VHS Classics : Le Noël de Mickey (1983)
Le plus célèbre anti-héros de cette période de l’année porte le nom grinçant d’Ebenezer Scrooge et s’est invité dans la culture populaire sous la forme d’une avalanche d’adaptations. Retour sur l’une d’entre ellesDans le froid « vif et perçant » d’une veille de Noël, un vieux grippe-sou qui ne connaît ni la charité ni la compassion est attablé à son comptoir, fulminant contre le monde entier : contre son dévoué commis, contre son affectueux neveu, mais surtout, contre les interminables, ruineuses et ô combien inutiles fêtes de Noël… Le plus célèbre anti-héros de cette période de l’année porte le nom grinçant d’Ebenezer Scrooge et s’est invité dans la culture populaire sous la forme d’une avalanche d’adaptations. Retour sur l’une d’entre elles, qui trôna fièrement en son temps parmi nos VHS adorées : Le Noël de Mickey.
Article par Camille Mathieu, retour sur la grande histoire de Noël dans notre dernier numéro Rockyrama, disponible en kiosque et sur notre shop !
À l’approche des fêtes de fin d’année, il est un classique parmi les classiques auquel il vous sera difficile d’échapper tout à fait – ne serait-ce qu’à travers les sempiternels téléfilms de Noël. Il s’agit évidemment d’Un chant de Noël (A Christmas Carol) de Charles Dickens, dont les adaptations constantes — et plus ou moins heureuses — témoignent, sinon de l’universalité du message, en tout cas de la difficulté à trouver plus emblématique incarnation de « l’esprit de Noël ».
Publié le 19 décembre 1843 à Londres, le célèbre Chant de Noël de Dickens est un appel à la générosité qui résonne à travers l’Angleterre victorienne. Le conte devient une institution nationale, et Dickens, infatigable défenseur de la dignité humaine, d’incarner le Noël anglais. Portraitiste génial, il nous laisse en héritage plus de 2000 personnages, 16 romans et quantité de nouvelles. Parmi les Oliver Twist et autres David Copperfield, l’oncle Scrooge figurera en bonne place au panthéon des caractères dickensiens s’étant frayé une juste place dans la culture pop. Rien d’étonnant donc à ce qu’un empire aux grandes oreilles se soit emparé d’un conte devenu parabole de l’esprit des fêtes.
Véritable anti-héros de Noël qui ne démériterait pas face au Grinch du Dr. Seuss en personne, Ebenezer Scrooge a emprunté bien des apparences au fil des adaptations : de Fred Pierrafeu à Daffy Duck, de Bill Murray (Fantôme en fête) à Michael Caine et sa joyeuse troupe de Muppets (Noël chez les Muppets), jusqu’à Jim Carrey en motion capture chez Zemeckis (Le Drôle de Noël de Scrooge). Mais en 1983, soit 140 ans après la publication de l’œuvre, l’usurier Scrooge prenait les traits revêches d’un canard que l’on connaît mieux en France sous le nom de Balthazar Picsou. Dans sa version originale, Scrooge McDuck – pour mieux honorer ses origines écossaises – n’hérite pas seulement du génial patronyme d’Ebenezer Scrooge (parce qu’on a toujours plaisir à se répéter les noms formidables sortis de l’imagination de Dickens). Plus qu’un lointain parent, il lui succède dans l’esprit et a inspiré sans détour son créateur Carl Barks. Rien de plus naturel alors que de voir un jour les deux personnages réunis.
De Dickens à Disney, il y a sans doute un peu plus qu’un pas, et pourtant… « En tant qu'architectes d'empires personnels, l'auteur du XIXe siècle Charles Dickens et l'artiste du XXe siècle Walt Disney offrent un riche matériel pour l'étude comparative des médias. Leurs méthodes remarquablement similaires pour négocier les frontières entre la haute et la basse culture suggèrent que si Disney a été le dernier magnat à obtenir un contrôle presque exclusif sur l'empire du divertissement, Dickens a été le premier », soutient la professeur Shari Hodges Holt. Avant l’oncle Walt, Dickens, chantre de la littérature populaire, s’impose dans les familles avec de sains divertissements. Ces écrits sont souvent publiés dans des journaux très populaires dont il est le rédacteur en chef, et la classe moyenne les découvre le soir, à la veillée et en famille. Mais Dickens s’invite aussi à même les pavés du Londres victorien où il s’essaie à des lectures gratuites, rassemblant autour de lui une foule hétéroclite de curieux. Il partage en tout cas avec Disney les thématiques chères de l’enfance retrouvée, de l’innocence salvatrice et de la compassion envers les moins fortunés. Plus étonnant, l’univers de Dickens connaîtra lui aussi, pendant quelques années du moins, l’insigne honneur d’avoir un parc d’attractions consacré !
