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Pam Grier, queen of the B’s

Pam Grier a fait une entrée fracassante dans le cinéma d’exploitation et n’en ressortira pas sans avoir botté quelques paires de fesses et bousculé bien des stéréotypes.
Pam Grier, queen of the B’s

En 1997, elle revenait sur le devant de la scène avec Jackie Brown de Quentin Tarantino. Un film hommage, presque une déclaration d’amour à celle qui fut la reine incontestée du cinéma bis et de la blaxploitation. Pam Grier, icône noire, icône féministe, fait une entrée fracassante dans le cinéma d’exploitation et n’en ressortira pas sans avoir botté quelques paires de fesses et bousculé bien des stéréotypes.


Par Camille Mathieu.

26 mai 1949, Pamela Suzette Grier naît dans la ville de Winston-Salem, Caroline du Nord. Dans son autobiographie Foxy : My Life in Three Acts, elle raconte une enfance ballottée d’une base militaire à l’autre, à l’arrière de la vieille Buick familiale, au fil des mutations d’un père mécanicien de l’Air Force. Une enfance entourée d’une famille aimante, mais qui se heurte sans cesse à un mur de ségrégations et d’injustices. De son père, elle dira : « Il avait la peau si claire qu'il pouvait passer pour un blanc, ce qui lui causait beaucoup plus de problèmes que s'il avait eu l'air clairement noir ou blanc. […] Vous vous souvenez du terme "mulatto" ? Aujourd'hui, on dit biracial ou multiculturel, mais à l'époque, être un mulatto était un obstacle majeur. » De sa mère, elle raconte la dignité et la force de caractère face aux épreuves du quotidien : les bus qui ne s’arrêtent pas à leur approche, les restaurants dont les portes leur restent fermées ou les longues distances à pieds qu’il faut parcourir inlassablement entre la base et les appartements réservés aux Afro-Américains. Cette mère indépendante, qui étudie pour devenir infirmière, est une première figure féminine forte de la vie de Pam Grier, une première incarnation de l’émancipation : « Comment ma mère a-t-elle réussi à conserver sa dignité dans une société aussi condamnable et honteuse, où il nous fallait prendre ce qu’on voulait bien nous donner, je ne le saurai jamais... […] Aujourd’hui je comprends quel formidable modèle ma mère était. Elle ne croyait pas aux préjugés et ne voulait pas qu'on grandisse dans la haine ou la peur des blancs. »

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Alors qu’elle s’apprête à rejoindre les bancs de l’université, Pam Grier est repérée sur la scène d’un concours de beauté par un agent hollywoodien. Nous sommes en 1967, Pam n’a alors que 18 ans et fait ses valises pour Los Angeles. Entre deux acting classes, elle travaille en tant que réceptionniste chez American International Pictures (AIP), société de production de films à petits budgets où sévit Roger Corman, grand maître de la série B. Russ Meyer offre bientôt à Pam Grier une première et brève apparition dans Beyond the Valley of the Dolls en 1970, mais c’est bien Corman qui lance sa carrière en la retenant au casting de The Big Doll House (1971) et The Big Bird Cage (1972). Ces deux films, signés Jack Hill, redéfinissent les contours d’un sous-genre qui fait alors fureur dans les drive-in : les films de WIP. Le women in prison film, malgré ses incursions régulières dans l’histoire du cinéma, est une vague qui déferle sur le film d’exploitation des années soixante à soixante-dix, notamment grâce à un assouplissement du code Hays qui tombe peu à peu en désuétude. Souvent situé aux confins d’une jungle épaisse pour gagner en exotisme, cet univers carcéral féminin est prétexte à mêler érotisme et violence, entre visions de captives dénudées, élans saphiques et sévices en tout genre. Pam Grier apparaît successivement dans plusieurs productions du genre (Woman in Cages, Black Mama, White Mama…) et marque les esprits tant par sa plastique avantageuse que par sa présence à l’écran. Pour Corman, c’est bien simple : « Le public répondait mieux à Pam qu’à n’importe quelle autre actrice ».


