et je trouve que c’est difficile à faire. Par exemple, je me souviens qu’à la sortie de VICE, on me demandait souvent si je considérais le film comme une comédie. Et pour moi, ça n’en est pas une. Mais une certaine partie du public considère que c’est le cas. Même chose avec DON’T LOOK UP : si vous me demandez mon avis, je considère que c’est une simple comédie, avec des éléments dramatiques dedans. Pas vraiment une satire en fait. Mais pour certains, c’est carrément un film d’horreur ! Je pense que la réalité de la situation, c’est que nous vivons dans un monde fracturé et non linéaire, dans lequel les genres traditionnels ne sont plus aussi faciles à cerner qu’auparavant. Quand je regarde un film qui se borne à un seul genre, j’ai tendance à m’ennuyer. Je préfère avoir plusieurs sensations différentes, je veux que ce soit absurde, triste, réel, terrifiant… Un peu comme GET OUT par exemple, qui reste l’un de mes films préférés de ces dix dernières années parce que c’est précisément ce que le film propose.
SM : Comment est-ce que la pandémie a changé le ton du film ?
AM : Nous étions en train de faire des repérages à Boston, et nous avions déjà une partie du casting, avec Jennifer Lawrence, Ron Perlman et Meryl Streep. Tout à coup, nous avons compris que le Covid ne serait pas une simple grippe saisonnière. Le lendemain, nous sommes tous rentrés à la maison et nous sommes restés confinés pendant des mois, comme tout le monde. Et le plus étrange a été de constater que cette situation était un miroir de certains événements que nous voulions raconter dans le film. Je vais prendre un exemple précis : dans le film, nous parlons du « déni de comète » car une partie de la population ne croit pas en son existence. Mais aux États-Unis ou au Brésil, comme dans d’autres pays d’ailleurs, il a fallu faire face au déni du Covid. Et pour que DON’T LOOK UP reste une comédie, j’ai dû forcer le trait, rendre la situation encore plus dingue qu’elle ne l’était avec la pandémie. Je n’ai pas énormément réécrit le scénario, mais juste de quoi faire en sorte que le film ne semble pas ressasser les événements de la pandémie que nous sommes en train de traverser.
SM : Vous travaillez énormément dans l’improvisation, notamment avec des comédiens comme Will Ferrell et Steve Carell qui sont très connus pour ça. Est-ce que c’est également le cas sur ce film ?
AM : Oui. Ce qui est génial avec l’improvisation, c’est que les acteurs adorent savoir qu’ils ont la liberté de changer un dialogue à la volée. Du coup, on tourne toujours trois ou quatre prises en respectant le scénario, puis je leur fais comprendre qu’ils peuvent essayer autre chose s’ils le souhaitent. Et c’est quelque chose qui se met doucement en place, au fur et à mesure des prises et des propositions que les acteurs peuvent faire, qui me donnent également des idées que je note dans un coin et que je leur propose. On change une ligne, une attitude parfois et c’est très bénéfique, même si les acteurs ont tendance à réagir différemment dans le cadre de l’improvisation. Ce qui est certain, c’est que tous les acteurs apprécient cette liberté et ont tendance à se détendre, ce qui leur permet de faire un meilleur travail, même sur des lignes de dialogue qui viennent du scénario. Et même si les improvisations ne sont pas parfaites, il est possible de capturer des moments très humains. Pour moi, il n’y a pas de mauvais côtés dans l’improvisation. Si vous avez le temps et l’argent pour vous le permettre, ça vaut vraiment le coup d’essayer. Et je dis toujours aux acteurs de ne pas se préoccuper de ce qu’ils me proposent. Si cela ne convient pas, je ne l’utiliserai pas dans le montage du film. Sur ce film, nous avons un peu plus improvisé que sur VICE par exemple. Mais si je dois faire un calcul grossier, je dirais qu’on se retrouve avec 15% d’improvisation sur DON’T LOOK UP, alors que le reste du film provient de ce qui était écrit dans le scénario. Mais l’improvisation apporte une certaine énergie au film, et j’aime vraiment ça. Toute l’équipe reste sur ses gardes et fait très attention à ne rien rater quand nous sommes en train d’improviser.
