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Les dinosaures au cinéma : avant Jurassic Park.

Notre histoire débute il y a plus d’un siècle, en 1914.
Les dinosaures au cinéma : avant Jurassic Park.

« Le dinosaure et l’homme, deux espèces séparées par 65 millions d’années d’évolution, se retrouvent soudain face à face. Nous n’avons pas la moindre idée de ce qui nous attend. » – Alan Grant


Article par Nico Prat, paru en 2018 dans le hors-série Rockyrama - Jurassic Park.

Notre histoire débute il y a plus d’un siècle, en 1914.

Il se nomme Gertie, c’est un dinosaure, en tout cas si l’on en croit le titre, équivoque, Gertie The Dinosaur, de ce dessin animé muet de 1914 créé par Winsor McCay, d’une durée de douze minutes et mettant en scène un sauropode pour le moins sympathique. Non, il ne s’agit pas du tout premier dessin animé (le tout premier dessin animé date du lundi 17 août 1908, soit treize années après l’invention du cinématographe. C’est ce jour-là qu’est diffusée une production de la société Gaumont, réalisée par le Français Émile Cohl, de son vrai nom Émile Courtet. Son titre ? Fantasmagorie, qu’il dévoile au Théâtre du Gymnase à Paris, sous les applaudissements). Gertie le dinosaure, s’il n’a donc pas cette primeur, est cependant le premier de son espèce : il est le premier film animé mettant en vedette un animal possédant une véritable personnalité. Autre performance : il s’agit du premier film conçu en utilisant les techniques du keyframe. Le principe est pour le moins simple, d’aucuns diront aujourd’hui simpliste : si l’on part du principe qu’un objet, un animal, un personnage, bref, qu’un élément clé de l’histoire est en mouvement, alors le keyframing prend la position que nous avons seulement besoin de montrer. Rudimentaire ? Oui. Mais n’oublions pas que Gertie ira jusqu’à influencer, en tout cas inspirer le grand Walt Disney, et les personnalités attachantes de ses futurs héros. Et que Gertie était à l’époque une star en devenir, d’abord née sur papier en 1906 (son papa était dessinateur de cartoons, et le laissa traîner dans ses tiroirs pendant un temps), puis élaboré en animation, après différents essais, entre autres en essayant d’animer un moustique. La première présentation du film a eu lieu en février 1914 au théâtre de Chicago. McCay se tenait à côté de l’écran de projection et interférait avec le diplodocus. McCay, retenez ce nom : l’animation lui doit beaucoup, la grande Histoire l’oublie souvent.

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Gertie fut donc le premier. Après lui, ils furent des dizaines. Dinosaur and the Missing Link, court métrage muet de 1917, est le premier film intégrant des acteurs et dinosaures. Des dinosaures rarement gentils, encore plus rarement réalistes. Ainsi, dans Un million d’années avant J.C (1966), des hommes préhistoriques combattent les dinosaures. Dans Le Monde perdu (The Lost World, 1925), des dinosaures ayant survécu dans des régions inhabitées du globe rencontrent des humains qui ne s’attendent clairement pas à cela. Là où Jurassic Park mettra un point d’honneur à tenter une explication rationnelle et plausible à la naissance d’un parc à dinosaures, ces deux films, et tant d’autres, ne s’embarrassent pas du moindre jargon scientifique. Mais arrêtons-nous un instant sur Le Monde perdu, film d’une importance capitale, non parce qu’il inspira, et pas uniquement le temps d’un titre, la suite de Jurassic Park mise en scène par Spielberg en 1997, mais bien parce qu’il fut, lui aussi, un précurseur. Sans Le Monde perdu, pas de Jurassic Park, et sans Le Monde perdu, pas de Monde perdu.

