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VIDIOTS : Rencontre avec les fondatrices du vidéo-club mythique

Lancé en 1985 par Cathy Tauber et Patty Polinger, deux amies qui souhaitaient proposer une alternative cinéphile à la chaîne Blockbuster Video, Vidiots est l’un des derniers représentants de l’ère révolue de la VHS.
VIDIOTS : Rencontre avec les fondatrices du vidéo-club mythique

En son temps, Vidiots était une véritable institution de la ville de Los Angeles, un vidéoclub situé au croisement de Third Street et Pico Boulevard, à deux pas de Pacific Park, sur la fameuse jetée de Santa Monica. Lancé en 1985 par Cathy Tauber et Patty Polinger, deux amies qui souhaitaient proposer une alternative cinéphile à la chaîne Blockbuster Video, Vidiots est l’un des derniers représentants de l’ère révolue de la VHS. Transformée en organisation culturelle à but non lucratif au début des années 2010, la boutique déménage durant l’année 2017, la faute à une flambée des prix dans le quartier de Santa Monica. Mais ce n’est qu’un énième obstacle dans le parcours de ce vidéoclub atypique, qui a bien failli disparaître pour de bon, avant que la productrice Megan Ellison ne vienne sauver la situation. C’est à cette époque-là, en 2015, que nous avons rencontré Cathy Tauber et Patty Polinger, les deux membres fondateurs de Vidiots, dans l’enceinte de leur iconique vidéoclub.


Entretien par Stéphane Moïssakis, paru dans notre hors-série Video Pizza, toujours dispo sur notre shop !

S : Pouvez-vous nous raconter les débuts de Vidiots dans les années quatre-vingt ?


Cathy Tauber : À l’époque, les vidéoclubs faisaient leur apparition un peu partout, ici à Los Angeles. C'étaient de petites boutiques familiales, qui fleurissaient à tous les coins de rue. Malgré tout, je trouvais qu’il n’y avait pas beaucoup de films intéressants, du moins qui me donnaient envie de sortir pour en louer ou acheter la VHS. Mon amie Patty m’a alors parlé de ces boutiques indépendantes qui existaient ailleurs dans le pays, comme à New York et Chicago. 


Patty Polinger : J’avais lu un article dans Esquire Magazine sur ces vidéoclubs de Brooklyn qui proposaient tous ces films intéressants. Je me suis dit que Los Angeles était une ville de cinéma, et pourtant, nous n’avions aucun endroit comme celui-ci. Il y avait un véritable manque à combler.


C : On pouvait y trouver des films étrangers, de l’art vidéo et des productions indépendantes très pointues. Nous nous sommes dit que nous pouvions ouvrir un vidéoclub similaire à Los Angeles.


S : Vous travailliez dans l’industrie du cinéma à l’époque ?


C : Pas du tout. Je venais du milieu de la musique, et j’ai notamment travaillé avec Frank Zappa. Mais j’étais une amoureuse du septième art et j’avais beaucoup d’amis étudiants, qui ont obtenu des diplômes dans des écoles de cinéma, donc je me rendais souvent dans les salles.


P : J’ai travaillé pour MGM/United Artists dans le domaine de la distribution, mais je n’avais pas vraiment de connaissances en matière de cinéma. Dans ma jeunesse, j’ai vécu à Londres pendant trois ans. Je faisais partie d’un ciné-club et c’est sans doute là-bas que j’ai été enthousiasmée par un film pour la première fois. C’était La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Mais je partageais la même frustration que Cathy. Lorsque je travaillais chez MGM, j’avais accès à leur catalogue, mais quand je me rendais dans de petites boutiques je ne trouvais rien. C’était très frustrant.

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S : L’emplacement d’un vidéoclub est très important. Comment avez-vous choisi le quartier pour implanter Vidiots ?


