La Revanche des humanoïdes : rencontre avec Jean Barbaud
À l’occasion de la sortie de La Revanche des humanoïdes, nous sommes allés poser quelques questions au dessinateur…Au premier abord, le nom de Jean Barbaud ne vous dit peut-être pas grand-chose. Pour les plus jeunes d’entre vous, il ne vous dit même sûrement rien. Pourtant, il est l’homme qui a conçu certains des personnages les plus célèbres de l’histoire du dessin animé français. Si vous avez vu un seul épisode d’Il était une fois la vie, alors, vous le connaissez mieux que vous ne le pensez. Il en va de même pour Il était une fois l’homme et Il était une fois l’espace. Ces séries, créées par Albert Barillé, ont bénéficié du talent de Jean Barbaud, sans doute plus proche de Gaston Lagaffe que de Walt Disney. Alors, à l’occasion de la sortie de La Revanche des humanoïdes, nous sommes allés poser quelques questions au dessinateur…
Entretien par Johan Chiaramonte
Johan Chiaramonte : Comment était l’atmosphère de travail, à l’époque ?
Jean Barbaud : On a fait tout ça dans la joie et la bonne humeur, avec beaucoup d’inconscience, il faut le dire. On n'imaginait pas du tout que les séries auraient une telle longévité et un tel succès. Et c’est très bien comme ça. C’est très bien que l’on n'ait pas su à l’avance qu’on en parlerait encore quarante ans plus tard… C’était une forme de naïveté qui allait bien avec l’époque.
J. C. : Qu’est-ce qui vous a poussé vers cette aventure ?
J. B. : À l’école de dessin publicitaire, en fin d’étude, j’avais un professeur qui s’appelait Bernard Deyriès. C’est l’un des fondateurs du studio qui a créé L’Inspecteur Gadget, Ulysse 31, Les Cités d’or, et bien d’autres encore. Bernard Deyriès est quelqu’un d’extrêmement important dans le monde de l’animation française. Mais avant de partir fonder ce studio, à la fin de mon cursus, il m’a proposé de les rejoindre. D’autant plus qu’ils s’apprêtaient à répondre à un appel d’offre d’Albert Barillé et Procidis. Nous avons fini par aller voir Barillé ensemble, parce qu’il aimait bien mes dessins.
J. C. : À quoi ressemblait votre atelier ?
J. B. : Nous étions une dizaine à l’occuper. Il y avait des cellulos un peu partout, on était plus proche de l’artisanat que d’autre chose. Il n’était pas rare qu’on passe des nuits entières au studio. On revenait après diner, et on ne comptait pas nos heures. D’abord, parce que nous aimions ce que nous faisions. Ensuite, parce qu’on ne manquait pas de travail ! Nous avions des moments de franche rigolade. Cette ambiance s’est mécaniquement perdue quand la boîte a commencé à grossir et que nous sommes passés de dix à cent personnes, dans des bureaux beaucoup plus grands…
J. C. : Et puis Jean Chalopin décide de déménager le studio à Paris…
J. B. : Oui. Là aussi, c’était un peu l’évolution logique d’une boîte qui commençait à avoir une taille conséquente, à l’époque. Mais Manchu, Afrula, mon épouse et moi-même décidons de rester à Tour, tout en continuant de travailler avec Albert Barillé sur sa prochaine série, Il était une fois l’espace. Nous ne voulions pas monter à Paris.
J. C. : Parlons des personnages… Comment les avez-vous imaginés ?
J. B. : J’ai l’impression d’avoir fait ça très vite… J’ai un peu honte de l’avouer. J’avais une grosse culture bande dessinée, car mes grands-parents tenaient une maison de la presse. J’avais donc accès à ce que l’on appelait « les illustrés », comme Tintin, Spirou, Pif et les autres. Mais j’étais très attiré par Franquin, par son style très libre, et beaucoup moins par Hergé, par opposition. Je suis donc allé naturellement dans cette direction graphique. D’ailleurs, au départ, les personnages avaient juste des petits points noirs en guise d’yeux, c’était assez simple. Maestro, le personnage le plus emblématique, a évolué avec le temps, lui aussi. Au début, c’était seulement une longue barbe blanche sur patte !
