OH HI, MARK !
Le regard empli de mélancolie et de rêves d’aventures de Mark Hamill. Il a vingt-cinq ans. C’est son premier rôle devant une caméra et il va changer des vies.On ne définit pas nos légendes. Elles s’imposent à nous. On ne choisit pas ses traumatismes de gosse. On ne décide pas que le chapitre précis d’un livre, l’introduction d’un album, le personnage d’un film vont transformer notre vie, influencer nos comportements, façonner nos valeurs et dessiner les contours de nos imaginaires intimes. Ces révélations sont des accidents, des miracles imprévisibles. Les personnes qui nous y ont exposés (nos cousins, nos parents, nos copains de classe, nos professeurs) sont des bienfaiteurs. Des passeurs essentiels qui bien souvent s’ignorent. Plus on vieillit, plus ces miracles se font rares. Il faut aller les débusquer seuls. Mais les révélations de jeunesse durent toujours. L’empreinte demeure. Le souvenir se réveille et l’émotion jaillit à nouveau, à chaque relecture, chaque nouvelle écoute, chaque visionnage. Ces sensations précieuses, reliques de l’enfance, de l’adolescence, sont parfois déclenchées par un rien. Le son du saxophone de « Soul Love » de David Bowie. Le petit bateau en papier de Georgie dans IT de Stephen King. Le regard de Luke Skywalker, observant le crépuscule sur Tatooine. Un regard au fond duquel nous nous sommes reconnus durant des années. Le regard empli de mélancolie et de rêves d’aventures de Mark Hamill. Il a vingt-cinq ans. C’est son premier rôle devant une caméra et il va changer des vies.
Article par Joe Hume, paru dans le Rockyrama 29 - L'Empire contre-attaque : 40 ans de suprématie,toujours disponible sur notre shop
Le casting pour Star Wars – auquel il participe sur les conseils avisés de son pote Robert “Freddy Krueger” Englund – c’était il y a presque un demi-siècle. Mark Hamill est toujours là. Son œil est plus pétillant que jamais, mais son regard malicieux masque autre chose. Une sagesse un peu punk. Derrière les tweets acides et rigolards qu’il prend visiblement plaisir à balancer se dissimule une envie d’en découdre, une éternelle insatisfaction qui n’est pas sans rappeler celle de Carrie Fisher, sa sœur de cœur.
Mark Hamill n’est pas un vétéran de Star Wars, c’est le survivant d’une saga qui l’a retenu prisonnier, comme les autres. Il n’y a guère que Harrison Ford qui soit parvenu à s’émanciper de ces films-mondes pour partir à la conquête d’Hollywood. Et même lui a été rattrapé par le monstre Star Wars, si bien qu’aujourd’hui, pour toute une génération initiée à la saga via les derniers épisodes, Ford est Han Solo et personne d’autre. Pendant et après Star Wars, Hamill joue dans des films de science-fiction de bas étages, des productions horrifiques sans envergure. Tout le monde voit Luke, personne ne voit Mark. Plutôt que de lutter pour imposer son image dans un autre costume que celui d’un Jedi, il décide d’opérer un changement salvateur, de s’effacer derrière des personnages animés et de leur donner vie par la voix.
Au tournant des années quatre-vingt-dix, à l’aune du succès colossal du Batman de Tim Burton, Bruce Timm développe pour la Warner une ambitieuse série animée adaptée des aventures de Batman. Tim Curry, le sweet transvestite du Rocky Horror Picture Show, est embauché pour incarner la voix du Joker. Il sera remercié très tôt dans le processus, après avoir enregistré une poignée d’épisodes. Ses voix ne seront jamais utilisées, remplacées par celles de Mark Hamill. Hamill qui, une nouvelle fois et de manière plus discrète, presque insidieuse, s’impose dans le panthéon culturel de milliers de spectateurs. Les plus observateurs, ceux qui lisent les crédits du générique savent qu’ils ont affaire à Mark Hamill, mais pour les plus jeunes, il est simplement une voix. La voix du Joker. Une évidence. Tout comme Luke Skywalker, le Joker va coller à la peau de Mark Hamill. Mais cette fois-ci, l’acteur ne se laissera pas emprisonner. Au contraire, sa prestation dans The Batman Animated Series lui ouvre une toute nouvelle trajectoire dans laquelle il va s’engouffrer et s’épanouir bien plus que sur les plateaux de tournage.
Au cours de ces années quatre-vingt-dix, Mark Hamill devient l’un des doubleurs les plus prolifiques, aventureux et occupés du business. Son timbre protéiforme, chaud et granuleux s’épanouit désormais dans le confort feutré des cabines d’enregistrement qu’il ne quitte plus, passant de méchants de Scooby Doo, à Wolverine dans un jeu vidéo, à Skeletor dans la nouvelle série animée des Maîtres de l’Univers. Mais on n’échappe pas à son destin et si Hamill ne prend pas part à la controversée « prélogie » de George Lucas, car le scénario ne l'exige pas, il endosse néanmoins une nouvelle fois le rôle de Luke Skywalker dans la trilogie Star Wars initiée par Le Réveil de la Force de JJ Abrams. La trilogie Disney.
Entre les années quatre-vingt et aujourd’hui, Hamill s’est perfectionné dans l’art de brouiller les pistes. Impossible de savoir réellement s’il a pris du plaisir à tourner ces nouveaux opus de Star Wars, ni même s’il les juge bons. Soufflant le chaud et le froid lors des événements et tournées promotionnelles, Mark Hamill s’amuse du cirque médiatique, mais une fois encore, si sa voix ne lui fait jamais défaut, il est parfois trahi pas son regard. Son amour pour Luke, pour sa destinée tragique, pour l’univers dans lequel le personnage évolue, est sans équivoque. Lorsque Mark Hamill assène qu’il est avant tout un fan, il ne ment pas. Et comme n’importe quel fan, ce n’est pas lui qui contrôle Star Wars, mais bien l’inverse. Tout Luke Skywalker qu’il est, Mark Hamill reste un acteur qui travaille avec application et respect. Il laisse à chacun le soin d’apprécier ou non les œuvres et nous laissera probablement toujours dans le flou quant à son véritable sentiment vis-à-vis de la fin du cycle Skywalker.
Aujourd’hui, on pourrait penser que Mark Hamill s’est enfin affranchi de la saga la plus importante de l’histoire de la pop culture. De gré ou de force, il a en tout cas laissé la silhouette de Luke s’évanouir, ne faire plus qu’une avec la Force et renaître dans une nouvelle enveloppe. Une nouvelle silhouette. Celle d’une jeune héroïne impétueuse, symbole de légende d’une autre génération, près de cinquante ans après le début de tout. Mark n’est plus Luke. Tout comme lui, il est devenu une voix dans les airs. Le vecteur d’autres mythes.
Article par Joe Hume