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Vangelis Runner : La révolution du synthé cosmique

Le mythique compositeur Vangelis nous quitte à l'âge de 79 ans. Inaccessible, comme appartenant à une autre dimension, Vangelis a œuvré à faire de la B.O. de Blade Runner une puissante ode cosmique à écouter à l’infini.
Vangelis Runner : La révolution du synthé cosmique

Le mythique compositeur Vangelis nous quitte à l'âge de 79 ans. Nous ne sommes pas parvenus à lui décrocher quelques mots. Trop occupé, nous dit-on. Mais on ne lui en veut pas. Il n’en est que plus mythique. Inaccessible, comme appartenant à une autre dimension, Vangelis a œuvré à faire de la B.O. de Blade Runner une puissante ode cosmique à écouter à l’infini.


Article issu du Hors-série Rockyrama Blade Runner, paru en 2017. Écrit par Ludovic Gottigny & Romain Dubois.

« Tout est purement venu du film lui-même : les personnages, les cadres, l’atmosphère, l’histoire, tout ! » - Vangelis

Lorsque l’on évoque Blade Runner, le terme « mystère » y est toujours associé. La bande originale, composée par Vangelis, n’échappe pas à la règle. Le score du génie grec aura connu bien des remous avant d’arriver, partiellement, dans les bacs et l’explication relève encore une fois de la légende. N’en demeure pas moins une composition hypnotique, virtuose et répondant parfaitement à l’appellation « rétro-futuriste ». Si Blade Runner a été le précurseur d’une esthétique avant-gardiste dans les années quatre-vingt, sa musique, elle, est une création singulière qui n’aura pas vraiment de descendance dans le cinéma. 


Evángelos Odysséas Papathanassíou, alias Vangelis, est le Beethoven de la musique électro. À 6 ans, il jouait déjà du piano en public après avoir envoyé promener le solfège. Sale gosse… mais assez brillant pour rencontrer le succès et devenir l’un des pionniers du synthé et avoir révolutionné la musique de films en deux œuvres éternelles. Lorsque l’on s’intéresse à son vécu, on comprend mieux certains éléments de son travail pour sir Ridley.


Dans ses jeunes années il commence par fonder un groupe de jazz à succès en Grèce, The Forminx, dont les influences se feront assez évidentes sur Blade Runner. Puis il se lance dans le rock progressif et s'associe notamment à Demis Roussos (l’une des voix présentes sur la soundtrack du film de Scott) dans le groupe Aphrodite’s Child et leur fameux « Rain and Tears » : de la pluie et des larmes, oui, comme dans le monologue ultime de Roy Batty. Comme si la poésie du maestro était une influence subliminale pour Rutger Hauer. Très vite Vangelis est attiré par la musique de film et signe celle de Sex Power (Henri Chapier, 1970) avant de devenir le compositeur attitré des films du Français Frédéric Rossif à partir de 1973. Sa carrière solo est lancée notamment grâce à ses trois albums studios : Opera Sauvage, China et See You Later, qui l’ont définitivement confirmé comme un musicien à l’univers bien à lui. Son célèbre opus Heaven and Hell sera également utilisé pour la série télé de Carl Sagan, Cosmos. Tout juste lauréat d’un Oscar pour le film Les Chariots de Feu (Hugh Hudson, 1981) et son thème triomphant repris à chaque épopée sportive, Vangelis accepte la proposition de Ridley de composer le score de Blade Runner. Ce n’est pas la première fois qu’il croise la route du cinéaste, ils se sont en effet connus sur une publicité réalisée par ce dernier pour le parfum Chanel no5. Débute alors la collaboration qui donnera naissance à l’une des B.O. les plus inoubliables du grand écran et peut-être LA musique de référence pour les amateurs de S.F..

