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Quand Eastwood se fait petit

Des affres dans lesquelles Eastwood n’a jamais été précipité. Les Oscars, il les a récoltés aux meilleurs moments pour s’éviter ces pièges.
Quand Eastwood se fait petit

À l'occasion du cycle Clint Eastwood sur RTL9, il est important de rappeler que Clint Eastwood a effectué sans aucun cynisme de multiples virages dans sa gigantesque carrière et maîtrise l'art du contre-pied bluffant.


Il est évident aujourd’hui que Clint Eastwood est une statue d’amiral dans le jardin du cinéma américain. Un auteur incontournable de la culture moderne, et surtout, un cinéaste respecté. Les studios Warner, dernière grande maison à conserver cette culture du cinéaste exclusif, signent aveuglément des chèques pour chaque nouveau projet de ce qu’ils considèrent comme leur dernier géant, depuis la mort de Stanley Kubrick. Grand humaniste, Eastwood a atteint ce statut à force de films aux sujets percutants, remuants et souvent loin de ce que le public et la critique pouvaient être en droit d’attendre de celui qui a (vraiment) commencé comme cowboy taciturne chez Sergio Leone. Dans l’univers médiatique, tout le monde adore déboulonner les idoles, faire vaciller les étoiles, pour rappeler à chacun son statut de simple mortel. Demandez à Kevin Costner et Mel Gibson ce qu’ils en pensent. Des affres dans lesquelles Eastwood n’a jamais été précipité. Les Oscars, il les a récoltés aux meilleurs moments pour s’éviter ces pièges.


Article de Guillaume Baron, paru en 2016 dans le Rockyrama n°13.

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Eastwood a effectué sans aucun cynisme de multiples virages dans sa gigantesque carrière, avec un art du contre-pied bluffant. Évidemment victime, en cinquante ans de travail c’est inévitable, de haut et de bas, l’acteur s’est vite retiré pour laisser place au réalisateur curieux et débordant d’énergie. L’acteur Eastwood n’a d’ailleurs jamais collaboré avec la fine fleur hollywoodienne des réalisateurs. Sa starification se fait en plein Nouvel Hollywood, mais, comme par un sens inné de la défiance, les enfants terribles qui font trembler les studios n’auront jamais la chance de le faire tourner. Sergio Leone, Don Siegel et Michael Cimino sont les seuls réalisateurs certifiés « auteurs », à avoir apposé leur nom au générique d’un de ses films. Leone et Siegel ont défini le personnage (avec déjà toutes les nuances que l’artiste Eastwood développera tout au long de sa carrière). Cimino, alors cinéaste débutant, s’est contenté d’attirer son attention. Le Canardeur (Thunderbolt & Lightfoot, 1974) n’offre pas de rôle de composition à son héros, mais étrenne efficacement les talents de metteur en scène et de narrateur de Cimino. Tout le reste du casting composant la galerie de réalisateurs (chanceux) à avoir dirigé Eastwood se cantonne au mieux à l’artisan solide, aux tâcherons limités mais sûrement bien pote avec celui qui a la réputation d’être fidèle en amitié. Sa dernière apparition devant une caméra qu’il n’opère pas, Une Nouvelle Chance (Trouble With The Curve, 2012), il l’offre à Robert Lorenz, son assistant réalisateur depuis 1995. Le rapport est largement inversé lorsque l’on compte le nombre de stars qui ont tourné avec le Eastwood réalisateur.


Impitoyable (Unforgiven, 1992), que l’on peut fatalement considérer comme le chef-d’œuvre de sa première partie de carrière, est d’ailleurs dédié à Leone et Siegel, mentors de l’ogre boulimique qu’est devenu le cinéaste. Il n’est pas difficile, quand on parcourt la filmographie d’Eastwood, d’établir le lien bienveillant qui le relie à la critique internationale. Bien qu’une poignée de journalistes continuent de fustiger ses positions politiques, y voyant l’aubaine d’allumer un artiste pourtant très loin de l’image du fervent républicain assoiffé de pouvoir et d’ultra-libéralisme, l’œuvre du grand Clint regorge de films touchants, tournés vers la condition humaine, les sentiments primaires et la volonté de toujours tracer sa voie. Désormais enfermé volontairement dans sa tour d’ivoire de grand sage qui regarde les événements arriver sereinement les uns après les autres, le cinéaste a converti, à son rythme, tous ceux qui pensaient que le Eastwood réalisateur ne valait guère plus que le Eastwood acteur. Un artisan franc du collier, qui aime quand les flingues rendent justice et que le héros part avec la fille. Alors certes, ses personnages de durs, Eastwood les a façonnés conformément à l’image qu’il s’amuse à projeter. Au milieu des années 60 et sur l’intégralité des années 70, il devient le costaud, le gars plus grand et plus fort que le reste du casting. Aucun autre acteur ne répond à son physique de géant castagneur, Burt Reynolds et Charles Bronson compris. Jusqu’à l’avènement de Sylvester Stallone et d’Arnold Schwarzenegger, Clint n’a aucun rival dans la catégorie pourtant bien fournie des gros bras. 


