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Entretien avec Kyle MacLachlan

De Dune à Twin Peaks en passant par Fallout, découvrez les univers étranges de Kyle MacLachlan.
Entretien avec Kyle MacLachlan

Véritable alter ego de David Lynch, avec qui il a collaboré sur des projets emblématiques tels que Dune (1984), Blue Velvet ou Twin Peaks, Kyle MacLachlan est un acteur culte à la carrière extraordinairement éclectique (The Doors, Sex and the City et Portlandia). Grand amateur de science-fiction, il a récemment marqué les esprits sur Prime Video dans la série Fallout, où il incarne le leader d'un abri atomique dans un monde post-apocalyptique délirant. Dans cet entretien, il revient sur ses rôles cultes les plus marquants, sur son amour pour Dune, sa collaboration avec David Lynch et l'impact de Twin Peaks. Rencontre avec une légende qui restera à jamais le seul Paul Atréides dans nos cœurs. Timothée Chalamet n'a qu'à bien se tenir !

Entretien par John Prate, 2024. 

À retrouver sur notre Rockyrama n°43 - Bill Murray.

Depuis ses débuts dans Dune (1984) de David Lynch, Kyle MacLachlan a marqué le cinéma et la télévision de sa présence hypnotique, capable de vous entraîner dans les univers les plus étranges. Sa carrière est indissociable de sa fructueuse collaboration avec Lynch, qui lui a offert des rôles majeurs dans Blue Velvet (1986) et dans la série télévisée révolutionnaire Twin Peaks (1990-1991, puis 2017), où il a brillamment incarné l'agent spécial Dale Cooper. Au fil des ans, il a exploré divers genres, apparaissant dans des films tels que The Doors (1991), La Famille Pierrafeu (1994) et Showgirls (1995), ainsi que dans des séries dramatiques comme Desperate Housewives (2004-2012) et Sex and the City (1998-2004), ou des comédies loufoques comme How I Met Your Mother (2005-2014) et Portlandia (2011-2018).


Cependant, selon ses propres dires, Kyle MacLachlan nourrit une véritable passion pour la science-fiction, ce qui explique son intérêt pour des films tels que Dune (1984) et Hidden (1987), ainsi que des séries comme Agents of S.H.I.E.L.D. (2013-2020). Il n'est donc pas étonnant de le retrouver dans Fallout (2024) sur Prime Video, la série événement produite par Jonathan Nolan (The Dark Knight, Westworld), basée sur la franchise de jeux vidéo post-apocalyptique du même nom. L'action se situe des années après qu'une guerre atomique a ravagé les États-Unis. Le charismatique Hank MacLean (interprété par MacLachlan) est le leader de Vault 33, un immense bunker souterrain où plusieurs générations de survivants attendent l'opportunité de retourner à la surface pour repeupler l'Amérique. Cependant, après son enlèvement, sa fille Lucy entreprend un voyage risqué pour le retrouver et découvre un monde de surface peuplé de mutants.


C’est à l’occasion de la sortie de Fallout et de son passage à Canneseries, où il a été honoré par le prix « Canal Icon Award » pour l’ensemble de sa carrière, que nous avons discuté avec lui de sa carrière des plus étonnantes et de son attirance pour les univers les plus étranges…

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John Prate : Avec Fallout, vous effectuez un peu votre grand retour à la science-fiction après avoir débuté dans des films cultes tels que Dune ou Hidden. Est-ce que la science-fiction est un genre que vous appréciez particulièrement ?


Kyle MacLachlan : Depuis toujours, j'adore la science-fiction et les films à l'ambiance étrange. J'apprécie les possibilités que ce genre offre pour explorer des personnages hors normes. Dune aura toujours une place spéciale dans mon cœur : c'était mon premier film, j'avais 23 ans, je venais de terminer mes études à l'Université de Washington où j'étudiais l'art dramatique et je n'avais jamais vu une caméra auparavant. Mais étant un énorme fan des livres de la saga de Dune depuis des années, j'interprétais secrètement le rôle de Paul dans ma tête. Je voulais donc jouer ce rôle à tout prix, même si cela me terrifiait [rires]. Je suis content que vous mentionniez Hidden, car je trouve que ce film est un petit bijou de science-fiction que les gens ont tendance à oublier. C'est la seule fois où j'ai pu jouer dans un film d'action « buddy cop » ! De plus, le personnage d'extraterrestre que j'incarne, qui se fait donc passer pour un agent du FBI, partage certaines caractéristiques avec Dougie de Twin Peaks [rires] ! 


J.P. : Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’univers de la série Fallout ? Étiez-vous fan du jeu vidéo ?