J. C. : L’idée de transposer ces personnages dans différents univers, dans différentes thématiques, comment vous est-elle venue ?
J. B. : Albert Barillé savait dès le début ce qu’il voulait faire. Il avait une route toute tracée. Naturellement, après Il était une fois l’homme, il s’est lancé dans Il était une fois l’espace. Ce n’était donc pas improvisé, mais il est vrai que sans le succès, il n’y aurait pas eu de suite, évidemment.
J.C. : L’aspect pédagogique de ces séries, c’était quelque chose qui était important pour vous ?
J. B. : Ah oui ! Je l’ai senti très vite. Albert Barillé m’a tout de suite dit qu’il ne se donnait pas seulement comme mission de divertir les enfants, mais aussi de leur apprendre quelque chose de nouveau. Ce temps passé devant le poste de télévision devait également avoir une vertu pédagogique. On m’a même dit que certains enseignants utilisaient encore les séries en classe !
J. C. : C’est peut-être l’une des raisons de la longévité de ces séries qui se transmettent de génération en génération…
J. B. : Sans doute, parce qu’il y a du fond, oui. Même si, depuis 1983, les connaissances en histoire, médecine ou science ont largement évolué.
J. C. : Le choix de Michel Legrand à la musique, c'était audacieux, non ?
J. B. : Je dois reconnaitre que je n’ai jamais été un grand fan de Michel Legrand. Mais dans le même temps, il est vrai que c’était audacieux de mettre de la musique symphonique sur un dessin animé. Le succès a visiblement prouvé qu’Albert Barillé avait eu raison dans son choix. Les génériques sont restés gravés dans l’inconscient collectif, je crois.
J. C. : Faisons un petit pas de côté. Vous avez travaillé sur une autre série légendaire : L’Inspecteur Gadget…
J. B. : C’est vrai, sous l’impulsion de Jean Chalopin. C’est Bruno Bianchi qui a créé le célèbre inspecteur Gadget : un personnage qui était un mélange, quelque part entre l’inspecteur Clouseau de La Panthère rose et L'Homme qui valait trois milliards. En réalité, j’ai surtout travaillé sur le storyboard du premier épisode, ce n’est pas vraiment allé plus loin. Néanmoins, Jean et Bruno m’ont fait venir au Japon, à deux reprises, pour travailler sur les personnages secondaires.
J. C. : Comment se passe votre arrivée au Japon ?
J. B. : Quelques mois avant de partir, je découvrais le film Blade Runner. En mettant les pieds à Tokyo, j’ai littéralement eu l’impression d’arriver dans le film de Ridley Scott… Je venais de dormir à l’hôtel, après une vingtaine d’heures de voyage, la nuit était tombée, il pleuvait... Pour moi, c’était vraiment Blade Runner ! Il faut dire que j’ai toujours été fasciné par cette esthétique japonaise futuriste. J’imaginais arriver dans de grands bureaux, blancs, dépouillés, à la japonaise. Mais pas du tout ! Les pièces étaient plutôt exiguës, ça fourmillait, on n'était finalement pas si loin de l’ambiance en France. Ça restait très artisanal, au regard du studio Dic, en France. Les animateurs se faisaient livrer des nouilles, ils poussaient leurs feuilles, leurs crayons, mangeaient sur leur table, et remettaient tout en place pour reprendre le travail. Ce n’était pas du tout aseptisé, comme je l’imaginais.
J. C. : Rétrospectivement, que vous reste-t-il de toute cette époque ?
J. B. : Du plaisir. Pas forcément de la nostalgie… Enfin, si. Je dois bien avoir un peu de nostalgie, mais vis-à-vis de ce sentiment d’appartenir à une équipe, avec ces moments de rigolade et de camaraderie. Je ne vous ai pas raconté toutes les conneries qu’on a pu faire, tous les dessins qu’on faisait pour se caricaturer les uns les autres… Mais ces anecdotes ne parleraient vraiment qu'à celles et ceux qui les ont vécues. C’est ce qui restera gravé dans ma mémoire.
La Revanche des humanoïdes est disponible en coffret Blu-ray chez les éditions Carlotta.