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Mission: Impossible, l'homme qui ne pouvait pas mourir

Mission impossible est la fierté de Tom Cruise, la preuve tangible qu'il peut toujours renaître de ses cendres au box-office, la démonstration de sa volonté de faire du cinéma populaire de qualité...
Mission: Impossible, l'homme qui ne pouvait pas mourir

Mission impossible est la fierté de Tom Cruise, la preuve tangible qu'il peut toujours renaître de ses cendres au box-office, la démonstration de sa volonté de faire du cinéma populaire de qualité, et le porte-drapeau du dernier grand acteur-producteur à l'ancienne. Il est celui qui tient tête aux studios sur les choix artistiques de ses réalisateurs. Celui qui défie la mort film après film, cascade après cascade. Il est Ethan Hunt, corps et âme. Il est l'homme qui ne pouvait pas mourir.


Dans Rogue Nation, le personnage d'Alec Baldwin donne la meilleure définition du personnage d'Ethan Hunt : « Il est surentraîné et extrêmement motivé. C'est un spécialiste sans égal, immunisé à toute contre-mesure. Il n'y a pas de secret qu'il ne peut percer, pas de système de sécurité qu'il ne peut contourner, pas de rôle qu'il ne peut endosser. Il est fort probable qu'il ait anticipé cette conversation et qu'il soit prêt à frapper, quel que soit notre prochain geste. Hunt est l'incarnation du destin ». La seule chose qu'on pourrait y ajouter, c'est que Hunt est surtout l'incarnation du destin de Tom Cruise lui-même. Chacune de ses missions impossibles est une étape marquante de sa carrière, un virage, un symbole de ce qu'il représente au cinéma en tant qu'icône et de son pouvoir sur Hollywood. Cruise est la dernière véritable star à l'ancienne, alternant pendant tant d'années des blockbusters et des films dits « respectables » par des réalisateurs maîtres en leurs domaines et parfois réussissant le miracle de faire les deux en même temps. Cette position unique dans l'industrie vient du véritable power couple de l'Hollywood moderne. Un duo original dans le sens où il n'a jamais été un véritable couple au sens intime. Il s'agit d'une relation de travail entre un agent et un acteur qui a tellement réussi qu'elle a déterminé tout un pan de l'industrie.


Paula Wagner rencontre Tom Cruise au début des années quatre-vingt. Cruise était alors encore loin d'être une star et Wagner était une comédienne ratée reconvertie en agent dans l'espoir de rester dans le milieu du cinéma. Le premier film sur lequel Wagner décroche un contrat pour Cruise est The Outsiders, sorti en 1983 et réalisé par rien de moins que Francis Ford Coppola. Un peu plus tard, Top Gun lancera la carrière de Cruise sur orbite en devenant le plus gros succès en salles de l'année 1986. En 1993, Wagner arrête sa fonction d'agent et fonde avec Cruise leur propre société de production à leurs noms. Il semble toujours manquer à Cruise ce qu'on appelle son « véhicule », le film qui le mettra tant en valeur que la seule chose qu'on retiendra de son succès sera son visage et son nom. Cruise/Wagner ne sera créé que dans ce seul but : étendre le contrôle sur la production des films en assurant la pérennité de Tom Cruise en salles.