K.M. : Je suis nul en jeux vidéo [rires] ! J'ai essayé d'y jouer, mais je suis mort tout de suite ! Mais j'ai trouvé que l'univers de Fallout avait l'air tellement fou que je savais que je voulais en faire partie. J'adore la manière dont la série mêle habilement le drame et la comédie. Elle est écrite par mon ami Graham Wagner, avec qui j'ai travaillé sur la sitcom Portlandia (2011-2018), où j'ai joué le maire de Portland. J'adore son sens de l'humour absurde. Tout comme dans le jeu vidéo, Graham injecte de l'humour noir dans des scènes d'une brutalité assez intense. Mais ce qui rend Fallout si captivant à mes yeux, c'est que les personnages sont très humains, ce sont des gens ordinaires comme vous et moi, plongés dans des situations complètement dingues et qui réagissent au surréalisme du monde qui les entoure. Je voulais aussi travailler avec Jonathan Nolan et Lisa Joy [qui ont produit la série, ndr.], dont j'ai admiré le travail sur Westworld. Ils sont super doués pour créer des univers SF fascinants.


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J.P. : Dans Fallout, vous jouez Hank, le leader du Vault 33, un homme très sympathique, mais aussi très mystérieux. Qu'avez-vous cherché à faire avec ce rôle ?


K.M. : Hank est un personnage très intéressant. Il a passé toute sa vie dans un bunker anti-atomique souterrain et a une morale digne des années cinquante. Il est plein d'espoir pour un avenir meilleur et ferait tout pour protéger le Vault. Il est très patriotique et croit vraiment en sa mission : il pense qu’il va sauver l’Amérique. Ce qui m'a attiré dans le personnage de Hank c’est que je suis moi-même père, j'ai un fils de 15 ans, et je n'ai pas eu beaucoup d'occasions de jouer des rôles de pères. Donc, je voulais explorer la relation père-fille qui existe entre Hank et Lucy. Il était important qu'il fasse une très forte impression sur les spectateurs dès le premier épisode, car il est la raison même du voyage qu’entreprend sa fille pour tenter de le retrouver. Lorsque nous avons tourné le premier épisode, Jonathan Nolan ne voulait pas que je sache grand-chose sur Hank. J'ai donc dû moi-même lui inventer un passé, avec pour seule consigne que « Hank nous cache des choses ». J'ai déjà joué plusieurs personnages de ce genre qui ont des secrets et je trouve que la manière la plus efficace de le faire est d'agir comme si vous n'aviez pas de secret, comme si de ne rien n’était. Puis de temps en temps, il y aura une réplique ou un regard qui sèmera le doute dans l’esprit du spectateur pour qu’il se demande : « Qu’est-ce qu’il nous cache celui-là ? » Bien sûr, vers la fin de la saison, vous en savez plus, mais mon boulot est de maintenir en vie ce mystère aussi longtemps que possible.


J.P. : Jonathan Nolan a dirigé plusieurs épisodes de Fallout. Quelle a été votre expérience de travail avec lui ?


K.M. : C'était comme dans un rêve ! Nous avons tourné mes scènes dans des studios autour de New York. La chose la plus impressionnante est que nous avions un plateau qu'ils avaient transformé en « volume stage », similaire au plateau de The Mandalorian, où vous êtes entouré d'un écran LED géant. C'était incroyable ! Ils ont dû utiliser les générateurs d'une petite ville pour alimenter les écrans en électricité, c'était vraiment impressionnant. C'est là que vous comprenez que les séries télévisées comme celle-ci n'ont rien à envier aux blockbusters. Jonathan gérait tout l’aspect technique tout en dirigeant les acteurs. Il était très précis, il savait ce dont il avait besoin pour chaque scène et il s’impliquait beaucoup dans le jeu des acteurs. Dans la grande séquence d’action du premier épisode, il criait : « Hé, fais ceci, fais cela. Frappe-le ! Allez, cours ! » Il était très intense [rires] ! Mais en même temps, il parvenait à maintenir une ambiance merveilleuse sur le plateau, à la fois décontractée mais très pro, avec des gens qui travaillaient dur. S'il était stressé, il ne le montrait vraiment pas.


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J.P. : Dune est vraiment l’un de mes films cultes, donc je ne résiste pas à l’envie de vous demander ce que vous avez pensé du Dune de Denis Villeneuve…


K.M. : J'ai beaucoup apprécié le film de Villeneuve ! Je pense qu'il a réalisé un excellent film. J’ai adoré voir une nouvelle interprétation de l’univers des romans de Dune. Initialement, j’étais un peu inquiet que le remake éclipse notre version et devienne « LE Dune de référence ». Mais nos films sont si différents que je pense qu’il est possible d’apprécier les deux. La version de David Lynch a sa propre vision et son interprétation si personnelle, tandis que celle de Denis Villeneuve, qui suit plus fidèlement le livre original de Frank Herbert, reflète bien la sienne. Les romans Dune sont tellement riches que deux réalisateurs ne pourraient jamais accoucher du même film. J’adore notre version de Dune, il y a tellement de répliques mémorables qu’il m’arrive encore aujourd’hui de me rendre coupable de les citer pour amuser mes amis. Bien sûr, en 1984, on n’avait pas les magnifiques effets numériques qui sont aujourd’hui possibles, mais je pense que notre version a encore son charme. Je trouve que les deux films fonctionnent et peuvent coexister. J’ai d’ailleurs croisé Timothée Chalamet lors d'une soirée à Los Angeles et nous étions tous les deux un peu émus de nous rencontrer. Nous partageons la même passion pour les livres et avons discuté ensemble du défi que représente le fait de jouer Paul.


