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Le Jeu de la mort : Hai Tien contre le gardien du cinquième étage

Le combat fictif le plus cool du siècle, du moins en 1972 – et que le monde ne verra qu’en 1978 – oppose deux géants que tout oppose, sinon deux ou trois trucs incroyables qu’ils ont en commun : le charisme et le style.
Le Jeu de la mort : Hai Tien contre le gardien du cinquième étage

Le combat fictif le plus cool du siècle, du moins en 1972 – et que le monde ne verra qu’en 1978 – oppose deux géants que tout oppose, sinon deux ou trois trucs incroyables qu’ils ont en commun : le charisme et le style. À ma gauche, le petit dragon, 1m72, star internationale incontestée du cinéma d’arts martiaux. À ma droite, Kareem-Abdul Jabbar, 2m19, star naissante de la NBA, mais aussi ami et élève de Bruce Lee. D’emblée, nous devons l’admettre, Le Jeu de la mort n’est pas vraiment un bon film et il n’entrera jamais dans le top 3 de la filmographie de Lee (allez-y, battez-vous?!). Pourtant, quoique le film soit une insulte au projet d’origine initié par Lee (avant qu’il ne le mette en pause pour rejoindre le tournage d’Opération Dragon et qu’il ne décède en 1973), malgré un montage hasardeux et bien qu’il soit réalisé de bric et de broc à l’aide de sosies risibles, ce long-métrage offre à l’histoire du cinéma l’un des ses combats les plus iconiques.


Par Malik-Djamel Amazigh Houha.

Article issu du hors-série Rockyrama « La grande Bagarre : 51 combats mortels à voir avant de mourir », toujours disponible en vente sur notre shop.

En 1968, Bruce Lee, aidé du scénariste Stirling Silliphant, écrit le scénario du Cercle de feu, un projet de film dans lequel il doit jouer, au côté de James Coburn, cinq personnages différents, tous experts dans un style de combat. En 1970 les studios de la Warner acceptent le projet et Lee, en compagnie de Coburn, s’envole pour l’Inde et le Népal pour des repérages en 1971. En passant devant une pagode à plusieurs étages, il imagine un final grandiose qui pourrait se dérouler dans ce décor, avec un combattant à chaque étage. Bruce Lee abandonne le projet, mais garde l’idée des combats de la pagode pour un nouveau concept de film, Le Jeu de mort, dont il n'eut le temps de réaliser que quelques scènes.

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Le scénario du film de 1978, différent du projet initial, nous raconte l’histoire d’un homme qui cherche à se venger d’une organisation mafieuse, et le final se joue dans un restaurant, plutôt qu’une pagode. Mais peu importe, l’idée est la même, plus ou moins, c'est-à-dire affronter des spécialistes les uns après les autres à la suite d’une ascension initiatique. Se battre contre autrui, c’est lutter contre soi. Gagner, c’est s’élever ; s’élever, c’est gagner. 


En une scène magnifique, dans la dernière partie du film, la magie opère. Bruce Lee surgit des escaliers, exténué, le visage tuméfié. Il observe la situation, habillé de sa tenue iconique : son jogging jaune à bandes noires qui, pendant très longtemps, restera la seconde peau de Lee, avant de devenir, aussi, celle d’Uma Thurman dans Kill Bill pour un ultime hommage à la star. Bruce Lee, dans cette montée vers la bataille finale qui s’apparente à un combat contre lui-même, vient d’affronter les meilleurs dans leurs disciplines. Si tous les adversaires précédents représentaient un art martial précis ou une école du kung-fu, on ne sait pas de quoi Hakim, le personnage incarné par Abdul-Jabbar, est le spécialiste, ou « de quoi il est le nom ». Pourtant, on le devine aisément, Hakim est le jeet kune do – le concept martial élaboré par Bruce Lee. Et c’est pour ça qu’il est invincible, c’est pour cette raison qu’il se trouve au sommet de la pyramide. Jabbar est l’ennemi ultime. Le boss final. Celui contre qui toutes les certitudes et les années d’entraînement peuvent partir en fumée. Billy Lo, le personnage qu’incarne Lee, se retrouve en face de cette montagne, s’il est d’abord impressionné et reste bouche bée face au géant au mini short blanc et t-shirt aux manches longues amples et bleues, il se lance sans peur dans le combat, avec son célèbre tic, en se léchant le bout de son pouce, l’air de dire qu’il y a encore une page à tourner et que l’histoire ne s’arrête pas.

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Toute l’ascension de Lee a pour unique but de démontrer qu’il est le meilleur, parce que son art du combat – et non son style – est le meilleur, car c’est avant tout une stratégie du combat et une forme de synthèse, en perpétuelle évolution, qui se nourrit de ce qu’il y a de plus efficace ailleurs pour l’incorporer dans son approche de la technique martiale. Tout est bon pour gagner. Telle est la philosophie du jeet kune do. 



Kareem Abdul-Jabbar est l’élève de Bruce Lee, il l’a rencontré lorsqu’il était joueur pour les Bruins de l’UCLA et qu’il cherchait un professeur pour étudier les arts martiaux. Il lui enseignera son savoir et sa conception du combat. C’est cela que le film nous montre, une conversation entre deux pugilistes, le maître contre l’élève, un face-à-face entre deux pratiquants d’un même art, qui se veut un sommet de perfection. Qui gagnera?? On le sait par avance, Lee ne perd jamais, et l’élève ne peut pas dépasser le maître. Pourtant, dans ce face à soi qui se joue dans le regard de l’autre – qui en l’occurrence porte une paire de lunettes noires – Lee doit éprouver ses capacités, et pas seulement physiques ou techniques, mais aussi d’analyse : tester cet adversaire invincible pour découvrir son point faible.

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Devant l’entrée en jeu de Lo, Hakim reste stoïque face à ce qu’il considère probablement comme un petit frelon jaune et noir inoffensif. Il jauge l’adversaire et se rassoit impassiblement dans sa chaise à bascule en laissant Billy attaquer, et répond au premier coup, assis, les bras croisés. S'ensuit un combat d’anthologie où tous les coups sont permis : lutte au sol, projections, coups aux parties. Il est question de vie ou de mort. Bruce Lee souffre. La victoire n’est pas à portée de main, loin de là?; il cherche les failles de son adversaire et découvre qu’il souffre d’une ultra sensibilité à la lumière du soleil. Il exploite la faiblesse d’Hakim, les coups s'enchaînent, les deux combattants finissent au sol et l’on entend les os du cou d’Hakim qui se brisent sous la pression de l’étranglement de Lo. C’est la fin que le géant a choisi, parce que seul l’abandon est une défaite. Match nul en quelque sorte.



Par Malik-Djamel Amazigh Houha.

Article issu du hors-série Rockyrama « La grande Bagarre : 51 combats mortels à voir avant de mourir », toujours disponible en vente sur notre shop.