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Il existe alors un gouffre dans le domaine du film d'espionnage qui arrive à point nommé. Pour la première fois dans l'histoire de sa franchise, la saga des James Bond est à l'arrêt. Aucune nouvelle aventure de 007 n'est sortie entre 1989 et le milieu des années quatre-vingt-dix, un fait exceptionnel quand on sait que la MGM et United Artists sortaient un Bond tous les deux ans depuis les années soixante-dix avec la précision d'une montre suisse. Mais en 1991, le rachat de la MGM par des malversations de la banque du Crédit Lyonnais interdit juridiquement la mise en route du troisième opus de Timothy Dalton, qui ne verra jamais le jour. Il n'existe donc plus de grand film d'espionnage exubérant centré sur un homme sauvant le monde à cette époque. On pourra toujours penser aux trois premières tentatives de Jack Ryan au cinéma, dont le somptueux À la poursuite d'Octobre rouge de John McTiernan reste un chef-d’œuvre, mais on ne peut pas parler de pérennité à la Bond. Mais la nature a horreur du vide. Le milieu des années quatre-vingt-dix va y remédier en donnant coup sur coup True Lies de James Cameron en 1994, Goldeneye en 1995 et Mission impossible en 1996. Qu'importe que Cruise soit le dernier des trois. Qu'importe que son film n'ait jamais l'audace du réalisateur de Titanic. Qu'importe même que le véritable Bond soit revenu un an plus tôt, et ce avec un succès fracassant. Car il les survivra tous.


Mission impossible est à l'origine une série des années soixante, créée par Bruce Geller. L'histoire raconte les aventures de l'IMF, la Impossible Mission Force : une équipe d'experts rassemblés par Jim Phelps pour mener des opérations classées top secret pour le compte de la CIA. La série est remplie de codes : le message donnant la mission s'autodétruit cinq secondes après avoir été lu, on use de gadgets extravagants dont des masques parfaits trompant la vigilance des ennemis, et la musique de Lalo Schifrin devient un thème culte. Les guests se bousculent pour jouer le méchant de la semaine, la série durera sept saisons, sans parler d'une suite vingt ans plus tard, et son image rentrera dans l'inconscient collectif pour toujours.


Engager Brian De Palma pour le premier film fait alors sens : c'est non seulement un réalisateur confirmé depuis bien longtemps, mais il a déjà signé une adaptation de série télé avec Les Incorruptibles. Le film avait été une réussite flamboyante et la Paramount ne doute pas un instant de ses capacités à réitérer l'exploit.


L'intention de Brian De Palma est clairement affichée : il veut faire un hit et il veut faire de Cruise une action star. Ici, pas de drame introspectif, pas de regard critique sur l'Amérique ni de tragédie faustienne. Ce sera un film d'action fun qui se servira des tics de réalisation de De Palma pour accentuer le suspense. Le coup de génie qui va façonner la franchise tient sur un twist qui fera mine de prendre à revers les attentes du public. La série Mission impossible raconte l'histoire d'une équipe interchangeable autour de Jim Phelps, le film Mission impossible racontera la mort de cette équipe et la transformation de Phelps en méchant de sa propre saga. Le point de vue du film s'attachera donc à Ethan Hunt, simple agent qui va devenir le héros, seul et contre tous. C'est ni plus ni moins comme si James Bond devenait le méchant de ses propres films et que le destin du monde reposait tout à coup sur les épaules d'un assistant de Q. Cela permet évidemment de faire de Cruise l'élément primordial de sa propre célébrité, comme on le verra avec la campagne marketing du film dont le visage de l'acteur recouvre presque intégralement l'affiche. L'important n'est pas de mettre en avant des paysages exotiques (il n'y en a strictement aucun dans le film), ni les gadgets, ni les effets spéciaux, ni même les masques, ni les femmes fatales ou les explosions. La seule chose qui compte, c'est Cruise. Le film se vendra sur son nom, pas celui de la série. C'est aussi une façon pour De Palma de s'approprier le matériau qu'il adapte. Il tue littéralement le Mission impossible d'avant en tuant Jim Phelps. Il situe cette mort à la fin d'une séquence d'action encore inégalée dans la saga à ce jour : un climax sur un train traversant le tunnel sous la manche. Le train est accroché par l'hélicoptère piloté par Jean Reno, tandis que Cruise court après Jon Voight (Phelps). La construction de la scène, la musique de Danny Elfman, le rythme, l'explosion finale : c'est un modèle de final de blockbuster qui achève de faire de Cruise le héros qu'il a toujours rêvé de devenir à l'écran.