Mais c’est avec Coffy, en 1973, que Jack Hill confie à Pam Grier l’un de ses rôles les plus emblématiques : celui d’une infirmière qui, pour venger la mort de sa jeune sœur, sème le trouble parmi les dealers et les voyous de Harlem. Pam Grier entre à grands coups de pieds dans l’univers de la blaxploitation, courant alors célébré, mais aussi largement décrié par les communautés afro-américaines qui l’accusent de perpétuer des schémas et représentations caricaturales. Pour Yvonne D. Sims, auteure de Women of Blaxploitation, le mouvement constitue tout de même un pas en avant : « bien que critiquée pour avoir renforcé les stéréotypes négatifs de la féminité noire, la blaxploitation a donné à des actrices afro-américaines comme Grier l'occasion de défier les images dominantes de la femme afro-américaine, en faveur d'héroïnes assurées qui ont pris les commandes ».

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Malgré la controverse, cette vague de la blaxploitation offre à des personnages noirs leurs propres récits, à une époque où les seuls rôles disponibles étaient, selon les mots de Pam Grier, « pratiquement invisibles ou douloureusement stéréotypés ». « Les gens n'avaient vu que des femmes afro-américaines représentées d'une certaine façon dans les films et il était temps que ça change », ajoute-t-elle. Trop longtemps cantonnés à des rôles secondaires, de victimes ou de faire-valoir (on pense souvent à l’actrice Hattie McDaniel, régulièrement limitée aux rôles de « mama » et de domestiques et qui sera la première femme noire à recevoir un Oscar pour le rôle de Mammy dans Autant en emporte le vent, sans pour autant être autorisée à assister à la grande première), les acteurs afro-américains voient leurs horizons élargis dès le début des années soixante-dix. Les premiers succès comme Sweet Sweetback's Baadasssss Song de Melvin Van Peebles ou encore Shaft de Gordon Parks, produit par une major, incitent les studios à investir. Le rôle de Coffy semble également être le pendant de ces héros masculins de la blaxploitation, comme John Shaft, détective privé de Harlem (dont les aventures feront l’objet d’un nouvel opus en 2019 avec Samuel L. Jackson et Richard Roundtree, l’interprète originel de Shaft).


Très vite, Pam Grier devient l’une des actrices les plus débordées de ce début des années soixante-dix. Celle que la revue Newsweek surnommait alors « Queen of the B’s » est définitivement adoubée par ses rôles de dure à cuire de Sheba, Baby à Foxy Brown, tous deux sous bannière AIP. Cette période voit évidemment d’autres visages émerger, avant de retomber dans l’oubli, comme celui de la mannequin Tamara Dobson dans Cleopatra Jones ou de la playmate Jean Bell dans T.N.T Jackson, mais Pam Grier domine le genre. Considérée comme l’un des sex-symbols de la décennie, elle se pare d’une coupe afro, de chemises à motifs voyants, de décolletés vertigineux et de pantalons pattes d’ef, mais surtout, d’une légendaire et féroce attitude dont les taglines font état : sur l’affiche de Foxy Brown elle est « the meanest chick in town ». Avec ses premiers rôles musclés (elle y pratique les arts martiaux et effectue ses propres cascades), elle redéfinit la façon dont Hollywood présente la féminité noire, et la féminité tout court, plus particulièrement dans les films d’action. Mais les contours de la blaxploitation demeurent flous et la limite est trouble entre cinéma engagé et mercantile, entre émancipation et sexisme caricatural. Pourtant, Pam Grier parvient à imposer l’image d’une femme coriace, libérée, capable de tenir tête aux hommes, une héroïne d’action qui incarne les luttes des femmes afro-américaines. Pour l’actrice : « Les années soixante-dix ont été une période de liberté et les femmes ont dit qu'elles avaient besoin d’empowerment. Partout à travers le pays, beaucoup de femmes étaient des Foxy Brown ou des Coffy. Elles étaient indépendantes, luttant pour sauver leur famille, n'acceptant pas d'être violées ou victimisées... Cela se passait dans tout le pays. Je l'ai juste porté sur pellicule. Je ne pense pas qu'il ait fallu beaucoup de génie ou d'imagination, je l’ai juste illustré, reflété à la société. »