 

Le Monde perdu est un film muet sorti en 1925 mettant en scène la folle aventure de Wallace Beery dans le rôle du professeur Challenger, déterminé à prouver au monde entier que les dinosaures marchent encore sur cette terre (« still walk the earth »). Imaginé par le légendaire Sir Arthur Conan Doyle, certes papa de Sherlock Holmes, mais qui avouera lui-même que son personnage préféré, sa création fétiche, était bel et bien le professeur Challenger (dont le simple nom est un appel à l’aventure), ce récit est d’abord une nouvelle, parue en 1912. Puis un film donc, réalisé par Harry O. Hoyt (1885 – 1961), et qui est aujourd’hui dans le domaine public (vous pouvez le regarder autant que vous le souhaitez sur YouTube, la vie est parfois belle), et préservé par la Bibliothèque du Congrès. Observons une petite pause : le National Film Registry est l’ensemble de films qui ont marqué l’histoire, et qui doivent dans ce cas être conservés en lieu sûr, pour la préservation du savoir et de la culture. Ils sont donc précieusement gardés dans la Bibliothèque du Congrès de Washington. Chaque année, 25 films historiques sont choisis pour faire partie de cet ensemble. On y trouve Die Hard, le Thriller de Michael Jackson, ou encore The Killers, All About Eve, Grand Hotel, Fargo… et The Lost World. D’Harry O. Hoyt donc. Plus encore que ce dernier, Le Monde perdu, où les dinosaures sont des squelettes métalliques recouverts de mousse, contenant une vessie gonflable simulant leur respiration, est l’œuvre, la très grande œuvre d’un homme, Willis O’Brien (1886 – 1962). Un pionnier dans l’art visuel, inventeur presque à lui seul de la technique du stop motion. Il est, si l’on cite l’association Internationale du Film d’Animation, « responsable de certaines des images les plus connues de l’histoire du cinéma ». Et en effet : Le Monde perdu, King Kong, Mighty Joe Young (pour lequel il remporta un Oscar en 1950); Willis O’Brien est un monstre sacré, et l’initiateur d’une révolution. Le principe du stop motion est le suivant : filmer image par image une maquette souple que l’on anime manuellement entre chaque prise afin de donner l’illusion du mouvement. À partir de là, l’imagination semble être la seule limite. La technique paraît aujourd’hui rudimentaire, certes. Tout comme celle du cache/contre-cache, également répandue à l’époque : il fallait dans un premier temps filmer ce que nous appellerons des marionnettes, image par image. Puis, un cache de couleur noir était appliqué afin de masquer une partie du cadrage. Il fallait par la suite rembobiner le film, placer un contre cache afin de protéger la partie où figurait le dinosaure, et filmer les acteurs sur celle qui n’avait pas encore été exposée. Laborieux ? Oui. Une journée de travail pour environ trente secondes à l’image.

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Les années cinquante et soixante voient s’épanouir une autre de ces légendes de l’animation. Son nom, même les moins cinéphiles le connaissent, l’ont lu, entendu… Il résonne comme un mythe : Ray Harryhausen. Disciple de Willis O’Brien, avec lequel il collabora (dans l’ombre) sur Mighty Joe Young, cet artiste américain, décédé en 2013 à l’âge de 92 ans, mis au point de nouveaux procédés d’incrustation des acteurs, comme la technique de l’écran bleu encore utilisée de nos jours. Grâce à cela, il était possible de tourner des scènes avec des acteurs sur un fond neutre, puis de réaliser une séquence avec un lézard en gros plan. En mélangeant les deux, les protagonistes semblaient faire la rencontre d’une immense créature préhistorique, là où il n’y avait en fait qu’un adorable gecko. The Beast from 20,000 Fathoms (1953), La Vallée de Gwangi (1969), ou encore Un million d’années avant J.C (1966), sont autant de créations fantastiques nées de l’imagination fertile, audacieuse, d’un artisan total de la réalisation de ses visions. Harryhausen, en effet, ne déléguait pas : les modèles étaient sculptés par ses doigts, ses storyboards nés de ses mains, et le choix des extérieurs opéré par son regard.