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Le meilleur moment du film est l'intrusion de Hunt et son équipe au Pentagone pour pirater un ordinateur situé dans une pièce imprenable, un vrai coffre-fort digne de la série, avec une alarme qui s'enclenche dès qu'un objet touche le sol, si la température atteint un degré trop élevé ou si un bruit plus conséquent qu'un chuchotement se fait entendre. La séquence est très intelligente puisqu'elle force le spectateur à s'identifier à Cruise, suspendu dans la pièce par un câble au plafond, tenu par Jean Reno. Le public est donc obligé de retenir son souffle, de ne pas faire de bruit et de prêter attention à chaque détail qui risquerait de déclencher l'alarme, comme un rat approchant Jean Reno, un éternuement ou encore une goutte de sueur coulant sur le front de Cruise et descendant, millimètre par millimètre, le long d'un des verres de ses lunettes. La main de Cruise rattrape la goutte de justesse et à la fin de la scène, lorsqu’on croit la partie gagnée, le couteau à la Rambo de Jean Reno tombe du plafond au ralenti pour se planter dans le bureau de l'ordinateur, à la seconde où l'alarme se désactive. Le grand public qui découvre le film en 1996 comprend immédiatement qu'il vient d'assister à un des moments de blockbusters les plus cultes des nineties. La scène sera parodiée à outrance, au point de devenir une citation obligatoire dans les deux films suivants de la franchise, puis d'être abandonnée pour ne pas tomber dans le piège de l'autoréférence.


En coulisses, la lutte de pouvoir ne se joue pas tant entre le réalisateur et le studio, pour une fois, mais plutôt entre Cruise/Wagner et le reste du monde. De Palma avait engagé David Koepp, brillant scénariste de L'Impasse, pour signer le scénario du film à la satisfaction de la Paramount. Pas à celles de Cruise et Wagner qui l'éjecteront pour le remplacer par Robert Towne, leur ami, puisqu'il avait déjà signé un pur script à la gloire de Cruise quelques années plus tôt, La Firme. Towne réécrit entièrement le scénario de Koepp, ce qui est un vrai problème puisque les décors sont déjà en cours de fabrication au moment de la réécriture, sans savoir s'ils serviront ou non pour le tournage. Pour maintenir un minimum de cohésion dans une histoire déjà extrêmement alambiquée, Koepp reviendra travailler sur le film, De Palma devant jouer les diplomates entre les deux scénaristes qui ne se verront pas du tournage, sans parler de Cruise et Wagner qui peuvent imposer à chaque instant l'addition ou la suppression d'une scène, d'une ligne de dialogue ou d'un trait de caractère d'un personnage. La Paramount veut tellement faire du film son méga succès de 1996 et garder dans son écurie la star que le studio cédera à toutes ses demandes. Le film deviendra le plus gros succès de la carrière de De Palma. Une nouvelle franchise d'action au cinéma était née.


Cruise va conserver le pouvoir acquis sur cette première production pendant dix ans et il s'en servira de levier pour faire absolument tout ce qu'il veut à Hollywood. Cela passera par le film-testament de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut, ainsi que sa participation à Magnolia, film choral de Paul Thomas Anderson. Arrive alors Mission impossible 2. Cruise ira chercher lui-même John Woo pour le réaliser, ce qui dénote plusieurs intentions. Il souhaite que la franchise soit protéiforme en changeant de réalisateur à chaque film, à la manière des quatre premiers Alien. Il veut aussi un réalisateur confirmé dans le cinéma d'action, pas un mercenaire ni un débutant. Et enfin, il veut continuer à garder le contrôle, ce qui exclut certains réalisateurs qui auraient pris l'ascendant. Sur le tournage du film, la situation est évidente pour tout le monde : Cruise dirige, Woo exécute. La situation est devenue si incongrue qu'un journaliste lui demande sur le set « Qui dit action ? Qui dit coupez ? » et Cruise de lui répondre avec un sourire poli que c'est bien sûr Woo. La séquence deviendra assez connue pour être parodiée ensuite par Ben Stiller pour MTV, parodie à laquelle participera Cruise lui-même pour ne pas devenir le dindon de la farce. Ne nous y trompons pas : Le film est bien du pur John Woo, période américaine. Il porte en fait tellement sa marque qu'il semble être un best of de ses trois films américains précédents (Chasse à l'homme, Broken Arrow, Volte Face), assemblés et cités en dépit du bon sens, comme des legos n'appartenant pas aux mêmes mondes.

