Entretien avec Noomi Rapace
Petite discussion autour du métier d’actrice avec l’une des comédiennes les plus douées de sa génération.Pour découvrir LAMB de Valdimar Jóhannsson (en salles depuis le 29 décembre) et apprécier sa poésie, sa noirceur, sa symbolique et sa singularité, mieux vaut vraiment ne rien savoir sur le film. Ceux qui ont vu le film savent cependant que l’excellente Noomi Rapace y délivre une performance habitée, au point de représenter le cœur émotionnel du film. Petite discussion autour du métier d’actrice avec l’une des comédiennes les plus douées de sa génération.
Entretien par Stéphane Moïssakis.
Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez lu le scénario de LAMB ?
Je ne savais absolument rien du projet avant de lire le scénario. Je l’ai lu d’une traite et je suis restée abasourdie. Je me suis demandé si je l’avais lu de travers. Alors je l’ai relu une seconde fois, et il m’a semblé évident que c’était un projet qui ne ressemblait à rien d’autre de ce qu’on m’avait proposé jusque-là. J’ai aimé le fait que le film traite de la maternité de manière aussi différente et originale. Il y a une certaine simplicité dans ce film, et en même temps le film propose plusieurs couches de lecture. Ce genre de projets sont rares, car LAMB est un film totalement normal, en dehors de cet élément absurde et poétique qui se trouve au centre du film et qui fait toute la différence.
Le film est tourné en Islandais. Et même si vous avez passé une partie de votre enfance en Islande, il ne s’agit pas de votre langue maternelle. Est-ce que ça a été difficile pour vous de devoir interpréter le rôle de Maria dans cette langue ?
Pas vraiment. Quand j’ai emménagé en Islande à l’âge de cinq ans, j’ai eu le sentiment que le pays m’accueillait à bras ouverts. J’ai adoré cette connexion à la nature et cela n’a pas été difficile d’y revenir après tant d’années. Mon vocabulaire est plutôt limité mais je n’ai pas d’accent quand je parle islandais. Donc c’est vrai qu’au départ, je me suis demandé si je me sentirais assez libre dans l’emploi de la langue. Mais au bout de deux jours, les échanges coulaient de source.
De plus, votre personnage a peu de dialogues finalement. J’imagine que cela vous a poussé à composer votre performance au-delà du verbe, non ?
Oui, et ça a été très libérateur de devoir trouver d’autres moyens de communiquer les émotions de mon personnage. Quand il n’y a pas de dialogues, ou très peu de dialogues, il faut incarner le personnage d’une manière totalement différente, comme si le langage du corps devenait le langage principal. Et il faut alors trouver un moyen de communiquer ce qui se passe dans votre regard, dans votre gestuelle, dans votre apparence et à travers l’énergie que vous dégagez. Un peu comme quand vous regardez un animal. Face à un chien, vous savez instinctivement s’il est agité, en colère, s’il a peur ou s’il a faim. Vous comprenez son langage corporel. Et c’est la grande opportunité qui m’a été donnée avec LAMB, à savoir celle de pouvoir développer un personnage qui communique de manière plus animale que mes autres personnages.
Quelle a été votre relation de travail avec le réalisateur Valdimar Jóhannsson ?
Étrangement, c’était une relation de travail plutôt simple. Nous avions une bonne communication et nous étions assez proches l’un de l’autre. Dès que je l’ai rencontré, je me suis senti en confiance, comme si c’était quelqu’un que je connaissais depuis toujours. Du coup, il nous est arrivé parfois de passer des jours sur le tournage sans vraiment parler, tout juste quelques échanges, parce que nous savions ce que chacun avait besoin de faire. Et c’est vraiment une forme de confiance.
Comment avez-vous adapté votre jeu lors des séquences avec l’agneau en titre ? Je pense notamment aux effets spéciaux ?
