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Godzilla Minus One : Entretien avec Caspar Nadaud

Caspar Nadaud, fondateur et PDG de Piece of Magic Entertainment, revient sur la distribution du film de Takashi Yamazaki en Europe, son imprévisible réussite commerciale et, cerise sur le gâteau, sa nomination à l’Oscar des meilleurs effets visuels.
Godzilla Minus One : Entretien avec Caspar Nadaud

Succès international inattendu de l’hiver, Godzilla Minus One fut distribué sur la plupart des territoires européens, dont la France, par Piece of Magic Entertainment. Le film fait d’abord un passage-éclair dans l’Hexagone les 7 et 8 décembre 2023 dans le réseau Pathé. Suite à l’excellent bouche-à-oreille et à la mobilisation des fans, le film revient en salles pour exploitation à grande échelle du 17 au 31 janvier 2024. Caspar Nadaud, fondateur et PDG de Piece of Magic Entertainment, revient sur la distribution du film de Takashi Yamazaki en Europe, son imprévisible réussite commerciale et, cerise sur le gâteau, sa nomination à l’Oscar des meilleurs effets visuels.


Par Fabien Mauro.

Fabien Mauro : Pouvez-vous revenir sur l’historique de Piece of Magic Entertainment et nous dire ce qui vous a incité à distribuer Godzilla Minus One ?


Caspar Nadaud : Piece of Magic Entertainment a été créé en 2017. J’ai toujours travaillé dans la distribution cinéma internationale et multiterritoires. Juste avant cela, je travaillais pour Pathé, où j’étais directeur de Pathé Live, qui gérait toutes les activités hors cinéma : spectacle, musique, opéra… Ensuite, j’ai décidé que je voulais travailler à mon compte afin de proposer les contenus que je jugeais intéressants tout en poursuivant dans la distribution multiterritoire. Piece of Magic Entertainment est avant tout un distributeur 100?% salle. Le cinéma est notre passion première. Nous avons développé notre réseau multiterritoire en Europe. Nous avons donc développé plusieurs activités : le spectacle de musique, les événements de gaming au cœur des cinémas, le documentaire, la fiction et enfin les animés. Concernant cette dernière activité, nous avons développé notre réseau d’ayants droit japonais et nous avons pu distribuer les films One Piece, Demon Slayer, Jujutsu Kaisen… De fait, nous avons entamé une relation sur le long terme avec Tôhô, ce qui nous a permis de distribuer Godzilla Minus One. Il y avait une véritable envie de faire une sortie cinéma dans de nombreux pays. En 2016, Shin Godzilla (Hideaki Anno & Shinji Higuchi, 2016) était sorti en Europe, mais de manière très limitée, mais pas en France. Avec notre expertise, nous avons pu sortir Godzilla Minus One dans 42 territoires, dont la France. Nous avions conscience de l’importance de ce titre et du public qu’il allait attirer. Mais, finalement, je pense que le succès remporté s’est révélé totalement inattendu pour s’imposer au-delà du public « de niche ». 


F.M. : Quand vous êtes-vous intéressé à Godzilla Minus One ?


C.N. : Nous nous sommes intéressés au film bien avant sa sortie dans les salles japonaises. Nous avons commencé à échanger avec Tôhô bien avant de l’avoir vu. Cela se passe généralement ainsi dans le monde de la distribution. Il faut comprendre que Godzilla Minus One n’était pas encore disponible aux distributeurs quand nous avons commencé à envisager son acquisition. Bien entendu, nous avions pleinement conscience de l’importance du titre, car c’est aussi le film-anniversaire des soixante-dix ans de la franchise Godzilla, qui est une propriété intellectuelle majeure pour Tôhô. Nous avons obtenu le mandat de distribution bien avant que le film sorte au Japon, puis aux États-Unis. De notre côté, nous avons pu voir le film juste avant sa sortie japonaise et c’est là que nous avons vraiment pris conscience de l’ampleur du film. Il faut aussi ajouter que c’est un film de grande qualité, avec des effets visuels superbes, surtout quand on connait son budget. Ensuite, arrive le succès au box-office américain et nous avons saisi que quelque chose de spécial s’opérait. Et cela s’est amplifié avec les retours positifs de la presse, puis du public. 


F.M. : Pouvez-vous revenir sur l’organisation de la distribution européenne du film ?


C.N. : Lorsque que nous échangeons avec les ayants-droit, nous proposons une sortie salle dans tous l’Europe. Cela signifie que les majors japonaises comme Tôhô ou Toei n’ont pas besoin de travailler avec plusieurs distributeurs. De fait, ils ont un seul et unique interlocuteur sur l’ensemble du territoire européen. Et vu que nous sommes uniquement un distributeur salle, Tôhô conserve les autres droits (vidéo, SVOD). Cela leur permet une grande flexibilité. S’ils veulent négocier un accord de partenariat avec une plateforme, ils peuvent le faire. Étant donné que nous couvrons tous le territoire européen, Tôhô avait cette garantie et saisissait cette envie de notre part que le film allait sortir en salles sur tous les pays.

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F.M. : En France, Godzilla Minus One est d’abord sorti les 7 et 8 décembre 2023, puis du 17 au 31 janvier. Pourquoi cette exploitation en deux temps chez nous ?


