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Troy McClure, l'éternel figurant d'une série majeure

« Bonjour, je suis Troy McClure. » Comme bien des personnages secondaires des Simpson, Troy McClure a tout du running gag absurde et irrésistible. Mais pas seulement.
Troy McClure, l'éternel figurant d'une série majeure

« Bonjour, je suis Troy McClure. » Comme bien des personnages secondaires des Simpson, Troy McClure a tout du running gag absurde et irrésistible. Mais pas seulement.


Par Clément Arbrun.

Article issu du Rockyrama n°34 - L'Amérique selon Les Simpson. Toujours disponible sur notre shop !

Vous vous souvenez sans doute de lui dans des longs-métrages comme Vol au-dessus d'un lit de toutous, Geronimo perd ses plumes, La Revanche d'Abraham Lincoln ou Massacre à la poinçonneuse. Il faut dire que Troy McClure a la fâcheuse manie de vous lister sa filmographie à la moindre apparition. Une carrière qui déborde aussi de films éducatifs : 60 minutes de crash de voitures, Peinture au plomb : délicieuse mais mortelle, Pétards : les tueurs silencieux... Pour ne citer que le must have. Troy McClure n'est pas vraiment une vedette. À Hollywood, comme à Springfield : moins absurde que Ralph Wiggum, moins mystérieux que Carl Carlson, moins burlesque que Hans Taupeman... Un autre comédien célèbre, Rainier Wolfcastle, le Arnold Schwarzenegger de cet univers, le surpasse largement en termes de notoriété. En étant méchant, on rapprocherait davantage ce bon vieux Troy de L'homme abeille, Yaritza Burgos de son vrai nom, star d'une télénovéla inepte. 


Mais il serait trop simple de réduire le bougre à d'aberrants titres comme Les Tornades les plus drôles d'Amérique. Apparu dès la deuxième saison de notre série préférée (l'épisode « Tu ne déroberas point »), McClure précède de fait Gros Tony, les parents Van Houten et Bébé Gerald – le bambin aux gros sourcils qui fusille Maggie du regard. Résumons sa carrière en trois points : il a épousé puis quitté Selma Bouvier, voue une étrange... passion... aux poissons, et a l'habitude de présenter les épisodes les plus métas du show – comme « Les Vrais-Faux Simpson », compil' pleine d'autodérision des pires spin offs, évidemment fictifs, de la production Fox. En gros, dès que la série ironise sur ses propres limites et le manque d'inspi' de ses scénaristes épuisés, Troy McClure est là.

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Quoi de plus normal ? Troy McClure est la crise artistique faite homme. Il est ce que Krusty le Clown craint sans cesse de devenir : un has been. Né sous la plume du scénariste Steve Pepoon et développé sous l'impulsion enthousiaste des showrunners Bill Oakley et Josh Weinstein, le personnage est la fusion de deux acteurs américains, Troy Donahue et Doug McClure. Vous les avez peut-être déjà vus dans des films comme Le Monstre des abîmes, Torpilles sous l'Atlantique, The Monolith Monsters ou Le Triangle du diable. Bref, des séries B. Donahue compte quelques Douglas Sirk ou Blake Edwards dans sa filmo, mais ses performances n'ont traumatisé personne. Ces artistes démodés n'ont pas eu leur Boulevard du Crépuscule ou leur Lost in Translation, deux grandes histoires de has been comme le cinéma sait nous en proposer. Non, ils ont eu leur Troy McClure. 


Et à raison de sept années d'apparitions (1991-1998) dans ce qui était alors l'un des plus gros phénomènes pop, on peut dire que Troy et Doug ne s'en sont pas trop mal tirés. Surtout que cette création ne se limite pas au clin d'œil. Armé de son éternelle autopromo et de sa garde-robe désuète, Troy McClure est un individu narcissique et lifté qui fait l'objet des rumeurs les plus scandaleuses. Il faut dire que James L. Brooks, cinéaste et producteur des Simpson, a eu l'idée de lui attribuer un fétichisme sexuel très singulier. Troy est ringard comme Tim Allen, malsain comme Tom Cruise, son jeu est aussi statique que celui de Steven Seagal et sa diction robotique est celle des anciennes vedettes condamnées à l'antichambre des publicités. Bref, il est un miroir tendu à l'industrie du spectacle. Et en chacun de ses « Vous m'avez peut être vu », débités dans des cadres improbables, le visage plissé, résonne l'angoisse d'oubli global que ressentent tous les comédiens vieillissants.

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Cette même lueur traverse le regard mélancolique de Rick Dalton, le loser magnifique du Once upon a time… in Hollywood de Quentin Tarantino. On s'imagine volontiers Troy McClure, interprète de The Muppets Go Medieval (où le valeureux combat Kermit la Grenouille, épée en main) et La Planète des singes : la comédie musicale concurrencer le comédien dépressif qui, sous les traits de Leonardo Dicaprio, se fait traiter de « cowboy de feuilleton télévisé » durant un tournage. Il y a toujours chez les has been une mélancolie qui ne demande qu'à être sublimée. Seulement voilà, difficile à faire quand votre personnage déclame à un enfant apeuré : « Ne te fais pas d'illusions, Jimmy. Si une vache en avait l'occasion, elle te mangerait, toi et tous ceux que tu aimes ».  


Le staff de scénaristes des Simpson n'a pas vraiment pris la peine de complexifier ce personnage. Peut-être car sa qualité tenait en sa condition de running gag fabuleux. Mais c'est surtout le réel qui est venu bousculer les lignes. Car Troy McClure, c'était avant tout un homme : le comédien de doublage Phil Hartman. Ancien du Saturday Night Live, Hartman avait fait ses armes en écrivant les sketchs surréalistes de Pee-Wee Herman – même si le public français le connaît davantage pour son apparition dans La course au jouet. Hartman était si apprécié dans le staff des Simpson que ses mimiques inspiraient directement l'écriture de son alter ego animé. Son look également, à base de cravates et pantalons éloignés des podiums de la Fashion Week. Si Hartman n'avait pas été si bon, Troy McClure ne serait pas autant revenu. Surtout, Phil Hartman savait incarner avec conviction les losers olympiques qu'il rendait irrésistibles : le nullissime avocat Lionel Hutz, c'était aussi lui. Comme Hutz, McClure n'est pas du tout antipathique. Il est juste dépassé, c'est un zéro attachant. 


Le 28 mai 1998, Phil Hartman est abattu par sa femme Brynn, ivre et sous l'influence de la cocaïne. Nous sommes à Los Angeles. Il est trois heures du matin. Peu de temps après avoir avoué son crime à un ami, Brynn Omdahl s'enferme dans sa chambre. Avant que la police n'arrive, elle se suicide. Suite à la mort de Phil Hartman, l'année de sortie de Small Soldiers (où il incarne le père de Kirsten Dunst), Troy McClure a cessé d'apparaître dans Les Simpson. Une tragédie qui a fait couler beaucoup d'encre, et autant d'hommages. Sur internet, les louanges pleuvent encore, des fans qui voient en Stephen Colbert et Ron Burgundy « du Hartmanisme » aux vidéos YouTube qui compilent ses « funniest voices ». Pour le plus grand plaisir de ceux qui ne cessent de rappeler l'apport du style Hartman à la plus drôle des séries. Quant à Troy McClure, vous pourrez toujours le retrouver dans des films comme Les Oiseaux : nos collègues à plumes et David contre Super Goliath.


Par Clément Arbrun.

Article issu du Rockyrama n°34 - L'Amérique selon Les Simpson. Toujours disponible sur notre shop !