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François Truffaut, l'enfant sauvage.

C’était il y a quarante ans, un décès qui marquait la fin d’une époque.
François Truffaut, l'enfant sauvage.

C’était il y a quarante ans, un décès qui marquait la fin d’une époque. Lorsque Truffaut meurt, la Nouvelle Vague s’abîme dans les années quatre-vingt. La nouvelle décennie achève l’illusion de légèreté et de changement portée par les idéaux de l’après-guerre. La réalité rattrape tout : les corps, les villes, les campagnes. Place à la France de l’après plein emploi, aux passions détruites par le SIDA et à un cinéma français qui ne peut éviter plus longtemps les contrecoups de la fin d’un rêve.


Par Romain Fravalo, article paru dans le Rockyrama n°42 : 1984, toujours disponible sur notre shop !

Il est difficile d’imaginer le volcan qui sommeille sous ce physique si commun, sous ce visage honnête et cette allure élégante. Celui qu’on prendrait volontiers pour un jeune premier est une personnalité bien moins lisse qu’il n’y paraît. Dans une enfance difficile où ni les parents ni l'école ne sont des refuges, c’est dans les salles de cinéma que le jeune François Truffaut, né le 6 février 1932, trouve son plaisir. Avec son ami Robert Lachenay, il fréquente assidûment les salles parisiennes, ne se contentant pas de voir un film, mais prenant des notes, rédigeant des fiches, et revoyant les films si nécessaire. Il n’a pas 18 ans lorsqu’il se constitue toute une collection de savoir divers sur cet art qu’il chérit tant : le cinéma. Sa passion débordante va lui permettre de trouver quelques protecteurs en les personnes d’Henri Langlois et d’André Bazin, amitiés prestigieuses d’aînés dont le rôle est essentiel dans l’émergence d’une nouvelle génération de réalisateurs. De ciné-club en articles, d’articles en ciné-club, des liens se créent parmi une bande d’avertis au verbe haut, à l’esprit révolutionnaire et à la plume acérée : Godard, Straub, Rohmer, Klochendler, Rivette, Chabrol, autant de personnalités et d’histoires diverses sur le point de renverser la table sur laquelle s'accoude la vieille génération des cinéastes à papa. Tous ne feront pas partie de ce qu’on appellera la Nouvelle Vague, mais tous vont changer la manière de faire du cinéma.


En 1953, à l’âge de 21 ans, André Bazin ouvre les pages des Cahiers du cinéma à Truffaut. Son article « Une certaine tendance du cinéma français » fait mouche. Il y dézingue ce cinéma qu’il estime dépassé, égratignant au passage quelques figures dont celle de Claude Autan-Lara. Truffaut, à l’instar des camarades de sa génération, appelle à libérer le cinéma hexagonal de ses vieilles recettes comme de ses vieilles marmites. Sortir des studios, reconquérir la rue et les campagnes, et ne pas hésiter à prendre le cinéma étranger pour exemple. C’est vers Alfred Hitchcock que se porte avant tout l’admiration du jeune critique. Hitchcock, à qui Truffaut trouve un génie sans pareil pour raconter une histoire qui tient en haleine le spectateur. Truffaut et Hitchcock se rencontreront pour un long entretien qui donnera naissance à l’un des ouvrages de cinéma les plus lus qui soient, Hitchcock/Truffaut, paru en 1966.


Tout comme le réalisateur britannique qu’il admire tant, François Truffaut choisit de consacrer sa vie entière au cinéma. Comme il le confie le 10 décembre 1975 à la chaîne suisse RTS, son rapport au cinéma est « quasi maladif ». Toute sa vie a été dirigée vers le cinéma. Il ne sait pas danser, pas nager, pas skier, il ne sait faire que des films. L’analyse de film, qu’il pratiquait par passion lorsqu’il était adolescent, les articles critiques et les interviews réalisées dans le cadre de son travail pour la presse ont constitué, pour François Truffaut, une école de cinéma hors les murs. À la fois œuvres de théorie et de pratique (décortiquer un film plan par plan pour en comprendre la structure, comme le faisait le jeune garçon qu’il était, est l’un des exercices les plus formateurs pour comprendre le cinéma), ces travaux préliminaires le mènent immanquablement à la réalisation. Roberto Rossellini lui propose d’être son assistant pour trois films qui ne sortiront finalement jamais. C’est enfin en 1959 qu’il commet son premier long-métrage, Les 400 Coups.


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Parmi la bande des Cahiers, que l’on réunit essentiellement sous l'appellation Nouvelle Vague, Truffaut est le premier à s’attaquer à ce format. À l’origine, l’histoire du petit Antoine Doinel devait être un court-métrage, rite de passage presque obligatoire des jeunes cinéastes, exercice auquel Godard, Rohmer ou encore Rivette ne coupent pas. C’est même l’occasion pour eux d’expérimenter la forme comme le fond, avec des films irrévérencieux comme Charlotte et son steak (1951), Le Coup du Berger (1956), Tous les garçons s’appellent Patrick (1959) ou La Boulangère de Monceau (1963) avec, déjà, au casting, des voix et des visages qui feront la légende du cinéma français, d’Anna Karina à Jean-Claude Brialy. Truffaut n’y coupe pas non plus et signe ses premiers essais derrière la caméra, Une visite (1954), d’après un scénario original, aidé par Rivette à la photographie et Alain Resnais au montage, Les Mistons (1957), adaptation d’un roman de Maurice Pons, avec la participation de Bernadette Lafont et de Gérard Blain, et enfin Une histoire d’eau (1958) qu’il coréalise avec Jean-Luc Godard. Plus qu’un mouvement, la Nouvelle vague est avant tout l’histoire d’une bande. Une bande dans laquelle le désaccord a toute sa place, autant que l’entraide et la coopération.