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Si le scénario du premier film était un peu tordu, celui de ce second volet plane assez bas pour atterrir sans accroc. Un virus mortel dans les mains d'un ancien agent de la Impossible Mission Force menace le monde et Hunt doit chasser son ancien collègue, avec qui il partage assez de traits pour être son double. Le film dans son état final est une somme de réécritures (auxquelles participeront les futurs créateurs de la nouvelle série Battlestar Galactica) dont les parties assemblées n'ont aucun sens. Anthony Hopkins fait office de nouveau Phelps très peu présent, une love story est intégrée au forceps dans la narration avec une Thandie Newton qui est une enveloppe vide et un méchant incarné par Dougray Scott qui ferait passer le jeu de Jonathan Pryce dans Demain ne meurt jamais pour une prestation oscarisable. Une abondance de clichés parsème le film, alourdissant la moindre emphase sur les enjeux ou les scènes d'action, hélas bien loin du niveau habituel de John Woo. Le tout est dirigé vers un seul but : faire de Hunt un personnage totalement déconnecté du premier opus. De Palma l'avait créé comme un Bond moderne et humain, avec une famille, des doutes, des failles. Il était nerveux, sensible et pas toujours sûr de lui. Woo en fait un Superman au sourire idiot et béat, à l'image de Cruise en promo, au point que son personnage n'est plus qu'un prête-nom à l'écran. Ce que nous voyons, ce n'est pas Hunt, ce sont les aventures fantasmées de Tom Cruise sauvant le monde. Tout est destiné à le mettre en valeur dans le film. Au point d'en faire un héros antipathique n'ayant plus rien à raconter. Et quand on sait qu'il s'agit du personnage le plus complexe du film, cela situe le niveau de pénibilité à s'intéresser à quoi que ce soit dans le film. Quand bien même il multiplie les cascades et les explosions, dans une surenchère vaine et qui plagie parfois même Terminator 2, avec un Cruise en cuir et lunettes noires, sur une moto, à la manière d'Arnold. Le sommet de l'entreprise se situe à l'ouverture avec une scène d'escalade confinant au ridicule où Cruise gravit une falaise. Cette scène ressemble à s'y méprendre à l'ouverture de Star Trek V, où William Shatner, réalisateur et acteur principal, se filmait à sa propre gloire en escaladant une montagne à mains nues. Ici, Cruise se retrouve de dos, les deux mains accrochées à la paroi, pour faire face à la caméra. Il paraît presque casser le 4ème mur pour nous dire ce qu'on sait déjà : nous sommes dans un ego-trip.


