L'esprit de Noël, part 2 : la trilogie de Noël de Robert Zemeckis
Outre le fait qu'ils aient tous trois été conçus en performance-capture et par le même réalisateur, quel est le point commun entre Le Pôle Express, Beowulf et Le Drôle de Noël de Scrooge ?Le Noël Virtuel
Outre le fait qu'ils aient tous trois été conçus en performance-capture et par le même réalisateur, quel est le point commun entre Le Pôle Express, Beowulf et Le Drôle de Noël de Scrooge ?
Ils se déroulent tous du 24 au 25 décembre. Pour le premier et le dernier c'est plutôt évident et explicite, puisque Noël est au centre de l'intrigue. Pour Beowulf, c'est plus subtil. Le film est divisé en deux périodes se déroulant sur deux jours chacune. La deuxième période marque l'anniversaire jour pour jour de la première et il est bien précisé dans les dialogues à quel moment de l'année se situe l'intrigue : « Aujourd'hui nous fêtons le jour de Beowulf et le jour d'après la naissance du Christ », autrement dit les 24 et 25 décembre. Zemeckis a donc trouvé un moyen narratif de lier artistiquement les trois films au-delà de la forme.
En mettant en scène des films entièrement réalisés en performance-capture, le réalisateur de Retour vers le Futur a eu du flair. Il savait pertinemment qu'il allait, comme tant d'autres pionniers avant lui, se heurter à un mur d'incompréhension de ses contemporains vis-a-vis de sa méthodologie de travail d'avant-garde et que le meilleur moyen pour avoir le public de son côté serait d'approcher des histoires familières, des cadres connus, dans lesquels il allait profondément bouleverser les conventions de mise-en-scène. Les trois histoires choisies ont donc ce lien fédérateur, explicite ou sous-jacent de Noël, exploité de façon diverses. Mais on pourrait aussi arguer que les trois films se suivent dans un triptyque sur la question de la foi à travers trois étapes de la vie :
Le Pôle Express montre le récit d'initiation d'un jeune garçon à la foi dont les avatars d'autorité (son père, le contrôleur du train) et les avatars de magie (le vagabond mystique, une marionnette de Scrooge qui annonce le 3ème film et le Père Noël lui-même) sont tous joués par le même acteur. Puis Beowulf démontre l'importance du doute dans la foi, avec un bestiaire mythologique porteur de fausses croyances et de malédictions. Cette fois c'est un homme dans la force de l'âge qui porte le récit. Enfin dans Le Drôle de Noël de Scrooge (A Christmas Carol), c'est un vieillard qui ne croit plus en rien qui va devoir faire face à ses démons intérieurs, jusqu'à ce que non seulement il retrouve la croyance mais en plus s'exorcise lui-même.
Dans les trois films, la foi (dans la magie de Noël ou autre) n'est jamais que le reflet du protagoniste principal. C'est une réflexion sur l'égo et la nécessité de lui mettre une bonne claque pour devenir, être ou redevenir un « croyant », non pas dans un Dieu ou un dogme précis, mais en soi. On retrouve d'ailleurs ce thème en filigrane dans la plupart des films de Zemeckis, qui s'est démontré par exemple dans Contact, où le voyage interstellaire le plus long et difficile possible n'était qu'une introspection à dimension épique. Mais revenons sur les films en perf-cap :
Dans Le Pôle Express, c'est le concept même de Noël qui est mis en avant. L'histoire tient à la fois du songe et du rollercoaster, entre dialogues enfantins et scènes d'action exploitant dès que possible le principe de caméra-libre. Des enfants embarquent à bord d'un train magique les amenant au Pôle Nord à la rencontre du Père Noël. Le voyage est une quête en soi qui amène le personnage principal à se demander quel est le sens de Noël, auquel chacun apporte sa propre définition. Il découvre que Noël est ce qu'on en fait, que la fête en elle-même peut ressembler à un parc d'attractions plein de bruit et de lumières épatantes, mais qu'elle n'existe que lorsqu'on y met quelque chose de soi, de personnel, d'intime.
C'est donc une métaphore du cinéma que propose Zemeckis. Le spectacle qu'il propose est certes un sacré ride aux mouvements parfois démentiels, mais seuls les moments qui ressemblent purement à du Zemeckis, en forme ou en fond, fait du métrage une œuvre unique qui n'appartient qu'à son réalisateur. Une manière donc aussi de déplacer la question du Cinéma Virtuel au-delà de la dimension technique pour affirmer qu'il s'agit bien d'art, qu'importe la façon de créer.
