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Ridley Scott, le cinéaste qui fait rimer blockbusters avec féminisme

Ces femmes fortes, agissant avec raison ou passion dans un monde masculin égoïste et égocentrique, Ridley Scott les chérit depuis le tout début de sa carrière.
Ridley Scott, le cinéaste qui fait rimer blockbusters avec féminisme

2021 fut certainement une année prolifique pour Ridley Scott. Avec Le Dernier Duel et House of Gucci, sortis respectivement sur les écrans français le 13 octobre et le 24 novembre, Ridley Scott offre deux films que tout oppose sur le papier, représentatifs de l’éclectisme de sa filmographie. Quand le premier raconte l’histoire du dernier duel judiciaire dans la France de la fin du Moyen ge, le second porte sur la famille Gucci, de ses querelles jusqu’à l’assassinat de l’héritier. Si les deux longs-métrages n’ont a priori rien à voir, ils comptent quelques points communs : la présence d’Adam Driver au casting, des scénarios adaptés de faits réels et surtout, le parcours de personnages féminins, Marguerite de Thibouville et Patrizia Gucci, ne se laissant pas dicter leur conduite par les hommes. Un motif pas tout à fait nouveau chez Scott. 


Article par Esther Brejon.


Article paru dans le numéro Rockyrama 34 - L'Amérique selon Les Simpson, disponible en kiosque et librairie le 11 mars et dès maintenant sur notre shop !

À l’heure de #Metoo et du mouvement de libération de la parole des victimes d’abus sexuels, l’octogénaire Ridley propose avec Le Dernier Duel un film ouvertement féministe, récit médiéval abordant des sujets hautement sensibles et d’actualité. Écrit par Matt Damon (premier chapitre), Ben Affleck (second chapitre) et la scénariste et réalisatrice Nicole Holofcener (troisième chapitre), le film est l’adaptation du livre éponyme de l’historien américain Eric Jager, lui-même adapté d’un fait historique. Matt Damon et Adam Driver sont Jean de Carrouges (à prononcer « Cawouges ») et Jacques Le Gris, écuyers du comte d’Alençon, camarades depuis que le premier a sauvé la vie du second lors de la bataille de Limoges en 1370. Profitant d’une des nombreuses absences de Carrouges, Le Gris se rend chez lui pour violer son épouse Marguerite (Jodie Comer), dont il semblait pourtant éperdument amoureux. C’est l’affront de trop pour Carrouges qui s’est déjà fait dérober, par cet ami devenu rival, capitainerie et terres. L’affaire sera donc portée devant la justice et se résoudra lors d’un duel, devant seigneurs et roi de France. Inspiré de la construction scénaristique de Rashomon de Kurosawa (1950), le film est divisé en trois chapitres correspondant aux trois versions – intitulées vérités – de ces personnages principaux. Un premier chapitre sanglant et querelleur pour Carrouges, chevalier avide de guerres et d’honneur, un second centré sur l’ambition et l’esprit de conquête de Jacques le Gris, un dernier sur Marguerite de Thibouville, victime insurgée contre la violence masculine.

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Alors que l’amitié puis la rivalité entre les deux chevaliers semblent être le sujet principal du récit, celui-ci se décentre progressivement de ses protagonistes masculins pour se concentrer sur le personnage, d’abord effacé, de Marguerite. Ce fait divers de la fin du Moyen ge symbolise le sort des femmes en ces temps barbares, où le viol, qu’elles soient de rang élevé ou paysannes, était fréquent. Surtout, la pertinence de son récit provient de l’écho de ses thématiques avec l’époque actuelle. Le film évoque tout d’abord la question du consentement, Le Gris étant persuadé (ou plutôt se persuadant) qu’il n’a pas violé Marguerite et qu’elle a dit « non » comme une dame de son rang se doit de le faire. Sont aussi abordées les questions de la valeur accordée à la parole de la victime, sans cesse remise en cause ; celle de sa (non) moralité, puisqu’elle a confié à une amie qu’elle trouvait Le Gris séduisant (aurait-elle fantasmé ce viol, la malheureuse ?) ; celle du tribunal, violent, que chaque victime se doit d’affronter. Le dernier chapitre, intitulé d’abord « La vérité selon Marguerite de Thibouville » pour devenir ensuite « La vérité », a le mérite de nous présenter la réalité des faits, crue et sans romantisme. Comme si Marguerite était la seule à ne pas être aveuglée par son égo démesuré et être en mesure d’être objective. Et si, face à l’obsession des hommes pour le pouvoir, les femmes étaient seules détentrices de la vérité ?