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Après avoir trempé dans tous les genres, du film horrifique jusqu’au péplum en sandalettes (Pam Grier s’essaiera aux deux avec Scream Blacula Scream et The Arena), la blaxploitation s’essouffle avant la fin des années soixante-dix. Avec Friday Foster en 1975, un polar plus traditionnel, le contrat qui lie Grier à AIP arrive à son terme. Ses apparitions se font de plus en plus rares et ses personnages de moins en moins conséquents. « Mes films ont fini par lasser le public, à cause du manque de renouvellement des scénarios », déclarera-t-elle. Pour l’actrice, c’est le début d’une traversée du désert qui durera près de vingt ans. Un passage à vide - ponctué de rôles mineurs au cinéma et à la télévision - durant lequel elle se tourne vers le théâtre, mais doit surtout lutter contre un cancer avancé, diagnostiqué à la fin des années quatre-vingt. En 1996, on la recroise à la fois chez John Carpenter, avec Los Angeles 2013, et chez Tim Burton, avec Mars attacks! Mais c’est l’année 1997 qui marquera son brusque retour sur le devant de la scène dans le rôle d’une hôtesse de l’air prête à doubler flics et gangsters.

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Cinéaste-cinéphile, Quentin Tarantino conçoit le projet Jackie Brown comme un hommage à Pam Grier, infusé de blaxploitation. C’est d’ailleurs pour elle que le réalisateur revisite le roman d’Elmore Leonard, son auteur fétiche. Un héritage qu’on retrouve dans le patronyme de Jackie (rebaptisée Brown, comme Foxy avant elle), mais aussi dans une bande originale aux accents soul qui puise dans la musique de Roy Ayers composée pour le film Coffy. Si elle n’a rien perdu de sa combativité, Pam Grier, à 48 ans, apparaît ici dans un rôle plus mature, complexe et nuancé que par le passé, mais aussi plus écrit, plus éloquent. Comme il l’avait fait auparavant avec John Travolta, Tarantino offre ici à Pam Grier une occasion de démontrer la qualité de son jeu à ceux qui en avaient douté. L’actrice le sait, Jackie Brown, c’est le rôle d’une vie et l’aboutissement d’une carrière : « Ce que je sais, c'est que tout mon travail avant Jackie Brown m'a préparée à ce rôle », confie-t-elle dans les colonnes du Guardian. Avec ce personnage taillé sur mesure, Grier accède enfin à cette reconnaissance de comédienne qui lui échappait dans les années soixante-dix. Sa performance est saluée et lui vaut plusieurs nominations, dont une aux Golden Globes. Pour le critique Nelson George, Pam Grier demeure « l’une des rares femmes, noires ou blanches, de l’histoire du cinéma américain pour qui l’on a développé des films qui ne soulignaient pas seulement sa beauté physique, mais aussi sa capacité à se venger des hommes qui la défiaient ».

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Si le film Jackie Brown ne recharge pas les batteries de sa carrière - malgré un rôle récurrent dans la série The L World -, il réaffirme l’héritage cinématographique de Pam Grier. L’héritage d’une actrice qui a rendu coup pour coup, à l’écran comme à la vie, les violences raciales ou sexuelles dont elle a souffert, et qui a fait évoluer la représentation des femmes noires au cinéma et dans la culture populaire. Aux détracteurs, elle répondait dans les colonnes d’Essence Magazine : « Je ne m'excuse pas pour la femme que j'ai créée. Ou plutôt, que j'ai recréé. En grandissant, j'ai connu une certaine femme noire qui était le pilier de sa famille et qui ne vous laissait pas lui manquer de respect. […] Je l'admire beaucoup, aujourd’hui encore. Et elle existe toujours. J'ai amené cette femme à l'écran - je l'ai jouée jusque dans ma chair. » Le parcours de Pam Grier - dans une industrie qui se débat encore aujourd’hui avec la parité et la diversité à l’écran - ouvre la voie aux héroïnes d’action contemporaines. Avant Thelma, Louise, Ellen Ripley ou Beatrix Kiddo, Foxy pratiquait déjà les arts martiaux, Coffy jouait des poings pour nettoyer Harlem et Pam Grier prouvait à toute une industrie qu’elle avait tort.


Par Camille Mathieu.