Dans Beowulf, Zemeckis rappelle la source mythologique de Noël en la liant au plus vieux récit de langue anglaise connue de l'Histoire. Les premières traces de Beowulf datent du Xème siècle et a été étudié sans relâche depuis, influençant entre autres de près ou de loin la quasi-entièreté du genre heroic-fantasy occidental, sous toutes ses formes. Beowulf est un héros, un guerrier aux exploits dignes d'un Kratos de son temps. Il part sauver le royaume de Horthgar de l'infâme Grendel. Mais si la mission lui promet richesse et louanges éternels, elle cache une malédiction qui condamne son âme. En partant du plus lointain dans le temps, Zemeckis part aussi le plus loin pour Noël en mettant en scène comment la religion catholique va supplanter les religions polythéistes. C'est explicité à plusieurs reprises dans les dialogues, dont un qui fait office de critique acerbe de la chrétienté, où Wiglaf dit à son compagnon Beowulf qu'il est le grand tueur de monstres, ce dernier répond : « We men are the monsters now. The time of heroes is dead, Wiglaf - the Christ God has killed it, leaving humankind with nothing but weeping martyrs, fear, and shame. » (« Nous les hommes sont les monstres à présent. Le temps des héros est mort, Wiglaf – le Dieu-Christ les a tués, laissant derrière lui l'humanité sans rien à part des martyrs éplorés, la peur et la honte. »)
Dans Beowulf, la foi divise ceux qui veulent croire coûte que coûte en la Légende et ceux qui doutent de toute croyance. La caverne de la mère de Grendel s'apparente à un trésor infini comparable à la boîte de pandore de cadeaux du Père Noël du Pôle Express, mais son or et ses bijoux portent en eux une malédiction qui brisera l'esprit des plus forts et des plus vertueux. C'est le chant des sirènes d'Homère, version viking. La foi est un mirage, et la vérité sauve, repentit les braves, et leur permet de garder dans la mort l'image des héros. A l'image d'un Liberty Valance de John Ford, Zemeckis nous dit qu'entre le réel et la légende, il vaut mieux garder la légende. Mais le 24 décembre, qui aurait pu être le jour de Beowulf où on célèbre la victoire du bien contre le mal, deviendra le réveillon de Noël et la nuit qui verra naître le dernier Dieu occidental. Des 3 films, c'est le seul qui remet en question ce jour et se permet de critiquer sa signification originelle. En plus d'être l'un des plus beaux et maîtrisés films d'heroïc fantasy, Beowulf est aussi la démonstration de ce que permet le Cinéma Virtuel quand il sert un scénario complexe et accessoirement l'un des tous meilleurs films de la carrière entière de Zemeckis.
Enfin, A Christmas Carol sert d'adaptation fidèle et précise du roman de Charles Dickens, à ceci près que la perf-cap permet à Zemeckis de donner une extravagance visuelle extraordinaire qui donne au film le cachet d'être le plus fou visuellement de l'année 2009 juste après Avatar. L'histoire est connue et a été adaptée au cinéma des dizaines de fois avec plus ou moins de succès, dont on retiendra Le Noël des Muppets avec Michael Caine, un téléfilm avec Patrick Stewart et une version 80's aux accents anti-reaganien avec Bill Murray titrée… Scrooged (Fantômes en Fête en vf). L'histoire est donc celle de Scrooge, vieux radin méchant et cruel qui sera visité par trois esprits, le fantôme des Noëls passés, celui des Noëls présents et celui des Noëls futurs, qui est en fait la faucheuse. On retrouvera comme dans le Pôle Express au centre du récit l'idée de faire jouer à l'acteur principal plusieurs rôles.
Jim Carrey interprète le vieillard Scrooge, mais aussi une version du personnage enfant, puis adolescent, puis de jeune homme, puis d'homme de la cinquantaine et en plus les trois fantômes de Noël. Cette fois, la quête de sens de Noël s'affiche clairement comme une introspection et son trajet narratif faisant sens avec les deux films précédents, il est naturel que l'histoire parle d'un vieil homme ayant perdu foi en tout, y compris en l'Homme et surtout en lui-même qui va recouvrer son âme avec des voyages dans le temps permis par les esprits. Des 3 films, A Christmas Carol est celui qui procure peut-être le plus de jouissance visuelle, peut-être parce qu'il accompli le voyage entrepris deux films plus tôt et rassemble enfin les personnages autour du véritable sens de Noël selon Zemeckis : être quelqu'un de bon, le plus généreux, le plus bienveillant et le plus soucieux possible des autres. Les traumas sont apaisés, les dragons dépecés et les cadeaux déballés.
Alléluia.
Maxime Solito