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Lorsque le monde entier crie au génie en sortant de la projection de Gran Torino (2008), les vieux fans de l’homme sans nom s’interrogent. Pourquoi, soudainement, après une série de films, commencée 40 ans auparavant, l’humanité tout entière semble émue par ce conte sur un vigilante refoulé sur le retour ? Sans rien enlever aux multiples qualités du film, qualités très éloignées et bien plus subtiles que le supposé auto-portrait que le public a cru déceler, Gran Torino n’appartient pas à la race, des, en vrac :


-Breezy (1973)

-Honkytonk Man (1982)

-Bird (1988)

-Chasseur Blanc, Cœur Noir (White Hunter Black Heart, 1990)

-Un Monde Parfait (A Perfect World, 1993)

-Sur la Route de Madison (The Bridges On Madison County, 1995)

-Minuit Dans Le Jardin Du Bien Et Du Mal (Midnight In The Garden Of Good And Evil, 1997)

-Mystic River (2003)

-Million Dollar Baby (2004)


Gran Torino a été réalisé, conformément aux envies ancestrales d’Eastwood, comme une récréation efficace entre plusieurs projets sérieux. Le cowboy mutique, l’inspecteur vindicatif, le cogneur… Dans Gran Torino, tous ses personnages se rejoignent dans le regard du vieux bonhomme qui choisit sa fin, seul face à un gang de jeunes largués et ignorants, lors d’une poignante et ultime séquence de duel. L’histoire retiendra que la dernière fois que Clint fera mine de dégainer, ce sera sans flingue. Encore du monde pour taxer le bonhomme de réac bas du front ?


Si l’on considère que c’est le genre qui a révélé Eastwood et fait de lui ce mythe vivant, il a toujours rendu au genre cet amour et ce respect digne de l’homme intègre et intelligent qu’il est. Le genre a été central dès les premiers films du réalisateur Eastwood. Dans les années 80 il commencera à réfléchir différemment le rapport entre ses deux images acteur/réalisateur. Le glissement vers de nouveaux horizons plus éloignés des flics et des cowboys s’effectue par à-coup. Petite parenthèse : certainement grisé par l’explosion des effets spéciaux (auxquels il se frottera à nouveau avec plus ou moins de bonheur des années plus tard), il prend le temps dans les années 80 de pondre le plus navet de tous ses films en tant que réalisateur. Firefox, L’Arme Absolue (Firefox, 1982) demeure son pire essai, la preuve qu’il vaut mieux pour lui ne pas se faufiler sur des territoires peu propices à ses talents. Mais c’est aussi ce Clint que l’on aime qui était aux commandes mentales de cet avion furtif, celui fut avant tout une gueule, la bouche pleine de punchline. 


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Il est intéressant de revoir tous ses films « mineurs » (lire, ceux qui n’ont pas été nominés aux Oscars). Tous ces films qui ont contribué, les uns après les autres, à construire ce personnage simple et complexe à la fois. Dans l’un de ses manifestes pop, Le Maître De Guerre (Heartbreak Ridge, 1986), Eastwood déroule son registre de grognard lunatique dans l’uniforme d’un instructeur des Marines, occupé à former une bande de bidasses bas de gamme. Très loin du conformiste American Sniper (2014) ou du cérémonieux diptyque Mémoire De Nos Pères (Flags Of Our Fathers, 2006)/Lettres D’Iwo Jima (Letters From Iwo Jima, 2006), Le Maître De Guerre sera sa version fun et cool du Full Metal Jacket (1987) de son collègue de studio, Stanley Kubrick. Ce film et La Relève (The Rookie, 1990) sont ses derniers efforts « à l’ancienne ». Deux films de genre complètement assumés et parfaitement maîtrisé dans les règles de l’art de l’exercice. Si Impitoyable et Million Dollar Baby ont récolté les statuettes de l’académie, et scellé son destin parmi les légendes, Le Maître De Guerre et La Relève sont les derniers symboles de ce socle bicéphale sur lequel repose le titan Clint Eastwood.