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Des nappes de synthé envoûtantes aux sons plus bluesy, le génie grec mélange les genres comme pour mieux répondre aux besoins créés par ce Los Angeles cosmopolite de l’an 2019. De nombreuses influences musicales parcourent donc ses tracks, comme autant d’ethnies dans la mégalopole. Mais tout comme les deux régimes d’images qui se bousculent dans le film, à savoir l'expressionnisme du film noir et la démesure d’une S.F. visionnaire, la bande son reflète une alchimie singulière. L’identité hétérogène et cohérente de la B.O. s’explique de manière assez simple : Vangelis, installé dans ses fameux Nemo Studios basés à Londres, a fait le choix essentiel de composer en réaction aux images qu’on lui envoie. Il a donc pris la décision de travailler à l’instinct pour ne pas « polluer » son œuvre et préfère l’immédiateté de l’inspiration à un travail de réflexion plus poussé sur cette commande. Devant ses synthés de prédilection, Vangelis parvient à se sublimer et livre une compo très différente de ce qu’il avait proposé à Hudson pour Les Chariots de Feu. Les instruments que l’on entend majoritairement sur la bande son sont un peu ses grands classiques avec le synthé Yamaha CS-80, en nerf de la guerre, son chouchou. Mais en plus de ses multiples synthés et appareils électroniques de sampling pour enregistrer ses instruments acoustiques et les retravailler après, de nombreux guests vocaux viennent enrichir ses bandes : The English Chamber Choir, Mary Hopkin et son vieil ami et compatriote Demis Roussos (que l’on entend sur le morceau Tales of the future, mélopée aux sonorités arabisantes). Pour le langoureux Love Theme, Vangelis s’est entouré de Dick Morrissey au saxo pendant qu’il jouait lui-même les sons d’ambiance au synthé.


Sur un rythme journalier, Vangelis recevait donc les VHS fraîchement montées par Scott et Rawlings depuis leurs studios londoniens et se mettait à bosser sur un bout-à-bout, toutefois privé des musiques temporaires qui aidaient les deux comparses à monter la bande-image. Il n’y avait donc que les dialogues et les images du film pour guider les gestes précis du maestro. Fidèle à lui-même, isolé, capable de jouer de tous les instruments, le compositeur enregistrait directement sa création sur ses bandes. Occasionnellement, Scott ou Rawlings venait rendre visite à Vangelis pour l’informer des dernières évolutions du film et mettre le compositeur au cœur du processus final. La dimension viscérale n’est plus à prouver et la pérennité de Blade Runner passe grandement par son identité sonore, acoustique et synthétique, cosmique et vintage à la fois.

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Arrive donc les premières notes illuminées de l’artiste grec. La première piste, Main title, affiche fièrement la fausse couleur : longues notes de synthé wagnériennes version 2019. Le grandiose pointe mais là n’est pas la véritable tonalité du film. La mélancolie est le point commun à toutes les pistes conçues par Vangelis. Quelle que soit l’ambiance musicale de fond, c’est cette sensation de déchéance, d’univers feutré, intime et spectaculaire à la fois qui prime. Si dans Les Chariots de Feu, le thème était clairement détaché du film pour en faire une entité à part entière, il est impossible de raisonner ainsi pour Blade Runner tant les notes de Vangelis sont gravées dans le marbre des images de Scott. Le leitmotiv sportif du film de Hudson a été maintes fois repris et ne fonctionne clairement pas sur la nostalgie du score de Blade Runner. La reverb’ qu’on entend dans tous les sons de Vangelis se retrouve également dans les dialogues, comme pour mieux unir tous les sons présents sur la piste dans une même idée de rêve futuriste, de voix qui vient littéralement d’ailleurs. Pour les scènes qui appartiennent à la ligne du film noir, les consonances jazzy, bluesy (Blade Runner Blues), les influences du Moyen-Orient (Damask Rose) se font entendre et viennent interrompre la palette cosmique du reste. Des percussions, du synthé, quelques moments de grâce pure sont nés. End Title était écouté sur la station Mir dans l’espace, dixit la Nasa en 1995. L’album est un sans-faute et enveloppe le film d’un souffle divin grâce à sa symbiose parfaite avec les images de Scott. Vangelis, l’homme de la situation. Mais malgré cette parfaite entente entre images et sons, un autre mystère plane et planera certainement toujours : pourquoi le Grec barbu aura mis douze ans à sortir l’album officiel et incomplet de ses propres compos sur Blade Runner ? On vous le disait, le mystère est partout.

