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L'Homme qui tua Liberty Valance : la dernière séance

Un duel entre trois Amériques, trois hommes et trois gueules : John Wayne, James Stewart et Lee Marvin. C’est à peu de chose près ce que nous propose l’avant-dernier western de l’immense John Ford.
L'Homme qui tua Liberty Valance : la dernière séance

Stoddard et Doniphon vs. Valance

Par Malik-Djamel Amazigh Houha

 

Un « truel » entre trois Amériques, trois hommes et trois gueules : John Wayne, James Stewart et Lee Marvin. C’est à peu de chose près ce que nous propose l’avant-dernier western de l’immense John Ford qui, dans ce film-testament mélancolique, ausculte la métamorphose d’une nation en pleine crise de maturité. C’est peut-être parce que ce film est un adieu – l’adieu à un genre, le western, devenu pays imaginaire de Ford – que le cinéaste réalise ce long-métrage en noir et blanc, au grand dam de la Paramount qui veut à tout prix que le film soit en couleur, comme la télévision. Hollywood craint que le petit écran ne lui vole la vedette. Mais Ford résiste et propose même un objet cinématographique différent et minimaliste. Pas de couleurs donc, mais pas non plus de grands espaces. Les spectateurs et les spectatrices ne doivent pas se perdre dans le superflu, mais dans le propos méditatif que nous offre le film. En l’espèce, une réflexion sur l’Amérique, ni plus ni moins. Le duel final sera le sommet de cette étude politique et philosophique empreinte d’une profonde tristesse.


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C’est l’histoire de trois hommes que tout oppose, ou presque. Ransom Stoddard (James Stewart), un jeune avocat, en mission quasi civilisatrice qui vient apporter la loi et la constitution pour rattacher l’Ouest au reste des États-Unis et le sortir de son état primitif. Tom Doniphon (John Wayne), le bon, et Liberty Valance (Lee Marvin), la brute. Les deux derniers personnages sont en réalité les deux faces d’une même pièce, ou les étendards d’une même cause : la liberté. Surtout, ils sont deux archétypes de l’Ouest américain voués à disparaître. Pour Doniphon, cette liberté qu’il défend est avant tout la garantie de son autonomie : il ne cherche pas à empiéter sur autrui et son bonheur se limite à la défense de ses propres intérêts et ceux de son entourage. Pour Valance, cette liberté lui offre d’abord la possibilité d’agir en prédateur, violent et terrifiant, et de commettre tous ses crimes, tant que personne ne s’y oppose. Stoddard, lui, veut réglementer les choses : la loi du plus fort dans un pays civilisé n’a plus de raison d’être. Le chemin de fer arrive, le temps des convois de diligence prend fin. Contrairement à Doniphon, il pense que la tranquillité de tous ne peut advenir que par la soumission de chacun à une loi commune. Mais dans la ville de Shinbone, cette nouvelle idée peine à s’établir. Bien évidemment, celui qui impose à la population le refus de ce nouveau contrat social porte le nom de Liberty Valance.

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Comme dans tout bon western, ce n’est évidemment pas le débat, la controverse et les arguments qui font évoluer l’action, mais le combat armé. La loi qui triomphe est avant tout celle de celui qui tire le plus vite, et surtout, qui vise le plus juste. Excédé, Ransom Stoddard, en tablier blanc, provoque en duel Liberty Valence. Mais l’histoire commence mal pour l’apprenti pistolero, Valance blesse Stoddard au bras dans ce qui s’apparente à un jeu de la mort sadique. Stoddard refuse l’avertissement, il va au bout de son idée, car la justice et le droit doivent triompher. Il ramasse l’arme de sa main gauche et le duel reprend. Valance lève le bras et tient Stoddard en joue avec son arme. Cette mascarade doit prendre fin. Les deux hommes tirent presque en même temps, pourtant, Liberty Valance s’écroule. Stoddard aura été le plus rapide. L’honnête citoyen qui n’a jamais tué personne remporte le duel contre la brute, et par extension contre la loi du plus fort. La constitution triomphe grâce au feu et à la poudre. 

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Voilà en tout cas la légende sur laquelle s’est fondée la carrière de Ransom Stoddard, lui permettant de devenir sénateur. Car en réalité, le duel est truqué. Ransom Stoddard ne l’apprendra que plus tard… Dans une rue adjacente se tient Tom Doniphon, inquiet. Il observe la scène et sait pertinemment que ce bougre de Stoddard n’a aucune chance face à Liberty Valance. Sans que personne s’en aperçoive, Doniphon tire lui aussi un coup de feu, en même temps que les duellistes. C’est donc lui, l’homme qui tua réellement Liberty Valance. Mais surtout, c’est lui, le grand perdant de ce duel. Tandis que la gloire, la fortune et l’amour reviennent à Stoddard, le cow-boy termine ses jours, pauvre, seul et oublié. Stoddard tentera bien de rectifier le tir, des années plus tard, dans une dernière confidence face à des journalistes, mais comme le dit si bien l’un d’eux : «?Quand la légende devient la réalité, on imprime la légende. » John Ford est le grand conteur de la conquête de l’ouest, mais avec L’Homme qui tua Liberty Valance, il clôt une époque et sonne le clap de fin. 


Par Malik-Djamel Amazigh Houha

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