Le film deviendra en son temps le plus gros succès du film d'espionnage au box-office, juste devant Austin Powers 3 dans Goldmember, dont le film débute par une autoparodie dans laquelle on voit un film sur Powers joué par Tom Cruise… et dirigé par Steven Spielberg. C'est à la même période qu'il tournera Minority Report justement, puis d'autres chefs-d'œuvre, dont Collateral pour Michael Mann et La Guerre des mondes, encore pour Spielberg. Six années s'écoulent avant que n'arrive Mission impossible III. Une éternité au box-office. Le public va commencer à tourner le dos à Cruise, dont les dérives scientologues lui font des dommages médiatiques irréversibles. Il incarne en plus aux yeux du monde l'ultime diva, l'acteur à qui on ne dit pas non. Cruise va se tourner alors dans un premier temps vers David Fincher pour réaliser le 3ème volet, mais cette possibilité sera vite écartée par les deux parties. Joe Carnahan (réalisateur de Narc, produit par Cruise/Wagner) est alors engagé et développe la production pendant près d'un an et demi. Kenneth Branagh est choisi pour jouer le méchant, un terroriste solitaire à la Timothy McVeigh. Carrie-Anne Moss et Scarlett Johansson complètent le casting et tout semble bien parti jusqu'à ce que la production s'arrête net. Cruise n'est pas d'accord avec le script et Carnahan ne veut pas se soumettre à l'acteur. Le réalisateur est viré sur-le-champ et remplacé par J.J. Abrams. C'est un choix stratégique extrêmement rusé de la part de Cruise/Wagner. En s'associant à Abrams, ils font coproduire le film avec Bad Robot, s'appuient sur l'expérience d'Abrams sur la série Alias, qui n'est ni plus ni moins que le Mission impossible moderne, et à bien des égards le brouillon de Lost. Abrams a le vent en poupe auprès du public et la cerise sur le gâteau : il n'a jamais réalisé de film et il est totalement flexible au moindre désir de Cruise. Il est la victime idéale.


En toute logique, Mission impossible III est retravaillé de fond en comble, du scénario au casting en passant par l'approche. Le film devient un spin off officieux d'Alias en reprenant son style, sa musique (Michael Giacchino fera des merveilles sur cet opus et sa suite), ses arcs narratifs (on touche du doigt la science-fiction avec le macguffin, la « patte de lapin » qui gardera tout son mystère) et ses scènes d'action. On reprochera au film son style télévisuel, très forcé sur les gros plans et une mise en scène assez légère. C'est un peu le serpent qui se mord la queue : la série devenue saga de films est accusée de plus ressembler à la série qu'elle adapte que les autres films. Sans évidemment atteindre les sommets de réalisation d'un De Palma ou d'un Bird, Abrams se débrouille pourtant bien sur un premier film à la production aussi compliquée. Ses scènes d'action ont de l'idée et le méchant a enfin de la personnalité (Philip Seymour Hoffman). Hunt n'est plus une machine à tuer indestructible, mais plutôt le roi de l'improvisation et du chaos, un peu à la manière des scènes d'action de Minority Report et de La Guerre des mondes. Logique puisque Abrams garde Spielberg comme maître à penser. Le film introduit en plus des personnages qui donnent à la saga un peu plus d'humanité, avec Simon Pegg dans le rôle de Benjamin Dunn, qui va rester inséparable de la franchise. On a aussi droit à l'introduction de Julia, jouée par Michelle Monaghan, qui va devenir la femme de Hunt et développer un arc sur les futurs films. Enfin, d'autres personnages existent et ne sont pas simplement des comic reliefs comme Ving Rhames, le seul autre survivant du premier film. Grâce à l'empathie d'Abrams pour ses personnages, le film prend judicieusement le contre-pied de John Woo et impose de nouvelles règles encore en vigueur aujourd'hui : Hunt ne peut plus gagner seul, il peut saigner, se blesser, avoir tort et commettre des erreurs. Nous avons enfin un personnage original qui n'a plus rien d'un sous-007, ni d'un Bourne, ni d'un super-héros. Il a une femme et des amis, donc quelque chose à perdre, donc des enjeux, donc des conflits, donc de la narration. C'est sur cette base solide, à défaut d'un film extraordinaire, que se reposeront les suites. Mais cela ne paiera pas au box-office. Certes, le film n'est pas un bide et franchit la barre des 100 millions sur le sol américain. Mais dépasser cette limite en 2006 n'est pas équivalent à ce qu'elle signifiait en 1996. Cruise et Wagner sont fragilisés par l’accueil média, bien plus prompt à repasser en boucle les pétages de plombs de la star chez Oprah qu'à parler de ses films. La représentation et la vie personnelle de l'acteur ont pris le dessus sur son travail.