C.N. : Ce n’était pas une stratégie de notre part. Il n’était pas question de « créer l’événement » avant d’organiser une sortie traditionnelle. On estimait qu’une sortie événementielle sur deux jours dans les villes principales était largement suffisante pour atteindre le public cible. Encore une fois, nous nous basions sur l’historique de Shin Godzilla. Ce dernier n’était pas encore sorti en salles en France. Mais nous pensions que ce public cible et pointu allait se mobiliser sur ces deux jours d’exploitation. Et c’est lorsqu’on a lancé la communication autour de Godzilla Minus One, nous avons constaté qu’un public bien plus large s’est manifesté. Et on a constaté ce phénomène dans d’autres pays, où l’impact du film s’est révélé plus important que prévu. Après les retours positifs de cette sortie de décembre, j’ai immédiatement contacté Tôhô pour leur faire part de la nécessité de ressortir le film car le public français y a répondu plus que favorablement. Et à ma plus grande joie, Tôhô a accepté et nous avons pu mettre sur pied cette sortie traditionnelle du 17 au 31 janvier. 


F.M. : Donc cela n’a rien à voir avec le respect de la chronologie des médias.


C.N. : Je vais être transparent sur ce point. Nous avons obtenu un visa exceptionnel pour la sortie événementielle de décembre pour, encore une fois, atteindre le public cible. Il n’était alors pas nécessaire de demander un visa d’exploitation et adhérer à la chronologie des médias. C’était une flexibilité pour tous. Mais lorsqu’il a été question de faire la seconde sortie, nous avons bien entendu demandé le visa d’exploitation, et donc cela enclenche la chronologie de médias. 


F.M. : Combien de spectateurs se sont mobilisés en France ? 


C.N. : Nous avons rassemblé 17 000 spectateurs sur les 7-8 décembre. Avec la sortie de janvier, nous arrivons à un total de 170 000 spectateurs. C’est un excellent chiffre pour une exploitation de deux semaines. Et en toute honnêteté, si nous avions pu négocier une sortie plus longue, nous l’aurions fait. Nous estimons que la France devrait être le pays phare en Europe pour ce type de sortie. En Angleterre, le film a rapporté plus de 2 millions de livres. Et je pense qu’on aurait pu faire plus en France. Mais nous avions pour obligation de stopper l’exploitation salles au 31 janvier, car cela faisait partie de la stratégie globale de Tôhô. C’était une obligation contractuelle mondiale et nous l’avons appliqué sur les 42 territoires que nous gérons. Mais si nous avions poursuivi l’exploitation française, je pense que nous aurions pu atteindre les 300 000 entrées. La décision de mettre sur pied la sortie de janvier a été prise durant les deux dernières semaines de décembre. Il fallait obtenir le visa, laisser passer les vacances de fin d’année. Le temps nous manquait pour pouvoir sortir le film plus tôt. Mais nous aurions voulu poursuivre l’exploitation. Et les exploitants de salles aussi. Pour vous dire, durant le week-end du 20 janvier, Godzilla Minus One était numéro deux en termes de remplissage de salle, juste derrière Pauvres Créatures de Yórgos Lánthimos, distribué par Disney. Honnêtement, il aurait été dommage de ne pas faire cette seconde sortie. Le succès de Godzilla Minus One dépasse largement la popularité qu’il a obtenue au-delà de son public cible.


F.M. : Je pense que Tôhô a stabilisé l’exploitation globale de la licence à travers les films japonais, le MonsterVerse de Legendary Pictures, les courts-métrages du « Godzilla Fest » et enfin les formats courts disponibles sur la Godzilla Channel de YouTube.


C.N. : Oui, je pense que Tôhô a voulu internationaliser cette licence, en tout cas le Godzilla japonais, afin de la pérenniser de manière plus concrète. Je pense également que Tôhô n’avait pas forcément anticipé le succès du film, car Godzilla Minus One raconte une histoire avec un contexte historique très japonais. Et ils devaient estimer que l’intérêt du public allait être limité au-delà des frontières japonaises. Mais je peux vous dire que Tôhô regarde ça en détail et avec grand intérêt et je pense qu’ils ont été surpris par le succès du film.

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F.M. : Avez-vous également obtenu les droits d’exploitation de la version noir et blanc Godzilla Minus One / Minus Color ?


C.N. : C’est une bonne question. Nous en avons discuté, bien entendu. Mais pour le moment, aucune décision n’a été prise quant à l’exploitation de Godzilla Minus One / Minus Color. Tôhô n’a pas encore établi de stratégie sur cette version. Si nous avons l’opportunité de la sortir, nous le ferons bien entendu. 


F.M. : Le film va concourir pour l’Oscar des meilleurs effets visuels ce dimanche 10 mars. Pensez-vous que le film puisse repartir avec la statuette ?


C.N. : Oui, je le crois et surtout, je l’espère. Si le film remporte cet Oscar, surtout compte tenu de son budget, je pense que cela aura un certain retentissement et générera un certain buzz. Je pense qu’ils prendront du temps pour décider des modalités d’exploitation de la version Minus Color et ils élaboreront la bonne stratégie quand le moment sera venu. De notre côté, nous étions très heureux lorsque nous avons appris que le film venait de revoir cette nomination. Avec ou sans Oscar, nous étions heureux d’obtenir le mandat de distribution pour ce film. Et nous sommes ravis de son éclatant succès. Il nous est arrivé de parier sur le succès d’un film qui, finalement, n’a pas autant fonctionné que cela. Concernant l’expérience sur Godzilla Minus One, nous sommes ravis du retour critique et de la mobilisation des spectateurs. La nomination aux Oscars est la cerise sur le gâteau. C’est extrêmement gratifiant pour un distributeur. Dans le futur, Godzilla Minus One peut devenir un classique que les gens auront plaisir à revoir en salles. C’est un film conçu pour être vu sur grand écran pour bénéficier de l’expérience optimale.


Remerciements : Piece of Magic Entertainment, Caspar Nadaud, Manon Dulauroy