J.P. : Dune a marqué le début d'une collaboration durable entre vous et David Lynch, qui s'est poursuivie avec Blue Velvet et Twin Peaks. Pouvez-vous partager avec nous votre expérience de travail aux côtés d'un génie tel que David Lynch ?


K.M. : David est une personne merveilleuse. Sur Dune, j'étais terrifié, mais David m'a dit : « Ne t'inquiète pas, tu seras génial. » Il m’a donné confiance en moi et m’a permis de faire des choses que je ne savais pas que j’étais capable de faire. Dès le début, nous avons aimé travailler ensemble au point que pendant le tournage de Dune, il m'a donné le scénario de Blue Velvet. Même si je n’y comprenais rien [rires], j’ai fait confiance à David à chaque étape du processus, car je savais que nous allions faire un film unique ensemble. C'est un film dans lequel je n'avais pas vraiment besoin de jouer, je devais simplement réagir à l'étrangeté de la situation et à l'intensité de la performance des autres acteurs, en particulier celle de Dennis Hopper [rires]. David est un bon ami, d’une très grande gentillesse et l'une des personnes les plus créatives que je connaisse. L'ambiance qu'il crée sur le plateau quand nous travaillons ensemble est si chaleureuse et collaborative que nous nous amusons toujours beaucoup. Moi-même, je ne comprends pas toujours ce qui se passe dans les films de David Lynch, mais je pense qu'il sait exactement ce qu'il fait et ce qu'il veut créer. Parfois, je crois qu'il y a des éléments dans ses films qui sont simplement là pour mettre le spectateur dans un état d’esprit particulier, c’est sa façon de dire « arrêtez de penser et existez simplement dans ce moment présent ». Quand David me dit de faire quelque chose, je ne cherche pas à comprendre, je me soumets totalement à ses désirs. Parfois, ce n’est que des années plus tard, en revoyant une scène, que je comprends enfin ce qu’il a voulu obtenir de moi. David est un génie, j’ai eu de la chance de collaborer avec lui sur autant de projets.


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J.P. : Twin Peaks a été une série incroyable. On n'avait jamais vu avant un auteur comme Lynch s'essayer à la télévision et créer une série aussi expérimentale. Lorsque vous avez lu le scénario du premier épisode, vous attendiez-vous à ce que la série ait un tel impact ?


K.M. : Je suis le premier surpris que Dale Cooper soit devenu le rôle le plus marquant de ma carrière [rires]. Quand j'ai débuté, soit vous étiez un acteur de théâtre, soit un acteur de télévision, soit un acteur de cinéma, mais personne ne faisait les trois. Twin Peaks a tout changé. Pour les acteurs de cinéma, travailler à la télévision est devenu cool. Faire une série d'auteur, étrange et intellectuelle, est devenu possible à la télévision. Je pense que l'attrait de Twin Peaks était que c'était nouveau, que personne n'avait jamais rien vu de tel auparavant. Vous aviez un grand cinéaste comme David Lynch faisant de la télévision, ce qui était inédit à l'époque. Personne ne savait à quoi s'attendre avec Twin Peaks. Je pensais que nous allions juste tourner le pilote et qu'au mieux, cela deviendrait un téléfilm diffusé à la sauvette tard le soir. Mais ABC a tellement aimé ce qu’on avait fait qu'ils ont commandé sept épisodes pour voir. Et David y est allé à fond, sans compromis, et finalement, on a fait deux saisons et un film. Nous étions tous surpris par le succès de la série et par le fait que les fans en parlent encore aujourd'hui. Quand j'ai été sur Desperate Housewives et Sex and the City, la première chose que les showrunners m'ont dite, c'est qu'ils ne pourraient pas faire ce qu'ils faisaient si Twin Peaks n'avait pas existé, que la série avait changé la télévision à tout jamais. Je ne sais pas si c'est vrai, mais c'est très flatteur ! Mais je pense que la série a contribué à débrider la créativité de bien des scénaristes et à ouvrir les chaînes de télévision à de nouvelles idées et à de nouvelles possibilités.


J.P. : Est-ce que vous pensez retourner à l’univers de Twin Peaks à nouveau ?


K.M. : Il ne faut jamais dire jamais. J’ai adoré revisiter l’univers il y a quelques années [en 2017, ndr.], donc je serais toujours partant pour faire une autre saison, mais là, pour le moment, il n’y a aucun projet de suite à l’horizon.