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Ghosts of Mars : Jogging, trampoline et heavy metal

Le public attend fébrilement le prochain film de Carpenter. Et là, sous nos yeux ébahis – et sans aucun mode d'emploi – vint Ghosts of Mars.
Ghosts of Mars : Jogging, trampoline et heavy metal

À la fin des années quatre-vingt-dix, la simple annonce d'un nouveau film de Big John provoquait encore un enthousiasme digne de ce nom. Bien que Los Angeles 2013 (1996) ait refroidi à peu près tout le monde, rien ne pouvait encore ébranler la déférence quasi religieuse du public envers le maître. Avec Vampires (1998), Carpenter nous livrait un néo-western aride, généreux en gore et chargé de punchlines sous la ceinture déclamées par un James Woods en très grande forme. Après un petit succès confirmé à l'international, le public attend fébrilement le prochain film de Carpenter. Et là, sous nos yeux ébahis – et sans aucun mode d'emploi – vint Ghosts of Mars. Avec ce film, initialement prévu comme le troisième volet qui aurait conclu une « trilogie Snake Plissken », le studio fait un 180° suite à la douche froide du précédent film et décrète que Kurt Russell n'est plus l'idole des jeunes. L'avorté Escape From Earth change de direction pour devenir l'anomalie qui signera prématurément la fin (?) de la carrière de son auteur. Retour sur l’aventure Ghosts of Mars.


Par Julien Mazzoni, à retrouver dans notre prochain livre John Carpenter : seul contre tous, disponible dès maintenant en précommande sur KissKissBankBank.com !

En 2176, l'humanité peut enfin s'ambiancer sur la planète rouge, désormais colonisée, et ainsi piller ses ressources sans vergogne. Des centaines de milliers de colons et d’ouvriers s'affairent dans les différentes villes-champignons qui pullulent à la surface de la planète. L'histoire se répète et l’on peut aisément mettre ces exactions en parallèle avec l’histoire coloniale des États-Unis. Les natifs américains sont ici remplacés par les âmes d'un antique peuple martien, libérées de leur sépulture lors d'une excavation trop curieuse. Sous forme d'un immense brouillard sporeux et rougeâtre (parce que Mars), ceux-ci contaminent les envahisseurs terriens et prennent possession de leurs esprits, les transformant en guerriers tribaux et violents adeptes de la restructuration faciale par scarifications. Scandalisés de voir leur terre natale souillée par des hordes venues d'ailleurs, les possédés vont entreprendre de décoller tous les humains encore sains d'esprit pour redécorer la colline voisine avec leurs têtes embrochées. Au même moment, une escouade policière débarque en train dans la petite ville minière afin d'assurer le transfert d'un dangereux criminel, James « Desolation » Williams (un nom qui n’inspire pas franchement la terreur). Seulement voilà : à part quelques morceaux de gens éparpillés par-ci par-là et une flopée de cadavres sans tête pendus par les pieds, Shining Canyon semble bel et bien désert.


Sur le papier, ce script de série B n'est pas plus mauvais qu'un autre. Au passage, Carpenter en profite pour nous concocter un énième western moderne, sorte de Rio Bravo SF influencé par son propre Assaut. En jouant la carte de la montée en tension au fil de la révélation des évènements, l'attention du spectateur reste – plus ou moins – maintenue, malgré l'utilisation abusive de scènes de couloirs et d'allers-retours beaucoup trop fréquents. Il faut dire que les décors ne sont pas nombreux, et mis à part quelques bâtiments en carton-pâte autour d'une unique allée principale où les protagonistes vont passer pas mal de temps, la patience du spectateur risque assez vite de se faire la malle. 


À l'instar des fantômes martiens, l'amateurisme ambiant commence à contaminer toutes les scènes, bien qu'on s'amuse des performances toutes relatives d'un casting assez hétéroclite : révélée par La Mutante (1995), Natasha Henstridge remplace au dernier moment une certaine Courtney Love qui se blesse avant le début du tournage. La matriarche Pam Grier dirige l'équipe d'une main de fer, tandis que ce bon vieux Jason Statham passe son temps à tenter de conclure avec l'actrice principale entre deux coups de savates. À la base, notre kicker préféré devait incarner le fameux prisonnier Desolation Williams, avant que les studios n'en décident autrement. Non vraiment, d'après eux, cet anglais presque chauve n'aurait pas l’étoffe pour percer… C'est donc l'inénarrable Ice Cube qui héritera du rôle de l'anti-héros toujours énervé, censé effrayer tout le monde avant même son apparition. Le rappeur – qui luttait contre un anaconda géant aux côtés de J.Lo quelques années plus tôt –, va donc trimballer sa verve N.W.A jusqu'à la dernière seconde du film, les sourcils froncés et des « motherfuckers » systématiques en guise de ponctuation. Straight Out of Compton: Mission To Mars ; et pourquoi pas après tout ? Pour étoffer un peu le bodycount du film, viendront quelques seconds couteaux dont la seule raison d'être sera d'atteindre le générique de fin en pièces détachées. Une fois rassemblé et après s’être copieusement insulté, tout ce beau monde va devoir se retrancher dans la prison après avoir enfin pris conscience de la menace en approche. Il y a encore des humains qui respirent dans cette ville, et une troupe de démons-punks-aliens crie vengeance.