Disney s’emparera d’autres matériaux de Dickens (notamment avec la très libre adaptation d’Oliver Twist, dans sa version new-yorkaise et animalière, Oliver et Compagnie), pourtant Le Noël de Mickey tient ici une place particulière. Pour la première fois depuis 1952, il ramène Mickey Mouse sur le devant de la scène. Après trente ans d’absence de la souris dans les salles de cinéma (depuis Mickey à la plage), le court-métrage de 26 minutes réalisé par Burny Mattinson permet au public de renouer avec « la bande à Mickey », en accompagnant la ressortie en salles des Aventures de Bernard et Bianca. Ce retour est chaleureusement accueilli, il décrochera même une place parmi les nommés à l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation. Reprenant le disque de 1974 de Disney, An Adaptation of Dickens' Christmas Carol, Mattinson réunit un casting de choix. Le film est peuplé de personnages majeurs (Minnie, Dingo, Donald…), mais aussi de personnages plus confidentiels, jouant les figurants pour le plus grand plaisir des fans. Au détour d’une scène, on pourra apercevoir l’Oncle Waldo (Les Aristochats), Crapaud (Le Crapaud et le Maître d'école), ou encore des personnages revenus des Silly Symphonies ou de Robin des bois.
Si l’oncle Picsou n’a jamais autant été lui-même, Dingo est utilisé en total contre-emploi dans le rôle de feu Jacob Marley. Payant dans l’autre monde le prix de sa méchanceté, Dingo/Marley apparaît à Scrooge enchaîné, tourmenté par ses erreurs, pour lui annoncer la venue de trois spectres. La nuit tombée, presque comme dans un songe, les trois esprits de Noël offriront à Scrooge une dernière chance de se racheter. Si le court-métrage ne conserve que le cœur du récit, il n’édulcore pas pour autant le sort cruel qui attend les personnages. L’esprit du Noël passé (Jiminy Cricket) lui montre la peine infligée à cet amour de jeunesse à jamais perdu. L’esprit du Noël présent (le géant de Jack et le haricot magique) lui permet d’assister au réveillon de son employé Bob Cratchit (Mickey Mouse). Le festin est maigre (on en est à couper les petits pois en deux) et la santé du petit dernier, Tiny Tim, est déclinante. Pourtant, les Cratchit font contre mauvaise fortune bon cœur et se réjouissent d’être réunis. Quant à l’esprit du Noël futur (Pat Hibulaire), il désigne implacablement à Scrooge ce qui les attend : pour la famille Cratchit, le deuil ; pour lui-même, la mort, anonyme et glacée, sans même un ami pour lui rendre un dernier hommage. Le tableau est bien sombre, mais très vite, Scrooge s’éveille de ce cauchemar comme un homme nouveau, prêt à changer le cours du destin.
Qui a regardé Le Noël de Mickey enfant, aux alentours des fêtes, en garde sans doute un souvenir vivace, réconfortant et plein de nostalgie. Le souvenir de la joie sincère de retrouver ces personnages revenus du fond de notre enfance. Le souvenir crève-cœur de Tiny Tim qui laissera une chaise vide au prochain Noël. Le souvenir surtout des larmes de Mickey – tellement rares pour un personnage aussi perpétuellement heureux – qu’il verse en serrant contre son cœur la minuscule béquille de son fils. Le souvenir aussi du bonheur de Scrooge au réveil, découvrant que seul le passé est figé, que tout peut encore changer, que Tiny Tim vivra, qu’il n’est jamais trop tard pour bien agir. C’est le matin de Noël, au-dehors il fait un froid clair et éclatant, des cloches joyeuses résonnent dans les rues blanches et tout est encore possible. « Le lendemain lui appartenait », écrivait Dickens.
Article par Camille Mathieu, retour sur la grande histoire de Noël dans notre dernier numéro Rockyrama, disponible en kiosque etsur notre shop !