Happy Meal : Le petit-déjeuner d'Alien
Le déjeuner à la Alien n’est peut-être pas le plus appétissant, mais il est le plus traumatisant. N’hésitez pas à enfiler vos bavoirs cependant : ça tâche sévère.À l'occasion de la diffusion d'Alien ce samedi 18 septembre sur RTL9, retour sur le petit-déjeuner d'Alien. Un repas qui n’est peut-être pas le plus appétissant, mais sûrement le plus traumatisant. N’hésitez pas à enfiler vos bavoirs cependant : ça tâche sévère.
Une expédition. Des œufs recouverts d'une étrange brume. Une saleté d'araignée qui s'expulse sur le visage de sa proie. Un coma, puis un éveil, et ce qui s'ensuit, tout naturellement : un déjeuner. « Est-ce que je peux manger quelque chose avant de m'évanouir ? » s'amuse le pauvre Kane. Son ami Parker approuve : « J'avoue que moi aussi je meurs de faim ! ». Et Lambert d'ajouter : « Tu te précipites sur la nourriture comme s'il n'y avait pas de lendemain ». Quelques bruits de vomissements plus tard, une immonde créature lui transpercera le ventre dans une explosion de sang. Cruelle ironie. L'histoire d'Alien est avant tout celle d’un déjeuner qui s’est (très) mal terminé.
Article par Clément Arbrun paru dans le numéro Rockyrama 24 : Alien.
Fait amusant, ce que l'on trouve à l’origine de ce climax gustatif aurait pu directement sortir de notre frigo. Le tournage était à mi-chemin entre une dissection et un délire carniste. Bâches plaquées sur le plateau, k-ways sur les épaules des techniciens, et surtout, seaux d'abats (intestins de porcs et de moutons) et de tripailles posés au sol. Il paraît que l'odeur sur place était tout à fait répugnante et la résolution, digne d'une boucherie : une explosion de sang factice qui gicla jusqu'au visage de l'actrice Veronica Cartwright. Quant aux premières esquisses du Xénomorphe, imaginé par le plasticien suisse H.R. Giger, la légende raconte qu'elles évoquaient le profil… d'une dinde. L'affreuse gueulante de l'Alien libéré, elle, se constitue en partie de cris de cochon.
Ce cauchemar en cuisine est un subtil écho à l'une des premières séquences « normales » du film, qui succède à une longue ouverture contemplative. Sorti d'un sommeil artificiel, l'équipage du cargo interstellaire Nostromo se laisse aller à un petit-déj' bien mérité. Bols de céréales, café et clopes. Le caustique Parker se permet même un léger « J'peux finir mon café ? Merci, c'est la seule chose de bonne dans ce rafiot ! ». Normal. La boisson chaude réconforte dans ce « rafiot » à l'atmosphère glaciale. La cabine permettant la biostase est même surnommée le « réfrigérateur ». Preuve en est que ses occupants ne sont que des viandes froides destinées à être bectées. Car le Xénomorphe n'est pas qu'un monstre, c'est une gueule. « Sa tête va bouger et “ça” aura des dents » se contentait d'indiquer Ridley Scott au casting avant de shooter cet accouchement aux forceps. L'espace d'un article du magazine Empire, le cinéaste disait des designs fabuleux de Giger : « Il n'y pas de tête ; il n'y a qu'une bouche. » Une bouche carnassière et remplie de dents acérées, submergée de cette bave immonde et dégoulinante. Dans le film, on s'interroge même sur ses besoins nutritionnels. Et quand le Xénomorphe fait des victimes, mieux vaut les terminer au lance-flammes, en mode barbecue estival.
Afin de garantir l'étonnement des comédiens, Ridley Scott a préservé jusqu'au bout le secret : d'où la créature peut-elle donc émerger ? Une initiative vicelarde autant que pertinente. Car dans Alien, le déjeuner est l'un des rares repères que nous autres, spectateurs, avons. Un motif rassurant au sein d'un univers angoissant à souhait. Autour d'un repas, aussi dégueu soit-il, on se dit que rien de bien tragique ne peut arriver. Grossière erreur. Le fait que l'horreur vienne éclore d'un « instant-détente » nous dévaste. Pourtant, en dépit du dégoût qu'il nous inspire, tout dans Alien respire le foodporn. C'est là le corps même de son histoire : un organisme étranger dévore à tout-va et celle qu'il pourchasse va l'expédier dans le sas d’aération. En un mot, faire en sorte que le vaisseau le digère. L'androïde Ash dit de l'Alien qu'il est un « parfait organisme » et le mot pourrait résumer l'œuvre entière : organique. D'un côté, les sceaux de tripes et d'abats qui daubent, et à l'écran, les entrailles à vif du pauvre Kane.
L'interlude-dégustation d’Alien fait partie de ces repas proprement immondes autant que légendaires qui traversent de part et d'autre la culture populaire. On pense à ce buffet indien qui nous fait tourner de l’œil dans Indiana Jones et le temple maudit. À la délicieuse cervelle de Ray Liotta, incisée avec doigté et amoureusement cuite par le gourmet Lecter dans le Hannibal de Ridley Scott (encore lui !). Au Jusqu’en enfer de Sam Raimi et à son appétissant « harvest cake », fourré au globe oculaire et aux vers grouillants – avec une option « coulis de fraise » plutôt riche en hémoglobine. Et tant qu'à choisir, on pourrait attribuer la Palme des cuistots à David Fincher, qui avec Seven a su nous écœurer à vie du péché de gourmandise. Ces fulgurances graphiques de cinéma d’horreur confondent boustifaille et chair humaine. Et dans la salle à manger cosy du Nostromo, ce qui déchiquète nous sort carrément du bide, entre deux assiettes. On ne peut guère faire allégorie plus gore de notre propre voracité. « La première chose que je ferai quand je serai rentré chez moi sera de manger quelque chose de bon » disait Kane avant de se transformer en vulgaire pièce de charcuterie. R.I.P : il restera à vie dans le Guiness Book comme le cas d'indigestion le plus foudroyant de l'Histoire.
Article par Clément Arbrun.