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The Offer : l’offre et la demande

Le récit de la fabrication du Parrain, premier du nom, depuis des décennies maintenant, ne cesse de fasciner, chaque acteur, chaque participant, chaque année apportant régulièrement son lot d’anecdotes nouvelles…
The Offer : l’offre et la demande

En 1969, au Château Marmont, un modeste employé de bureau sans envergure, Albert S. Ruddy fait la rencontre de l'acteur Bernard Fein. Ensemble, ils parviennent avec succès à pitcher la sitcom Hogan's Heroes à CBS (Papa Schultz). Mais Ruddy s'éloigne rapidement de la série, désire plus, pense pouvoir faire mieux. Il convainc Robert Evans, responsable de la production chez Paramount Pictures, de l'engager comme producteur. Ici débute une bien plus grande histoire encore.


Par Nico Prat,

Article paru dans le Rockyrama 36 « Le Parrain : 50 ans de règne », toujours disponible sur notre shop !

Le récit de la fabrication du Parrain, premier du nom, depuis des décennies maintenant, ne cesse de fasciner, chaque acteur, chaque participant, chaque année apportant régulièrement son lot d’anecdotes nouvelles, de souvenirs enfouis à nouveau débattus, et chaque génération découvrant ainsi, parallèlement au cinéma de Coppola, des raisons de creuser, de comprendre, de chercher. Ici les raisons d’un choix de casting audacieux pour l’époque (Al Pacino, débutant), là le sens caché d’un plan, d’un dialogue, d’une idée. Oui, Le Parrain, et le numéro que vous tenez entre les mains en est une preuve parmi bien d’autres, ne cesse et ne cessera jamais de se voir érigé ici en totem cinéphile, là en objet d’étude.

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The Offer est le récit, en dix épisodes, de la fabrication du Parrain, de l’écriture du roman au succès que l’on sait. Avec son titre ultra référencé (« I'm gonna make him an offer he can't refuse »), ses acteurs gominés, tirés à quatre épingles, son festival d’accents plus (Matthew Goode en Robert Evans) et moins (Giovanni Ribisi dans le rôle du mafieux Joe Colombo, Justin Chambers en Brando et Anthony Ippolito en Pacino) réussis, et son regard forcément biaisé (l’histoire est ici celle de Rudy, il est tout à la fois personnage principal, producteur, et pourvoyeur de la vérité officielle), The Offer souffre d’à peu près toutes les tares d’une reconstitution ambitieuse, de toute évidence dotée de moyens conséquents, mais qui se refuse à se départir de la moindre ambition pour creuser une plus légère inspiration. Pas manchot, Dexter Fletcher (Rocketman, Eddie The Eagle) impose aux deux premiers épisodes, qu’il réalise, suffisamment de souffle, d’envergure, de charme un peu désuet, pour installer le spectateur dans un confort bienvenu.


Ici, malgré les doutes, les drames, on le sait, le film se fera. Alors, d’ici la conclusion, pourquoi ne pas se laisser émerveiller ? Il suffit pour cela de ne pas être trop regardant sur la version donnée de certains évènements. Nul doute que Francis Ford Coppola aurait fort à redire sur ce qui se déroule sur l'écran, lui-même ayant livré son point de vue à travers de fascinants commentaires audio, tandis que Robert Evans, lui, s’est exprimé longuement à ce sujet dans son autobiographie The Kid Stays in the Picture (nécessaire). 


Mais malgré son statut – somme toute peu glorieux, mais tout aussi peu honteux –, de série efficace, oubliable, divertissante, complaisante aussi, The Offer pourrait bien être l’un des tout premiers frémissements d’une tendance appelée à devenir mouvement. Il y a deux ans, Hollywood de Ryan Murphy (sept épisodes disponibles sur Netflix) racontait, en plein âge d'or hollywoodien, les coulisses d'une industrie remplie d'inégalités, notamment envers les personnes de couleur, les femmes ou les homosexuels. Largement fantasmée mais peuplée de personnages ayant réellement existés, la série se voulait davantage conte que récit biographique, mélangeant à sa guise les évènements pour finalement devenir fantaisie totale.