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C'est alors qu'opère une cassure entre Cruise et le grand public, lorsqu'il voudra refonder avec Paula Wagner la mythique United Artists, le studio fondé par entre autres Douglas Fairbanks (le modèle de Cruise) et Charlie Chaplin. Paula Wagner est propulsée CEO et s'engage auprès des actionnaires à produire quatre films par an. Seulement deux en sortiront en trois ans après une gestion désastreuse : Lion for Lambs, le 1er véritable bide de Cruise au box-office depuis des lustres et Valkyrie de Bryan Singer, qui sera expédié par la MGM avec une sortie discrète afin de limiter les pertes. Wagner est virée fin 2008, Cruise reste et protège ses 15 % de parts dans les recettes d'United Artists, détenteur des films James Bond. Autrement dit, pour l'usage du copyright d'United Artists, Cruise a touché un chèque pour chaque James Bond sorti au cinéma depuis Quantum of Solace. Une vraie revanche pour Ethan Hunt sur 007, alors que Daniel Craig conquiert un public bien plus élargi avec Skyfall que tous les Mission impossible sortis jusqu'à présent.


Cruise revient chez la Paramount pour une quatrième mission, mais en position de fragilité. Il n'a plus le même statut et s'il a toujours son mot à dire sur la production, il se servira plutôt de ce pouvoir pour protéger ses réalisateurs que pour se mettre en valeur. C’est là le tournant de la franchise. Le but n'est plus de faire des véhicules pour Tom Cruise, mais de faire les meilleurs films d'action possible. Cela commence par ne pas engager n'importe qui. Brad Bird saute sur l'occasion pour réaliser le premier film live de sa carrière, une opportunité qu'il attend patiemment depuis les années quatre-vingt en rongeant son frein sur l'animation. Mission impossible : Protocole fantôme sera un choc. Un film d'action en 2011, digne de John McTiernan, d'une maîtrise technique et d'une inventivité dans la réalisation sans égal dans la franchise, où chaque plan a sa raison d'être et où les attentes du spectateur sont vraiment retournées. C'est un vrai film d'équipe, pas d'un individu seul et dont les qualités humaines sont les plus grandes forces. On n'a jamais vu un Mission impossible ressembler autant à la série, tout en étant un aussi grand film épique et généreux, passant de l'explosion du Kremlin à une escalade du Burj Khalifa à Dubaï, la plus grande tour au monde, haute de 830 mètres. Chaque personnage secondaire a son propre arc, chaque scène fait avancer l'intrigue, la caméra est souvent en mouvement et la narration est d'une clarté absolue. Le ton est larger than life, rempli d'humour mais jamais cynique. Bird a signé un exercice de style, une commande, mais l'a fait avec tant de talent qu'on n’a jamais eu autant à cœur de suivre les aventures d'Ethan Hunt. Si « less is more » est une leçon à appliquer à la saga, on peut en déduire que « less Cruise is better Cruise ».


Ces efforts vont payer et mèneront au succès en salles, remontant la barre après Abrams et assurant enfin à Cruise un peu de tranquillité. 