C : C’est intéressant, parce qu’à l’époque, la population du quartier était très différente. Nous étions au milieu des années quatre-vingt et il n’y avait rien de particulier dans le coin, juste un magasin de vente d’alcool tout près de notre enseigne. Nous n’avions d’ailleurs qu’un quart de l’espace que nous avons maintenant, à savoir 90m2 environ. En réalité, ce qui nous a décidées à nous installer ici, c’est la proximité avec l’autoroute et notamment le grand panneau publicitaire tournant qui était disposé sur le toit. Nous nous faisions la réflexion que tous les automobilistes allaient nous remarquer depuis l’autoroute, mais une fois que le bail a été signé, on nous a signalé que le panneau allait être démonté (rires) ! L’emplacement n’était pas nécessairement attrayant à l’époque, mais il se trouve que les choses ont bien tourné. Nous avons eu pas mal de publicité dès le début, notamment grâce à des articles dans le magazine culturel L.A. Weekly, parce que nous proposions quelque chose de très différent des autres vidéoclubs du coin. C’est ce qui nous a permis de bien marcher assez rapidement. Et au fil du temps, des sociétés de production hollywoodiennes ont commencé à migrer vers Santa Monica et la population a changé.


S : Quelle était la différence entre Vidiots et les autres vidéoclubs de Los Angeles ?


C : Lorsque Blockbuster Video est apparu à Los Angeles au milieu des années quatre-vingt, leur mainmise sur le marché a poussé les boutiques indépendantes à la faillite. En tout juste cinq ans, beaucoup d’entre elles ont dû fermer. D’une certaine manière, nous avons résisté et cela nous a même été bénéfique, car nous devenions la seule alternative pour les gens qui voulaient soutenir une boutique indépendante. Au milieu des années quatre-vingt-dix, Hollywood Video est arrivé à Los Angeles et nous sommes soudainement devenus trop chers, nous ne pouvions pas être compétitifs face à leur politique de cassage de prix. 


S : Mais votre réputation s’est construite sur la qualité de votre offre, non ?


C : Nous étions connus pour avoir de tout dans notre catalogue, et surtout des films impossibles à trouver ailleurs. Nous avons toujours engagé des employés qui ont une grande culture cinématographique, ce qui nous a permis d’enrichir notre offre. 


P : Ce sont eux qui gèrent les différentes catégories des sections de la boutique. Ils créent des rayons très variés, comme le rayon « OVNI » par exemple, avec une sélection de films avec des extra-terrestres, et ce genre de choses.


C : Et puis, des cinéastes viennent très régulièrement nous rendre visite. Lorsque l’industrie du cinéma s’est rapprochée de Santa Monica, ceux qui y travaillaient venaient nous voir pour faire des recherches.


S : De votre propre expérience, pensez-vous que des réalisateurs cinéphiles – comme Quentin Tarantino par exemple – incitent les gens à se rendre dans les vidéoclubs lorsqu’ils discutent en long et en large de leur propre cinéphilie ?


P : C’est difficile à dire... Je pense que même Quentin Tarantino a du mal à attirer les foules au New Beverly Cinema. Cela doit arriver de temps en temps, lorsqu’il parle des films qui l’ont influencé pour son propre travail. Les gens qui sont intéressés par ce cinéma-là vont chercher à voir ces références, comme les films de blaxploitation par exemple. 

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S : En 2015, Vidiots a bien failli mettre la clé sous la porte. Et c’est la productrice Megan Ellison qui est venue à votre rescousse. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?


C : Il y a quelques années de cela, nous sommes devenus une fondation à but non lucratif. Nous avions déjà créé une entité non lucrative, notamment grâce au soutien du réalisateur David O. Russell, qui est à la fois un fan et un mentor. À ce moment-là, nous sommes devenus totalement non lucratif, et nous avons cru que nous allions réussir à réunir des fonds pour continuer à opérer, mais nous nous y sommes pris trop tard. Nous perdions beaucoup d’argent, et nous avons annoncé que nous allions devoir fermer boutique. C’est à ce moment-là que Megan Ellison s’est manifestée pour nous soutenir financièrement, le temps que l’on décide de la direction à prendre pour Vidiots. 


S : Est-ce qu’elle était cliente chez Vidiots, avant de vous venir en aide ?


P : Megan Ellison n’était jamais venue dans notre boutique auparavant. En revanche, elle fait partie de cette génération qui a grandi en allant dans les vidéoclubs. C’est une forme de cinéphilie qui la passionne réellement. Quand elle est entrée dans la boutique, elle a dû avoir une sorte de flashback en voyant nos écrans cathodiques des années quatre-vingt-dix. Je pense que le fait de venir en aide à un endroit comme Vidiots reste quelque chose d’important pour elle. Elle est dans la tranche d’âge qui a découvert le cinéma durant son enfance, grâce à l’ouverture des vidéoclubs.


