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Le générique de Footloose

Si le générique de Footloose vous fait penser à une pub pour baskets des années quatre-vingt, c’est tout à fait normal. Mais le message qu’il véhicule nous touche un peu plus que les slogans Nike.
Le générique de Footloose

Si le générique de Footloose vous fait penser à une pub pour baskets des années quatre-vingt, c'est tout à fait normal. Mais le message qu'il véhicule nous touche un peu plus que les slogans Nike.


Article par Clément Arbrun paru dans le Rockyrama 32 - Martin Scorsese, King of New York, toujours disponible sur notre shop !

Le jeune Ren McCormick n'est pas si jouasse quand il débarque à Bomont. Déjà, car cette bourgade de l'Utah, dans l'ouest des États-Unis, l'éloigne pas mal de son Chicago chéri. Ensuite, car l'on préfère y organiser des duels de tracteurs plutôt que d'écouter The Police et David Bowie. Enfin, car la danse y est purement et simplement proscrite. Et avec elle, ces musiques de jeunes voyous qui incitent à la débauche. Coup dur pour McCormick, qui voue aux mouvements du bassin une passion égale à celle de Tony Manero, le protagoniste de La Fièvre du samedi soir. Heureusement, le rebelle compte bien pervertir cette communauté soumise aux diktats moraux du révérend Shaw Moore.

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Et cette ambition s'illustre dès les premières minutes du film dont il est question ici : Footloose. Un générique qui aurait fait une excellente pub pour Nike ou Reebok. On y voit des jeunes se trémousser les uns après les autres au son du tube culte éponyme de Kenny Loggins. « So now I gotta cut loose / Footloose / Kick off the Sunday shoes ! » Des jeunes, ou plutôt leurs baskets. Chaussures, pantalons, blue jeans et chaussettes s'agitent furieusement sous nos yeux au sein de ce clip musical à l'entrain contagieux. Par cette absence de visages à l'écran, c'est comme si la danse importait plus que celles et ceux qui la pratiquent. Langage universel, elle dépasse les frontières et transgresse les règles dictées par les peines-à-jouir. Ces danseurs sont anonymes et leur garde-robe éclectique en diable (sneakers, escarpins, talons, socquettes, tennis Tretorns, paire de Nike, un vrai défilé) car ce que raconte Footloose de l'adolescence est au fond atemporel : curieusement plaqué entre deux époques (la musique nous renvoie aux années quatre-vingt, l'ambiance de Bomont aux années cinquante), ce film pas si joyeux met en scène des individus qui s'ennuient à crever, quand ils ne souhaitent pas simplement mourir. De James Dean à The Edge of Seventeen, le message n'a guère évolué.

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Le générique d'ouverture du long-métrage de Herbert Ross préfigure sa scène finale, suite enthousiaste de chorégraphies diverses et pêchues dans une salle des fêtes plutôt cafardeuse – heureusement, la musique est bonne. Dans les deux cas se propage la même insouciance, celle d'une danse érigée en rituel fédérateur, permettant aussi bien l'expression individuelle que l'émancipation collective. Dans Footloose, on s'amuse peut-être en dansant, mais on ne plaisante pas avec la danse. Elle est même la chose la plus importante au monde, la bouée qui empêche ces jeunes adeptes de se noyer. Un an plus tard sortira dans les salles un autre classique du teen movie, pour ainsi dire le Star Wars du genre : Breakfast Club. À l’unisson, John Hugues y filme ses protagonistes ados danser au rythme d'un air fédérateur (« We Are Not Alone » de Karla DeVito) comme pour mieux purger leurs passions, « have fun » à la manière de Cindy Lauper, et, surtout, oublier la vaste dépression que subit la jeunesse américaine sous Ronald Reagan, qu'elle soit citadine ou rurale.

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Nous ne sommes pas encore dans les années grunge, celles qu'annoncent Pump Up the Volume et son Christian Slater avide d'auto-destruction et de chaos radiophonique. Autrement dit, l'espoir palpite malgré tout dans ces productions teens pré-Kurt Cobain et le « no future » fait office de slogan punk passé de mode. D'où cette apparente joie de vivre qui traverse ce générique feel good à souhait, si entêtant qu'il pourrait même faire danser un croque-mort. L'optimisme spielbergien règne sur un musical aussi populaire que Footloose. Par-delà les ténèbres épaisses de ses personnages tour à tour colériques, violents et suicidaires, la lumière finit toujours par percer. Elle a l'éclat des boules à facettes. Elle n'aveugle pas, mais suggère une voie à emprunter. Accusée de pervertir l'Amérique, la danse sera finalement autorisée, et plus encore discrètement pratiquée par celui qui la diabolise, le personnage du révérend Shaw Moore. La jeunesse n'est donc pas simplement libérée, mais écoutée. Les adultes, nous dit-on, devraient suivre les pas de leurs enfants. Pas vraiment de conflit de générations ici, mais une tentative, naïve et utopique, de réconciliation. 

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Comme la scène fantasque de la parade dans La Folle Journée de Ferris Bueller en 1986, autre pont entre les générations (la rengaine vintage « Darling Danke Schoen » de Wayne Newton y côtoie le « Twist and Shout » ravageur des Beatles), la musique fait ici figure de parenthèse enchantée. Hasard ou non, derrière ces deux chroniques adolescentes célébrées au box-office, on trouve le même monteur : le mythique Paul Hirsch, également responsable du tempo de Star Wars, Phantom of the Paradise et Blow Out. On aime à contempler les élans euphoriques qui émanent de ces teen movies en se rappelant que les corps qui s'agitent portent toujours en eux, plus qu'une énergie, un idéal. 


« Depuis les temps les plus anciens, les gens ont dansé pour toutes sortes de raisons, ils dansaient en priant afin que la récolte soit abondante ou que la chasse soit bonne. Ils dansaient pour rester en bonne santé et montrer leur esprit de communauté. Et ils dansaient pour se réjouir. C'est ce genre de danse dont on est en train de parler. Il existe en ce monde un temps pour chaque chose : un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour mourir et, il y a un temps pour danser. » – Ren McCormick, Footloose


Article par Clément Arbrun paru dans le Rockyrama 32 - Martin Scorsese, King of New York, toujours disponible sur notre shop !