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Il engage Christopher McQuarrie pour le cinquième volet. Cruise le connaît de longue date, puisque McQuarrie a signé le scénario de Valkyrie. Après quoi, c'est le grand amour. On retrouvera McQuarrie au scénario de Edge of Tomorrow et La Momie en plus d'assurer l'écriture et la réalisation de Jack Reacher et les deux derniers Mission impossible en date, soit cinq films ensemble en sept ans. Avec McQuarrie, Cruise semble avoir trouvé son compagnon de route idéal, celui avec qui il partage un goût pour la même cinéphilie, une passion pour le cinéma d'action à l'ancienne et les cascades tournées en dur. Le cinquième opus de Mission impossible : Rogue Nation, sera sans doute le film le mieux écrit de la saga à ce jour, avec de vrais thèmes, creusés, explorés et pour la première fois un personnage féminin dont l'arc ne dépend pas uniquement des actions de Hunt. Ilsa Faust, jouée par Rebecca Ferguson, est le cœur du film. Elle est comme Hunt, une super-espionne, elle a de l'expérience et ne rêve que d'avoir une vie loin des jeux de masques. Sa personnalité, c'est son aspiration à préserver son humanité dans un monde qui tente de la lui enlever. Elle est une agente britannique infiltrée au service de Solomon Lane, un méchant calqué sur Blofeld (némésis de Bond) et qui a la particularité de venir de la série d'origine. Sans aller à fond dans la référence constante, Rogue Nation se construira comme une somme d'hommages qui inspireront sans copier. L'exemple typique du style McQuarrie se trouve dans le prologue offrant une scène hallucinante où Hunt s'accroche à la paroi d'un avion-cargo prenant son envol, le tout évidemment filmé en réel avec Cruise. La scène est un écho à La Mort aux trousses et sa scène culte de l'avion pourchassant Cary Grant sans relâche. Cruise est en costume, comme Grant. La scène implique un avion et des plans spectaculaires de duel entre l'engin volant et un individu désarmé. La citation s'arrête là. Elle prend son sens avec une cascade assez originale (dans la mesure du possible, puisque Roger Moore faisait la même chose dans le climax d'Octopussy trente ans auparavant), filmée de manière peu spectaculaire en soi, mais juste assez réaliste pour qu'on prenne la mesure, durant quelques plans, que nous voyons Cruise se mettre en danger mortel. Ce qui le guide est une sorte de surenchère imposée par le deuxième film avec l'escalade du rocher. 


Chaque film doit contenir sa cascade phare sur laquelle on pourra monter les bandes-annonces. Et après la tour de Dubaï dans le quatrième volet, les options sont assez réduites si on ne veut pas tomber dans le ridicule (Bond lui avait dû aller jusque dans l'espace pour repousser les limites). On entre alors aussi dans une perception un peu morbide et obscène des films où une partie du public ne semble pas tant s'attacher aux histoires ou aux personnages mais plutôt au moment où Cruise va risquer sa vie, se blesser et éventuellement un jour y laisser sa peau. Est-ce que Tom Cruise se croit immortel ? Non. On le voit dans les making of prendre toutes les mesures de sécurité possibles et imaginables pour se protéger, passer en revue chaque danger. Il est plutôt dans la maîtrise et l'artisanat. Il veut qu'on sache que c'est bien lui dans le plan et non une doublure, il veut prouver que ce n'est pas un fond vert (abondants dans le premier et le troisième film) et il veut montrer la démarche artistique qu'il y a derrière. C'est un choix réfléchi, une stratégie commerciale et une façon d'essayer de maintenir le cinéma d'action à un certain niveau de qualité de fabrication. Cela paye sur l'ensemble du film, dans la continuité du niveau d'excellence du précédent opus. Rogue Nation est une merveille de cinéma d'action, multiplie les morceaux de bravoure (la séquence à l'opéra), implique le spectateur et parvient à créer de l'émotion entre et pendant les scènes d'action. La longévité de la franchise n'est plus à prouver, elle se renouvellera sans cesse, se réinventera et a enfin trouvé sa voie en cherchant à simplement exceller dans son domaine.


Tom Cruise a maintenant dépassé la cinquantaine, et il endosse le rôle de Hunt depuis plus de vingt ans. C'est plus long que n'importe lequel des acteurs ayant joué 007. Mission impossible au cinéma a été créé pour lui, comme un palais pour un roi ou une statue géante à son effigie. Il en a fait son levier sur Hollywood pour pouvoir faire des films plus personnels et travailler avec les meilleurs réalisateurs au monde entre deux missions. Puis il a découvert qu'il pouvait faire les deux en même temps et semble maintenant parvenu à mettre de côté son ego pour placer sa concentration sur quelque chose qui a bien plus de valeur : sa passion pour le cinéma bien fait. Tant que ce cœur battra, Ethan Hunt vivra.


Maxime SOLITO


Article paru dans le Rockyrama n°19 spécial Tom Cruise et Brad Bird