Talia Shire : pour la famille
Dans la famille Coppola, je demande un nom grandement oublié des cérémonies et des éloges. Celui de Talia Shire, petite sœur de Francis Ford Coppola et mère des frères Schwartzman, Jason et Robert (chanteur du groupe Rooney), tante de Nicolas Cage etDans la famille Coppola, je demande un nom grandement oublié des cérémonies et des éloges. Celui de Talia Shire, petite sœur de Francis Ford Coppola et mère des frères Schwartzman, Jason et Robert (chanteur du groupe Rooney), tante de Nicolas Cage et Sofia Coppola.
Après les trahisons, les manigances, les regrets et les séparations… Une table. Un retour en arrière, quelques années plus tôt. Tout le monde est là, même le père, bien qu’il n’apparaisse pas à l’image. Mais il est dit qu’il est parti à la chasse aux cadeaux. Cette soirée est celle d’un anniversaire, et quand bien même dehors la guerre éclate, les rires sont nombreux, deux frères miment tendrement un combat de boxe, et le grand gâteau sur lequel doivent être déposées les bougies est enfin dévoilé. Sur cette table donc, autour de laquelle, une dernière fois on le sait, tout le monde est réuni. Il y a là Michael, Sonny, Tom, Fredo, et Connie. Le deuxième volet du Parrain s’achève, Francis Ford Coppola nous ramène en arrière, au temps de l’insouciance, ou presque. Lors de cette réunion, Michael annonce en effet s’être engagé dans les Marines. La démarche choque tant le patriarche, Don Vito Corleone, qu’il fait en sorte qu’il soit réformé. Mais Michael a choisi de choisir, il a choisi sa propre voie. Connie, elle, ne dit rien, ou si peu. On lui présente le futur père de ses enfants, qui la tabassera, et d’ailleurs, au premier regard, elle ne semble pas à l’aise avec lui, mais son grand frère, Sonny, insiste. Finalement, quand la discussion devient sérieuse, elle est priée de quitter la table. Observatrice, elle ne sera rien d’autre, n’a pas son mot à dire, même dans cette famille qui est la sienne. Les hommes prennent la place, la parole, les décisions. Connie disparaît. À moins qu’il ne s’agisse de Talia Shire.
Talia Rose Coppola naît le 25 avril 1946 à New York. Elle deviendra Shire par son premier mariage avec le compositeur David Shire, entre autres responsable des bandes originales des Hommes du Président et de Conversation Secrète (mis en scène par son grand frère, Francis Ford). Talia Shire commence sa carrière en 1968 dans le film The Wild Racers avant de tourner en 1970 dans Dunwich Horror et en 1971 dans The Christian Licorice Store. Mais c’est avec Le Parrain et sa suite que l’actrice devient un nom de premier plan. Elle décroche grâce au Parrain 2 une nomination aux Oscars en 1975 dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle. L’année suivante, elle devient Adrian Balboa, née Pennino, dans Rocky (une nomination aux Oscars encore une fois, mais également aux Golden Globes). Un rôle qu’elle interprétera jusqu’à Rocky 5, sorti la même année que Le Parrain 3. Depuis, si peu. Elle s’essaie à la production, aux côtés de son deuxième mari, Jack Schwartzman, décédé en 1994 et père de Robert et Jason. Sans succès. La télévision lui ouvre les bras, le cinéma indé, de temps en temps. Elle apparaît dans Passé sous silence en 1997, L’Association du mal en l’an 2000, J’adore Huckabees en 2004. Voilà.
Rocky et Le Parrain. Certes, Talia Shire n’est pas la première actrice à se laisser enfermer dans l’image que se font les gens d’elle, année après année, film après film, au sein de deux franchises (le terme s’appliquant bien davantage aux films avec Sylvester Stallone) qui lui offrent confort, facilité, mais peu de défi. Surtout, les deux univers ont tant en commun. L’homme y est au centre de tout, il est décideur, il est aux commandes de son destin. La femme, elle, regarde, désemparée, les événements, tragiques ou sublimes, se dérouler sans qu’elle ait réellement son mot à dire. Dans Le Parrain 2, elle est réduite au silence, avant de se révéler, à la mort de sa mère, perverse et menteuse dans la conclusion de l’histoire des Corleone. Dans le premier volet de Rocky, on la découvre timide, renfermée, pour finalement apprendre à connaître une femme aimante, trouvant auprès du boxeur la lumière qui peinait à entrer dans sa vie. Dans les deux cas, le personnage évolue, dans deux directions opposées, mais toujours, toujours à la suite des hommes, jamais à leurs côtés. Talia Shire, Connie, ou Adrian, ne peuvent qu’attendre, souffrir de ne pas savoir, pendant que quelqu’un, quelque part, rafle les honneurs ou le pouvoir.
Francis Ford Coppola a été récompensé cinq fois aux Oscars et a remporté deux fois la Palme d’or au Festival de Cannes, tentant au passage de renverser Hollywood avec American Zoetrope, tutoyant la ruine et le déshonneur, établissant un culte autour d’une personnalité démesurément grande, sauvage. Francis Ford Coppola était un ogre, un dévoreur de mondes, capable d’investir dans un magazine, de s’autoproclamer rédacteur en chef, d’engager une nouvelle équipe, avant de tout voir mourir quelques mois plus tard. S’il semble assagi, nul doute que sa carrière, son aura, sa grandeur, eurent nécessairement sur la famille Coppola l’effet d’un immense arbre à l’ombre duquel il n’était pas simple, voire impossible de pousser. Talia Shire était, et reste encore aujourd’hui, avant tout la sœur de Francis Ford Coppola. Dans un entretien accordé au blog The Hollywood Interview, Talia Shire s’exprime ainsi : « Je suppose que je ressemble beaucoup à Adrian. Je suis terriblement, terriblement timide, pour diverses raisons. Adrian s’épanouit par l’amour et le partenariat, tandis que Connie est sacrifiée. » Un sacrifice à la vie comme à l’écran, au nom de la famille.
Article paru initialement dans le Rockyrama 28, Coppola, une affaire de famille. Toujours dispo sur notre shop.