S : Comment s’est déroulée son implication ?


P : Au-delà du partenariat financier, elle voulait aussi nous aider d’un point de vue créatif, pour trouver des solutions qui nous permettraient de devenir rentables. Selon elle, la mairie de Los Angeles se devait de soutenir un projet comme le nôtre qui est une véritable ressource culturelle pour la ville. Elle ne voulait pas se contenter de donner de l’argent, elle voulait réfléchir avec nous sur la marche à suivre pour le futur. Elle nous a aidés à développer un plan sur cinq ans. Par exemple, nous avons organisé le Vidiots Festival qui dure quatre jours, et dont la première édition a compté des personnalités comme Michael Mann, Tony Goldwyn. Elijah Wood a fait un podcast également. C’est une publicité qui nous permet de faire comprendre notre mission au public, et faire adhérer les gens qui s’intéressent à notre projet.


S : Quelle est la voie à prendre pour Vidiots, notamment face à des géants du streaming comme Netflix ? 


C : Maintenant que nous sommes une société non lucrative, nous ressemblons plus volontiers à une librairie, et nos clients sont les membres d’une fondation, comme ils peuvent être membres d’un musée par exemple. Nous allons mettre en avant l’aspect éducatif de la fondation et essayer d’agrandir la communauté.


S : Et la dématérialisation de votre catalogue vers votre site internet, c’est possible ?


P : Ce qui est important pour nous, c’est que notre catalogue reste accessible. En ce moment, nous travaillons sur certaines de nos vieilles VHS, car nous en avons environ 11 000. Je suis retombé sur Diamonds in the rough par exemple, que j’aime beaucoup. Certains de ces vieux films n’existent plus en copie physique, ou alors la VHS se revend très cher sur internet. Parfois, les prix peuvent monter jusqu’à 15 000 dollars ! Espérons qu’un jour, il sera possible de tous les numériser pour les conserver et les mettre à la disposition des spectateurs, car ces films ne seront plus jamais édités en DVD et ne seront jamais disponibles en SVOD à cause de problèmes de droits insolubles.

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S : Selon vous, le futur des vidéoclubs, c’est de devenir des musées et des librairies ? 


C : Ici, les vidéos ne représentent plus qu’une partie de ce que nous proposons désormais. Dernièrement, nous avons monté un événement autour de la réalité virtuelle et nous avons réuni environ 150 personnes. L’idée est de faire rentrer les vidéoclubs dans le XXIe siècle, pour attirer un public plus jeune. 


P : C’était incroyable, cette expérience totalement immersive qui nous permet de ressentir une empathie totale pour les personnages puisqu’on est dans le film. Le futur va sans doute aller dans le sens de ces expériences toujours plus immersives, dont nous n’avons pas encore conscience aujourd’hui. Tant que la manière de raconter le récit reste la principale motivation des cinéastes, cela peut vraiment donner quelque chose de cool.


S : Le sauvetage de Vidiots vous a-t-il apporté de la visibilité ? Il faut dire qu’on en a entendu parler jusqu’en France !


C : Les médias en ont beaucoup parlé quand nous avons annoncé que nous allions fermer : à la radio, à la télévision, même en première page de la partie business du L.A. Times ! Et en quelques jours, nous étions sauvés. Certaines personnes pensent que nous sommes désormais fermés, d’autres ont conscience que nous sommes ouverts… 


S : Une dernière question : vous évoquez souvent votre communauté. Comment est-ce que vous la définiriez ?


P : Notre communauté, ce sont toutes les personnes passionnées par les films. Des gens comme vous, par exemple ! Chacun est passionné par le cinéma, à sa manière. Certains veulent simplement regarder des films, d’autres veulent en débattre, d’autres encore veulent savoir comment les films sont fabriqués. Ce qui est sympa quand on invite un réalisateur pour faire une masterclass chez Vidiots, c’est que l’événement se déroule dans un cadre assez intime. Les gens peuvent poser des questions spécifiques, et les réalisateurs peuvent y répondre en prenant le temps d’expliquer leur démarche : comment est-ce que le film a été fabriqué ? Quelle était la vision artistique ? Je pense que les gens qui veulent participer à ce genre d’événements font partie de notre communauté.


Entretien par Stéphane Moïssakis, paru dans notre hors-série Video Pizza, toujours dispo sur notre shop !