Ces femmes fortes, agissant avec raison ou passion dans un monde masculin égoïste et égocentrique, Ridley Scott les chérit depuis le tout début de sa carrière. Trônent aux côtés de Rick Deckard, Maximus, Robin des bois et Frank Lucas, Thelma et Louise, Ellen Ripley, G.I. Jane et Elizabeth Shaw. Car Scott a non seulement signé l’inoubliable Thelma & Louise en 1991, mais aussi Alien en 1979, À armes égales en 1997 et Prometheus en 2012. Trente ans après sa sortie, Thelma & Louise fait figure de manifeste féministe, symbole de l’empowerment des femmes. Il y était déjà question de viol, Thelma étant victime d’une agression lors du début de leur road trip, avant que Louise ne tue son assaillant. D’abord choquées, les deux amies finissent par s’endurcir et prendre en main leurs vies décevantes. Cette prise de pouvoir passe par leur dépouillement : de leurs atours, de leur maquillage et enfin de leurs compagnons. Ce n’est pas une coïncidence si la première fois que Thelma éprouve du plaisir sexuel, elle se trouve avec JD, son amant d’une nuit, et non son mari. On retrouve ces personnages cultes dans House of Gucci, à travers l’amitié liant Patrizia (Lady Gaga) à sa voyante Pina (Salma Hayek), lorsqu’elles rencontrent, habillées en pétroleuses, deux hommes pour commanditer le meurtre de Maurizio Gucci, clin d’œil assumé de Ridley Scott à l’un de ses films fétiches.

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Dans ses films, le réalisateur met en scène un monde essentiellement masculin, dans lequel les femmes doivent lutter pour se faire une place. Exemple dans Prometheus, lorsque l’archéologue Elizabeth Shaw, jouée par la toujours excellente Noomi Rapace, désire se faire avorter de la créature qui occupe son utérus. Face au refus de l’androïde David (Michael Fassbender) de l’opérer, elle se rend dans la cabine ultra-technologique se trouvant à bord du vaisseau spatial et tente de programmer une interruption de grossesse. Mais la machine refuse, assénant « impossible, cette cabine n’opère que les hommes ». Un détail dans une scène, pourtant symbolique de tout un monde auquel les femmes n’ont pas accès. Un détail pour Shaw également, qui se fera opérer malgré tout dans la cabine. C’est également un autre clin d'œil à son œuvre, puisque Jordan O’Neil (Demi Moore) d’À armes égales s’était vu refuser un poste dans un sous-marin sous prétexte que les toilettes étaient conçues uniquement pour les hommes. Chez Scott, il est souvent question de personnages féminins forts évoluant dans des environnements façonnés par et pour les hommes.


L’intérêt de Scott pour les questions féministes trouve sa source dans un personnage essentiel de sa vie. « Je pense que cela vient d’une femme dans ma vie qui mesurait 1 mètre 50, ma mère. C’était indéniablement elle la patronne. Elle nous motivait sans relâche » déclare-t-il, rendant hommage à celle qui les a élevés, ses deux frères et lui, quand son père était souvent absent. « Toutes les relations importantes de ma vie ont été avec des femmes fortes, et je pense que je m’entends mieux avec elles. » Si les velléités féministes du réalisateur britannique ne sont pas toujours très subtiles – le caricatural À armes égales le prouve –, les hommes en prennent pour leur grade, et c’est sûrement là que Scott est le plus percutant. Pour Claude Monnier, auteur de l’ouvrage Ridley Scott, le cinéma au coeur des ténèbres, Thelma et Louise vient clore la trilogie sur l’homo americanus commencée avec Traquée et poursuivie avec Black Rain, qui serait « l’étude semi-documentaire en trois parties sur l’Américain moyen, pétri de machisme, de fragilité mal assumée et de vulgarité bonhomme ». C’est d’ailleurs là que réside le véritable intérêt de la construction kurosawienne du Dernier duel, dans le traitement de ses personnages masculins. Quand Carrouges se croit puissant et bon avec sa femme, il se révèle en réalité rustre et obnubilé par ses batailles et son statut. Quand Le Gris croit au coup de foudre avec Marguerite, il nage en plein délire égocentrique, puisqu’elle n’éprouve strictement aucun sentiment pour lui. Scott adresse une charge sans appel contre la société patriarcale. Ici, les hommes s’embourbent dans des questions absurdes d’honneur, de pouvoir et de gloire. Une scène est particulièrement marquante, lorsque l’ami de Le Gris, le comte Pierre (Ben Affleck) lui conseille de nier les accusations de Marguerite, envers et contre tout. Ce mot répété trois fois, « deny, deny, deny », sonne comme une allusion funeste aux stratégies de défense, toutes similaires, des hommes accusés de viol. La fin du film suggère un constat sans appel : sans les hommes, les femmes sont sans doute plus heureuses. Comme Thelma, Louise et Patrizia.


Article par Esther Brejon.

Article paru dans le numéro Rockyrama 34 - L'Amérique selon Les Simpson, disponible en kiosque et librairie le 11 mars et dès maintenant sur notre shop !




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