The Offer, tout du moins dans sa promesse, ne souffre, elle, d'aucune contestation historique possible. Il en va de même pour The Big Goodbye, épais livre de Sam Wasson, à la manière d’un polar des années soixante-dix, qui nous plonge dans l’écriture et le tournage de Chinatown, réalisé en 1974. L’auteur y raconte autant la fabrication d’un classique que la fin d’une certaine vision d’Hollywood… ce que, là encore, The Offer ne se prive pas de faire à sa façon. The Big Goodbye : Chinatown And The Last Years Of Hollywood sera prochainement un long-métrage réalisé par nul autre que Ben Affleck. Également en chantier : Francis And The Godfather. Elle Fanning vient d’ailleurs d'être annoncée pour rejoindre le casting du prochain film de Barry Levinson qui revient… sur les coulisses du tournage du Parrain. Jake Gyllenhaal y jouera Robert Evans, Oscar Isaac campera Francis Ford Coppola (que l’on espère moins discret, moins introverti que la version jouée par Dan Fogler) et Elisabeth Moss interprètera sa femme. Casting de choix, encore une fois. Même histoire, de nouveau.

Quand Hollywood devient son propre sujet

Qu’ont donc en commun The Offer, Hollywood, The Big Goodbye, mais aussi Mank de David Fincher (dans les années trente, le scénariste Herman J. Mankiewicz est chargé d'écrire le scénario du film Citizen Kane) ? Ils sont autant de symboles d’une industrie plus que jamais malade, qui, ne sachant plus créer le fantasme, préfère régurgiter celui d'antan, faisant fi de ses erreurs pour lui apposer un joli vernis mensonger, comme l’écrivait justement Steve Rose, dans les pages du Guardian, en 2021 : « Bien sûr, il y a une histoire juteuse à raconter ici : le casting de Marlon Brando, les contacts avec la mafia, le triomphe du Nouvel Hollywood. Mais il y a une circularité inconfortable qui s'installe quand il s'agit de films sur des films, comme un serpent qui se mord la queue, ou une industrie à court d'idées et qui veut s'accrocher au passé [...]. Lorsque ces histoires sont transformées en fictions et traitées par la machine qui les a créées, elles sont sujettes à l'autosatisfaction générale à propos de la qualité même d'Hollywood. » Et le journaliste d’ajouter que face à Marvel et DC, l’industrie prend le risque de devenir sa propre franchise, son propre sujet. 


Cyclique, prévisible, la pop culture (quoique le terme puisse bien signifier en 2022) obéit, encore et toujours, à une règle relativement stricte : celle des vingt ans. La règle des vingt années est l’expression d’un concept, celui selon lequel un phénomène populaire (un genre musical, une coupe de cheveux, une paire de baskets), après l’année de leur plus grand impact culturel initial (pas nécessairement la période de leur création), disparaîtra lentement mais sûrement pour laisser place à quelque chose d’autre, avant de renaître, sous une forme plus ou moins précise et plus ou moins fidèle, deux décennies plus tard, à peu de choses près. La théorie, largement répandue dans le domaine musical, n’a aucune raison de ne pas s’appliquer à bon nombre de domaines culturels, une série télévisée pouvant créer la domination des charts (Kate Bush et Stranger Things), TikTok fabricant des succès musicaux, etc. En somme, le cool est le nouveau rétro, et ainsi de suite. Ian Whitcomb, chanteur, producteur, auteur du monumental et indispensable After The Ball, retrace même les effets de la règle des vingt ans jusqu’au XIXe siècle.

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Une horloge brisée

À rebours d’une industrie musicale toujours prompte à se renouveler (nouvelles habitudes de consommations, labels numériques, télé-crochets plus ou moins modernes, festivals émergents…), certes commettant au passage bon nombre d’erreurs (et, encore une fois, recyclant allègrement sa propre nostalgie, deux décennies à la fois), l’industrie du cinéma, elle, semble au point mort. Nul ne sait désormais quoi et comment produire, les salles se vident, les plateformes font face à une légère mais nette désertion. Le cinéma, d’aucuns ne manquent de le crier, est mort, tout du moins aux yeux de ceux-là mêmes qui ont pour devoir de le faire vivre, revivre. Alors, cinquante ans après Le Parrain et Chinatown, charge à ces œuvres ayant vécu, de vivre à nouveau. Charge aux rêves d’antan de faire rêver encore un petit peu plus. Trente ans avant Coppola et Polanski, une certaine Marilyn Monroe débutait son ascension, tandis que Herman J. Mankiewicz entamait un projet de commande. Mank, Blonde, The Offer… Si le Nouvel Hollywood était, nécessairement, une réponse à un ancien Hollywood, plus vieux donc plus austère, le Hollywood de 2022, ombre de lui-même, n’ose même plus se réinventer, préférant se recycler. Son horloge est détraquée, le rythme n’est plus le bon.


Par Nico Prat,

Article paru dans le Rockyrama 36 « Le Parrain : 50 ans de règne », toujours disponible sur notre shop !