The Fabelmans : la matrice Spielberg
Steven Spielberg, l’un des réalisateurs les plus aimés et célébrés au monde, a couvert en 36 films, méthodiquement et avec un succès sans précédent, quasiment tous les genres.Steven Spielberg, l’un des réalisateurs les plus aimés et célébrés au monde, a couvert en 36 films, méthodiquement et avec un succès sans précédent, quasiment tous les genres. Une constante : l’art de raconter des histoires, de créer un prisme d’émotions, pourvu qu’il y ait – comme chez ses maîtres – de l’ampleur et du souffle. Si on le sait sentimental et surtout humaniste, Steven Spielberg a pourtant été relativement discret sur sa vie personnelle. Aujourd’hui, à 76 ans, il ouvre sa boîte de pandore intime, mettant en scène les secrets de son enfance et de son adolescence, de ses traumas à sa passion sans limites pour le cinéma.
Extrait d'article de Delphine Valloire.
Retrouvez l'article complet dans le Rockyrama n°38, disponible en kiosque, librairie et sur notre shop dès le 10 mars 2023.
Un petit garçon de six ans, dévoré d’angoisse, que son père et sa mère essaient de rassurer dans la queue du cinéma, avant sa première séance dans une salle obscure… Son père lui explique le fonctionnement technique de l’appareil de projection en fonction des capacités de l’œil humain : « That’s called persistence of vision. » (C’est ce que l’on appelle la persistance de la vision.) Sa mère, elle, lui laisse présager un miracle : « Movies are dreams you’ll never forget. » (Les films sont des rêves que l’on n’oublie jamais.) Finalement, tout le film et toute la magie de l’œuvre de Spielberg tiennent dans ces deux phrases prononcées pendant les cinq premières minutes de The Fabelmans. Le titre même du film va installer cette même ambivalence entre le cinéma et le réel, la légende et la vérité : « Fabelman », un nom de famille fictif pour ne pas utiliser « Spielberg » (littéralement « gardien » en allemand), pourrait se traduire par « L’Homme de la fable » ou encore « Le Conteur ». Il évoque le mot fable, fabula en latin, qui peut à la fois signifier une conversation privée, un récit mythique ou une pièce de théâtre. Le film est les trois à la fois, bien entendu. Spielberg, l’un des plus grands « conteurs » du cinéma, sinon le plus grand, livre ici sa vérité reconstituée : une leçon sur l’art, la passion et la vie, et plus encore le récit – séminal pour son œuvre – qu’il veut laisser sur son enfance, sur sa famille, sur son identité juive, sur la difficulté d’être un parent et celle d’être un fils, sur son père, sa mère, leur mariage et leur divorce douloureux. En les réinventant à chaque plan.
Burt Fabelman, le personnage du père joué par Paul Dano, apparaît en premier. C’est un introverti touchant, un ingénieur absolument génial dans son domaine (l’informatique à ses prémices). Il est éperdument amoureux de sa femme, Mitzi (Michelle Williams), une pianiste classique extravertie et excentrique qui danse, grimpe aux arbres, joue du piano avec des ongles vernis, rejette les tâches ménagères au point de n’utiliser que de la vaisselle jetable, ou revient des courses, un beau jour, avec un singe qu’elle a adopté sur un coup de tête, juste parce qu’il dépérissait de tristesse dans la devanture d’une animalerie. Au bord de la crise de nerfs, elle prend le volant sur un coup de tête avec ses enfants à l’arrière et fonce droit vers une tornade qu’elle veut « voir de plus près » avant de réaliser l’énormité de ses pulsions de mort devant les vitrines explosées par les rafales de vent. En 2017, dans l’excellent documentaire Spielberg de Susan Lacy (2h30 !), le réalisateur parle de sa mère avec une lucidité mêlée de tendresse : « My mum was Peter Pan ; she was a sibling, not a parent, because she was a best friend, not a caregiver. » (Ma mère, c’était Peter Pan ; elle était comme une sœur, pas un parent, parce qu'elle était comme une meilleure amie, et non une figure maternelle responsable.)
Les Fabelman, avec leur fils Sammy (alias Steven, interprété à la perfection par Gabriel LaBelle) et leurs trois filles, Reggie, Natalie et Lisa, déménagent au gré des promotions du père, du New Jersey à la Californie, en passant par l’Arizona. Ils sont suivis par le boute-en-train « oncle » Benny (Seth Rogen), collègue sympathique et meilleur ami du père. Et l’on ne comprend ni vraiment ce qu’il fait toujours là, ni pourquoi Mitzi rit un peu trop fort à ses blagues, jusqu’à ce que la vérité se dévoile, par un frôlement de mains dans la forêt, en 24 images-seconde, sur la pellicule montée par Sammy, alors adolescent. Comme dans le César et Rosalie de Sautet, il n’y a ici pas de « bons » ou de « méchants », ces paramètres manichéens n’existent tout bonnement pas. Les adultes se débattent avec leurs sentiments et avec leurs limites. Sans que ce soit très compréhensible pour leurs enfants. Lors du « vrai » divorce des Spielberg, en 1966, on note d’ailleurs que le père avait assumé, par rapport à leurs quatre enfants – par amour pour son ex-femme et pour la protéger –, tous les blâmes et la responsabilité de la séparation. Dans le film, la vie glisse sans qu’on y prête attention, avant de passer sous la loupe de l’objectif pour y être disséquée, revue encore et encore, montage après montage, laissant Sammy désemparé devant une vérité qu’il ne voulait pas connaître.
Extrait d'article de Delphine Valloire.
Retrouvez l'article complet dans le Rockyrama n°38, disponible en kiosque, librairie et sur notre shop dès le 10 mars 2023.