Dès le début, les aspirations de Truffaut sont différentes de celles de ses comparses. Moins insolent, Truffaut n’en est pas moins sauvage, un caractère qui lui vient de son enfance. Pour son premier film comme pour les suivants, la dimension autobiographique y est importante. Les 400 Coups relate son enfance rebelle. Antoine Doinel y incarne son double fictif. Il lui fallait, pour incarner son alter ego, trouver un enfant, une personnalité, un visage qui permette au réalisateur de se projeter dans ses souvenirs les plus personnels. C’est ainsi que naît l’une des complicités les plus brillantes que le cinéma a jamais connues. En effet, lors des auditions, un petit bonhomme s’amène, volontiers gouailleur de son propre aveu, séchant les cours dans l’espoir de faire du cinéma. La personnalité du jeune Jean-Pierre Léaud, c’est son nom, marque les esprits à chaque phrase qu’il prononce alors. Comme une évidence, il va devenir, à partir de 1959, cette projection, à la fois tendre et impétueuse, d’un réalisateur en proie à ce besoin viscéral de vivre sa vie une deuxième fois, par le biais du cinéma. Ce grand récit autobiographique de Truffaut s’étale dans toute sa filmographie. Ce sont les cinq films du personnage Antoine Doinel – Les 400 Coups (1959), Antoine et Colette (1962), Baisers volés (1968), Domicile conjugal (1970), L’Amour en fuite (1979), mais aussi Jules et Jim (1962), film dans lequel il projette ses amours passés, et ses participations en tant que personnage principal de ses propres films, L’Enfant sauvage (1970) au titre évocateur, mais aussi La Nuit américaine (1973) et La Chambre verte (1978), des films dont Truffaut admet la grande proximité avec sa vie intime.


Très vite, la réputation du réalisateur dépasse les frontières hexagonales. On rencontre d’ailleurs son visage chez Steven Spielberg, Truffaut incarnant le professeur Claude Lacombe dans Rencontres du troisième type (1977). Spielberg explique ce choix dans l’émission Ciné regards du 22 février 1978 : « J’ai pensé à lui en écrivant le rôle. Il était ma principale inspiration pour les dialogues et le personnage de Lacombe. Il y a quelque chose d’innocent et de pur chez Truffaut. Ses films démontrent une sensibilité d’homme-enfant et j’ai découvert que François ressemble aux films qu’il a faits. » Plus récemment, lors de la Berlinale 2023, la question a de nouveau été posée au réalisateur de sa relation avec le cinéaste français : « Truffaut, comme le titre de son film, était un enfant sauvage. On a travaillé ensemble pendant quatre mois en Alabama pour Rencontres du troisième type. C’est en partie à Truffaut que je dois d’avoir travaillé sur E.T. Il venait de tourner L’Argent de poche. Il aimait travailler avec des enfants. Il m’a dit : “Tu as un cœur d’enfant, il faut que tu fasses des films avec des enfants !” Quand le projet E.T. s’est présenté, je me suis souvenu de ces paroles de Truffaut. » D’un grand conteur de l’enfance à l’autre, c’est une filiation de réalisateurs-enfants qui lient Les 400 Coups et E.T. Une innocence qui pourrait servir de socle à une définition de la Nouvelle Vague, un cinéma né avec les Trente Glorieuses, accompagné d’un vent frais qui donnait l’impression de tout pouvoir réinventer : l’amour, l’art, la politique, la vie en somme. Des coups de génie formels au coup d’éclat militant de Cannes 1968, c’est une parenthèse française symbolisée par son cinéma qui se ferme avec le décès de Truffaut en 1984.


Lorsque Truffaut meurt, la Nouvelle Vague s’abîme dans les années quatre-vingt. La nouvelle décennie achève l’illusion de légèreté et de changement portée par les idéaux de l'après-guerre. La réalité rattrape tout : les corps, les villes, les campagnes. Place à la France de l’après plein emploi, aux passions détruites par le SIDA et à un cinéma français qui ne peut éviter plus longtemps les contrecoups de la fin d’un rêve. Si les grands succès de l’année sont Marche à l’ombre (Michel Blanc, 1984) et Les Ripoux (Claude Zidi, 1984), 1984 est aussi et surtout l’apparition sur grand écran d’un autre duo réalisateur-acteur majeur du cinéma français, Leos Carax et Denis Lavant, avec Boy Meets Girl. À l’innocence et à la rébellion des adultes-enfants Truffaut-Léaud, succèdent les adultes déprimés et en mal de vie Carax-Lavant. Tout un symbole.


Par Romain Fravalo.