Depuis 26 ans, rien à se mettre sous la dent du Clint badass et sans pitié pour les bons comme les méchants. Dans La Ligne De Mire (In the Line Of Fire, Wolfgang Petersen, 1994), qui resta longtemps son dernier film « pour un autre », attire une sympathie immédiate, mais le personnage et l’homme sont trop vieux pour que la magie opère vraiment. John Malkovitch est certainement la meilleure raison pour laquelle revoir ce film présente de l’intérêt. Si on affectionne les longues séquences de cabotinages sans filet. Dans Les Pleins Pouvoirs (Absolute Power, 1997) ou Créance De Sang (Blood Work, 2002), pas de cabrioles, uniquement un minimum syndical orienté thriller, qui sied à merveille à celui qui ne perd rien de son charisme, mais qui a conscience que l’action hero est loin derrière. Pour ne pas devenir un héros en pantoufle, Eastwood sait qu’il est temps de mettre un terme à cette carrière. Plus rien à signaler, plus de traces, jusqu’à Gran Torino et son approche détournée du genre, du Clint d’antan. C’est pour ces raisons qu’il faut revoir à la hausse et accorder le statut d’œuvres définitives à La Relève et Le Maître De Guerre. Buddy Movie parfaitement maîtrisé, rare vrai bon film dans la carrière de Charlie Sheen, La Relève revisite une sempiternelle fois ce personnage de vieux flics qui en a marre des règles et préfère suivre son instinct pour violemment, si possible, se débarrasser de l’ordure numéro un. L’ancien devient le mentor, mentor sadique pas recommandable et ordurier, et permet au jeune de se révéler dans l’action. Biblique, mais entre les mains d’Eastwood, cela donne un polar fun, au service de sa stature et gavé jusqu’à la gueule de séquences taillées à sa démesure. Même topo dans Le Maître De Guerre. Le vieux apprend aux jeunes en les dominant dans tous les domaines, et s’achète sa rédemption sans même avoir l’air d’y toucher. Si les deux premiers tiers du film se concentrent sur l’apprentissage à la dure de ses troupes, où l’on assiste à un concours de répliques improbables devenues cultes, la dernière partie s’achève sur un tableau moins léger mais le film bascule irrémédiablement dans la case « cool ». 


Sully (2016), qui raconte l’histoire de ce pilote qui a posé son avion sur l’Hudson River et sauva ses 155 passagers, qui verra d’ailleurs Clint Eastwood diriger pour la première fois un autre monstre, Tom Hanks, rejoint cette longue liste de films plus sages (mais pas calmes) que le réalisateur aligne depuis des années. Alors il existe chez tous les fans cette envie de revoir un jour la légende renfiler le poncho ou ressortir le 44 Magnum, il est préférable qu’il se fasse plaisir avec des projets aussi éloignés que L’échange (Changelling, 2008), Invictus (2009), J.Edgar (2011) ou Jersey Boys (2014). Et si le héros fait son retour, un autre réalisateur que lui, malin et conscient de la responsabilité de tenter pareille expérience casse-gueule, devra s’y coller. Parce qu’à 86 ans, que reste-t-il à prouver à celui qui a traversé six décennies à exister dans deux professions qui se sont auto alimenter continuellement pour nous offrir l’un des artistes et l’une des figures pop les plus complets des six dernières décennies ? Certainement pas grand-chose, mais son plaisir de nous raconter ses histoires n’a pas bougé, alors profitons en avant qu’il ne devienne qu’un sujet de rétrospectives pour les cinémathèques du monde entier.


Article par Guillaume Baron.


Du 6 octobre jusqu'au 17 novembre, retrouvez sur RTL9 chaque mercredi soir à 20h55 un film réalisé par Clint Eastwood.