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Soyons honnêtes, on pardonne presque tout à ceux qu'on aime. Et si Ghosts of Mars avait été réalisé par un énième yes man ou autre réalisateur de seconde équipe passant derrière la caméra le temps de commettre un forfait (dont le meilleur exemple des années quatre-vingt-dix reste sans doute Mortal Kombat: Destruction Finale), la pilule serait mieux passée. Mais dans le cas présent, c'est l'un des auteurs les plus adulés et respectés du cinéma fantastique et d'horreur qui est à l'œuvre, et nous sommes logiquement en droit de réclamer des comptes. À travers le commentaire audio de l’édition DVD, on sent poindre un certain désintérêt de la part du cinéaste pour son film tout le long du processus, peu convaincu par la tournure des évènements au jour le jour. Même si les imprévus et autres incidents sont inévitables durant la production d'un long-métrage – d'action qui plus est –, la pause forcée de Natasha Henstridge suite à un potentiel burn-out n'a sûrement pas aidé. Une semaine sans actrice principale, des figurants décrits comme fantasques, un tournage qui se déroule exclusivement de nuit… À noter que les quantités astronomiques de colorant alimentaire utilisé pour recouvrir les extérieurs auraient relativement impacté le budget, les intempéries balayant régulièrement le travail des décorateurs. Au rayon des effets spéciaux, il faut bien reconnaitre que, même pour l'époque, les images de synthèse sont à la ramasse. Les maquettes – dont on salue d’ailleurs l'utilisation – font quant à elles plus ou moins illusion, et tout ce qu'on sauvera d'un strict point de vue artisanal reste les chouettes maquillages du talentueux studio KNB, bien qu'assez basiques dans l'ensemble. À l'heure où l'académie des Oscars envisage de plus en plusde fonder une catégorie qui récompenserait les cascadeurs, profitons-en pour ramener sur le devant de la scène le travail de ces hommes et femmes de l'ombre, avec une mention spéciale au leader des vilains : le bien nommé « Big Daddy Mars » incarné par un ténor de la profession, Richard Cetrone. Aujourd'hui soixantenaire révolu, il a traversé les décennies en doublant pléthore d'acteurs (le batfleck, c'est lui) et en incarnant quelques personnages mémorables (Zeus, l'Alpha zombie de Army of the Dead).


Toujours est-il qu'en l'état, le film prend l'eau de toutes parts, et quand bien même la mise en place reste plaisante à suivre, en s'articulant autour de plusieurs points de vue et autres flashbacks, le tout lorgne rapidement vers la grande bisserie tendance Z. Il faut donc s’envoyer une heure d'exposition pas toujours glorieuse pour se retrouver enfin au cœur de la confrontation tant attendue. Et c'est sûrement à ce moment précis que le spectateur ne pourra qu'admettre la triste réalité : Ghosts of Mars est un pur film de couloirs où l’on ouvre beaucoup de portes sur pas grand-chose, et dont le troisième acte s'apparente au rejeton hybride de l'Hellfest et de la Foire du Trône. Des bastons générales sans saveur, des figurants peinturlurés qui cavalent et gesticulent dans tous les sens et des acteurs qui composent comme ils le peuvent avec cet environnement de travail au rabais achèvent le spectateur qui ne peut plus qu'en rire. L'une des rares choses positives qui demeure, des années plus tard, est la fameuse bande son assez barrée qui pioche dans quelques célèbres noms du métal (Steve Vai, Bucket Head, Anthrax…) pour venir s'hybrider à la musique digitale de Carpenter, bien que le style dark-country-synthétique de Vampires ait été en bien meilleure osmose avec son sujet.

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Fatalement, toute cette gaudriole mènera Carpenter à prendre une longue pause loin de Hollywood. Dans une interview en 2011, le cinéaste expliquait que sa note d'intention, quant à l'atmosphère du film, était d'en faire quelque chose de beaucoup plus débridé et détendu, ce qui est ironiquement arrivé, mais de façon involontaire et résolument clownesque. En guise d'ultime pied de nez, le film se conclut sur un bris du quatrième mur, avec un regard caméra très appuyé de la part d'un Ice Cube tout sourire. Le problème se trouve peut-être ici : entre l'approche sérieuse et académique de la première partie du film et le grand foutoir de sa conclusion, l'entreprise s'effondre pour devenir une ineptie à 28 millions de dollars (où est l'argent ?) qui laissera pantois même les fans les plus endurcis. Ghosts of Mars a, depuis, tout de même gagné ses galons de film culte, catégorie débilo-bourrine, et mérite d’être revu de temps en temps pour réaliser que, parfois, même les meilleurs peuvent se planter en beauté. Bien évidemment, on ne leur en tiendra pas rigueur.


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