SM : D’ailleurs, on sent depuis quelques films que vous avez également libéré votre style visuel, qui est moins rigide qu’auparavant…
AM : C’est vrai. Auparavant, j’avais tendance à filmer les séquences d’improvisation de manière plus traditionnelle. Mais aujourd’hui, je travaille avec le monteur Hank Corwin et le compositeur Nicholas Britell, qui ont tendance à improviser eux aussi. Et ce que cela implique, c’est que nous infusons cet état d’esprit dans la fabrication du film, ce qui est très stimulant pour moi. Avec Hank, on s’autorise des coupes de montage brusques par exemple. Et sur mes deux derniers films, nous avons commencé à tourner notre propre stock d’archives, que ce soit avec des téléphones, en format vidéo et même Super 8 et j’adore faire ça ! L’un de mes compliments préférés, c’est quand on me demande d’où vient telle ou telle archive et que je réponds que c’est nous qui avons tourné ce petit passage. Cela brouille les pistes, on ne sait plus ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Mais vous avez raison, la forme de mes films tend maintenant à se rapprocher du fond et de la façon dont je dirige mes comédiens, et c’est quelque chose qui me stimule beaucoup. Ce n’est pas une méthode qui plaît à tout le monde, certains préfèrent une approche plus classique mais moi, j’adore ça.
SM : L’un des points vraiment intéressants de DON’T LOOK UP, c’est que vous ne déresponsabilisez pas les médias et notamment les réseaux sociaux, qui font partie intégrante de notre vie et qu’on retrouve pourtant rarement au cinéma…
AM : Il est certain que le monde a changé. Personnellement, j’englobe beaucoup de choses dans les médias. Je pense aux réseaux sociaux, à la télévision, aux applications, aux accroches publicitaires, aux journaux, ou encore à la façon de partager des informations par le biais des SMS. Et nous en parlons beaucoup avec mon monteur Hank Corwin, car nous essayons vraiment de traiter cet aspect comme un protagoniste à part entière dans mes trois derniers films. Car pour moi, si on combine tous ses éléments, c’est un peu comme s’il y avait une nouvelle personne dans votre vie. Un oncle, un frère ou une sœur qui occupe une certaine place. Dans les années 70 et 80, ce protagoniste n’était pas là. Mais maintenant, il fait partie intégrante de notre vie, à divers degrés. Et c’est vrai que dans le cadre de DON’T LOOK UP, j’avais envie de signifier l’importance des réseaux sociaux. C’est le truc en plus qui me permet de raconter une intrigue qui s’inscrit un peu plus dans le monde réel. Si je n’en parlais pas, le film ne serait pas crédible. Mais vous avez raison, c’est un élément qu’on retrouve peu au cinéma, peut-être un peu plus dans les séries télés.
SM : Une dernière question à propos de votre relation désormais distante avec Will Ferrell : est-il possible de recoller les morceaux ? J’adorerais vraiment voir la fin de l’histoire de Ron Burgundy, ou même une suite de FRANGINS MALGRÉ EUX par exemple…
AM : Vous savez quoi ? J’adorerais aussi ! On va se rabibocher, je pense. Cette histoire a été un peu montée en épingle, ce n’est pas aussi grave que ça en a l’air. C’est vrai que ce n’est pas facile de fermer une société de production, et ça ne se passe pas toujours de manière harmonieuse mais j’adore Will et je suis d’accord avec vous, j’aimerais vraiment pouvoir retravailler avec lui car je suis très fier des films que nous avons faits ensemble.
Remerciements à Charley Destombes et Radia Kerroumi.
Entretien par Stéphane Moïssakis.
DON’T LOOK UP – DÉNI COSMIQUE est disponible dès maintenant sur Netflix.