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Chronologie sélective des faits

1982 : Sous le manteau, un « bootleg », entendez par là une version non officielle dérobée, circule avec les thèmes du film mais version Vangelis cette fois. C’est ainsi le premier d’une longue série. Introuvable aujourd’hui, la cassette audio fait figure de légende à Los Angeles où elle connut une vie très éphémère avant même la sortie du film sur grand écran. En même temps que la sortie du film, le New American Orchestra sort l’album officiel de Blade Runner en réinterprétant ses morceaux. Huit titres seulement issus du film, la signature de Vangelis absente : les fans sont mécontents et à raison. Le mystère commence : pourquoi, alors que les morceaux existent et ont même servi pour le bootleg, le studio a été obligé de réenregistrer ?


1983 : Vangelis est néanmoins nommé aux BAFTA et aux Golden Globes Awards dans la catégorie « Meilleure musique de film ».


1989 : Vangelis sort un nouvel album, Themes, dans lequel trois morceaux originaux exploités dans le film sont intégrés. Oui, ils existent bel et bien ! L’album est constitué des meilleures compositions du musicien pour le cinéma ainsi que quelques inédits pour satisfaire les fans hardcores.


1994 : La sortie officielle, le mystère dans toute sa splendeur. Plein d’explications rationnelles ou non et une absence de justification assez grandiose dans le livret du CD par Vangelis lui-même : « Me trouvant dans l’incapacité de sortir ces enregistrements à ce moment-là [N.D.L.R. : en 1982], c’est avec grand plaisir que je peux le faire maintenant. Vous y reconnaîtrez certains morceaux issus de la bande originale du film, tandis que d’autres vous sont présentés pour la première fois (...) ». Voici la seule et éloquente raison fournie par l’artiste qui a laissé libre cours à plusieurs rumeurs. 1/ Vangelis n'était pas très satisfait de la tournure des événements sur Blade Runner, Ridley Scott et Terry Rawlings ayant modifié un certain nombre de séquences jusqu'au tout dernier moment, bousculant sévèrement la structure musicale des compositions de l'artiste grec. En colère, il aurait refusé que sa musique maltraitée figure sur un album. 2/ Autre hypothèse : par solidarité avec Scott, il aurait refusé de fournir ce que Tandem Productions voulait, à savoir les bandes de ses compos. On ne le saura sans doute jamais. En attendant, Warner édite la version officielle mais certains titres présents dans le film ne sont pas proposés ici. Rien de très satisfaisant pour les puristes même si Vangelis a enfin remis la main à la pâte.


2002 : sortie de l’illustre « Esper Edition ». Probablement le travail qui se rapproche le plus du score tel que présenté dans le film. Ce double album est le fruit de fans, auto-baptisés Esper Group, qui ont fait le pari de numériser tous les morceaux qu’ils ont pu glaner ça et là du score culte de Vangelis. Ils répondent ainsi à un énorme manque en reprenant tous les bootlegs existants (et ils sont nombreux), en les compilant avec quelques morceaux de Vangelis déjà disponibles de manière officielle par ailleurs pour proposer certainement la version la plus aboutie à l’époque.


2007 : A l’occasion du 25e anniversaire du film, le final cut voit le jour. C’est également le moment qu’a choisi Vangelis pour sortir de sa botte un triple CD, sorte de travail ultime sur le film pour combler ses fans de la première heure. Le 1er CD est celui sorti en 1994. Le second reprend des morceaux inédits tirés du film et le dernier propose des compos inspirées de Blade Runner mais signées par d’autres artistes. Tous les morceaux présents sur les bootlegs ne sont pas forcément réunis mais l’édition mérite le détour...


Par Ludovic Gottigny & Romain Dubois, 2017.


« I've seen things you people wouldn't believe... Attack ships on fire off the shoulder of Orion... I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhäuser Gate... All those moments will be lost in time, like... tears in rain. Time to die. »


RIP Vangelis.


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