Avec beaucoup de patience. Ce n’est pas un processus que je peux contrôler, mais Maria devait se connecter avec ce personnage, donc il fallait vraiment faire en sorte que cette relation fonctionne. Et cela n’a pas été facile parce que nous avions neuf petites filles et quatre agneaux différents suivant les besoins de certaines scènes. Avec des animaux et des enfants sur un plateau, on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer. Les caméras tournent, sans même savoir ce qui est capturé à ce moment-là, et il faut vraiment vivre le moment, car on ne vous dit pas exactement ce qui va finir dans la boîte. C’est dans ces moments-là que je m’adapte vraiment aux besoins techniques et que je me contente de vivre la scène.
Derrière le folklore symbolique, LAMB parle de la maternité et de la perte d’un enfant. J’imagine que ça a été l’un des aspects les plus difficiles à incarner pour vous ?
Le personnage de Maria a effectivement perdu son premier enfant, et je voulais trouver le moyen d’exprimer ce manque à travers mon langage corporel. J’ai donc cherché au fond de moi ce que j’aurais pu ressentir en ayant perdu moi-même un enfant, et porter cette souffrance au cours du tournage a été très douloureux. J’ai un fils, et je pouvais me réfugier dans cette certitude pour mon propre bien-être, mais c’était vraiment brutal. Au fil du tournage, ce deuil a commencé à faire partie de mon quotidien, jusque dans les cauchemars que je pouvais partager avec mon personnage. Et comme Maria ne parle pas beaucoup, on ne peut pas vraiment tricher avec cette émotion. Il faut la vivre, et vers la fin du tournage, je ne savais plus si j’étais devenue comme Maria ou si Maria était devenue comme moi. C’était très intense, et je crois que Valdimar commençait vraiment à se faire du souci pour mon état de santé.
Comment est-ce qu’on sort de cet état ?
C’est très difficile. Pour moi, ça m’a pris deux semaines encore, après la fin du tournage.
Le fait de tourner dans des décors naturels isolés du reste du monde vous a-t-il permis d’accentuer la solitude de Maria ?
La nature est un personnage à part entière dans LAMB. Mon personnage n’est pas vraiment seul car la nature l’accompagne. Elle l’enveloppe. Mais la première fois que les spectateurs découvrent Maria, c’est un personnage en suspens. Sa vie est en pause, car il y a vraiment trop de douleur à gérer. Elle n’y arrive pas. Et à travers son histoire, elle perçoit une nouvelle chance de guérir en devenant à nouveau une mère. Elle revient progressivement à la vie, car elle accepte ce que la nature lui offre. Mais cette fois, la douleur est encore plus vive, encore plus grande. C’est vraiment ce qu’il me semblait intéressant de faire ressortir à travers le parcours de Maria, le fait de jouer un personnage en mode survie, et qui revient totalement à la vie au bout du récit. Car même si elle subit énormément au cours du film, c’est le premier pas pour qu’elle puisse totalement guérir de son deuil.
Quelle a été votre réaction quand vous avez vu le film pour la première fois ?
J’ai été très surprise par le personnage d’Ada. Sur le plateau, c’était très difficile de savoir ce que ça allait donner. Et pour moi, cette connexion a été très difficile à trouver, du moins à ressentir sur le plateau. Mais cela fonctionne totalement dans le film. J’ai été émue par ce personnage, et il est parfaitement crédible à l’écran.
Vous avez tourné avec des cinéastes renommés comme Ridley Scott ou encore Brian De Palma. En tant qu’actrice, qu’est-ce que vous recherchez chez un réalisateur ?
J’aime les fortes personnalités. C’est aussi simple que ça. Pas besoin d’être toujours d’accord avec eux, ou de partager le même point de vue sur le personnage ou sur le film. Mais j’aime travailler avec des gens qui savent exactement ce qu’ils veulent et qui font tout pour l’obtenir dans leur projet. Je pense que c’est la caractéristique principale de la plupart des réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé. En France, vous avez des réalisateurs incroyables comme Jacques Audiard et Leos Carax, des fortes personnalités qui ont vraiment beaucoup d’idées et c’est ce qui m’inspire le plus en tant qu’actrice.
Entretien par Stéphane Moïssakis.
Remerciements à Gustave Shaïmi.
Retrouvez LAMB au cinéma dès le 29 décembre !