 

Samuel Blumenfeld est critique de cinéma au journal Le Monde et auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels un passionnant livre d’entretiens avec Brian de Palma : « les deux grands techniciens des effets spéciaux de l’ère analogiques se nommaient Willis O’Brien et Ray Harryhausen. Et comme par hasard, ils se sont attelés à des films de dinosaures. Le Monde perdu pour le premier, et Un million d’années avant J.C pour le second. Ils n’ont pas fait que cela, attention, mais ce sont en l’occurrence deux films marquants dans leurs filmographies. Le dinosaure, l’ère préhistorique, représente une synthèse idéale entre les aspirations réalistes du cinéma. Les effets spéciaux sont mis au service de la recréation d’un monde imaginaire, impossible à mettre devant une caméra. Mais les dinosaures, ils ont existés. Et ils n’existent plus. Le film s’appelle Le Monde perdu, pas Le Monde imaginaire ! Pour O’Brien, qui est le deuxième grand génie des effets spéciaux après George Méliès, c’est un signal envoyé au spectateur : ce que vous avez vu, vous ne pourriez pas le voir autrement, mais cela a existé. L’aspiration du cinéma reste ici réaliste ».

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Posez la question autour de vous : qui peut me citer un film de dinosaures ? Certains potes diront : « Tu DOIS parler de Gorgo (cette repompe de Godzilla à peine déguisée), The Land that Time Forgot, Le Petit dinosaure et la Vallée des merveilles, ou bien encore Les Quatre dinosaures et le cirque magique. Enfin, chose que tu devrais garder en tête : la sortie de Carnosaur et Super Mario en 1993, la même année que Jurassic Park. Le grand écart de l’année 1993 ». Le dinosaure est partout, depuis que le cinéma existe. Ajoutons : Denver le dernier dinosaure ; Dinosaures (Dinosaurs), une série télévisée américaine en 65 épisodes de 23 minutes, créée par Michael Jacobs et Bob Young, produite conjointement par Walt Disney Television et la Jim Henson Company; T.Rex, l’histoire de Katie Coltrane, femme-policier chargée de former un nouvel équipier, Theodore Rex, alias Teddy, un dinosaure ; La Planète des dinosaures, en 1977 ; King Dinosaur, 1955 ; Baby: Secret of the Lost Legend, avec Sean Young, en 1985… La liste est longue. La raison, selon Samuel Blumenfeld, est toute simple : « Cela correspond aussi à l’expérience de beaucoup d’enfants et d’adolescents : ils sont tous allés un jour dans un muséum d’histoire naturelle, pour voir des squelettes de dinosaures. Quand on prend la disparition des espèces, ils arrivent en première ligne. Ce qui a été perdu, pour X ou Y raison, on veut le retrouver. Cette fascination existe depuis que les musées d’histoire naturelle existent ». Et pourtant, depuis 1993, le film de dinosaure appartient à Spielberg. Il ne peut en être autrement : « Oui, vous avez globalement raison. Même dans King Kong, il y a des dinosaures, mais le film n’est pas vendu là-dessus. Bien sûr, la reproduction des dinosaures est libre, mais en effet, depuis Spielberg, c’est préempté. Mais tout simplement parce que c’est Spielberg, c’est le nom le plus fort dans l’histoire des images depuis Walt Disney. Et à partir du moment où il s’impose avec Jurassic Park, et qu’il perdure avec la suite (qui pour le coup est fort transparente, c’est véritablement un film dont on saisit mal l’utilité et le bien fondé artistique), et qu’il produit les autres… Il a envisagé dès le départ Jurassic Park comme une franchise, générant des suites mais aussi du merchandising, des parcs d’attractions… Il se passe avec les dinosaures la même chose qu’entre Disney et plein de contes de fées. Dumbo, Pinocchio… À partir du moment où certains classiques Disney sont si forts, comment passer après  »

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Comment passer après ?

Spielberg lui-même ne sut pas bien comment faire, se contentant d’en mettre plus. Joe Johnston, essayant de faire de son mieux. Et Colin Trevorrow, d’abuser des CGI pour masquer la faiblesse de son histoire. Il y eut un avant, plusieurs même. Peu d’après. Samuel Blumenfeld à la conclusion : « La première fois que j’ai vu Jurassic Park, ce fut un moment… Disons que j’étais à l’époque assez déçu par Spielberg. Hook, La Dernière croisade, Always… Je trouvais ces films faibles, et je n’attendais plus grand-chose de lui. Jurassic Park me paraissait très supérieur à eux, mais surtout, cette technologie numérique : on n’avait jamais vu ça. Cela marquait une césure très franche entre ce qui était fait auparavant, et ce qui allait être fait ensuite. Un nouveau réalisme s’imposait au cinéma ».


Par Nico Prat.