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The Game : Ready Player One

The Game est sans aucun doute l’un des films les plus sous-estimés, voire carrément méconnus de la carrière de David Fincher. Et c’est justement ici, chez Nicholas Van Orton, que prend racine ce manque de reconnaissance.
The Game : Ready Player One

Nous sommes en 1997, deux années après le carton surprise de Seven, et cinq après le fiasco, tout du moins en coulisses, du troisième volet de la saga Alien. David Fincher, jeune réalisateur en vogue venu de la publicité, a bien failli jeter l’éponge et laisser derrière lui toute velléité de cinéaste. Après Seven, il est désormais libre de commencer, enfin, une carrière. Pour la toute première fois, avec The Game, il est attendu, scruté.


Article par Nico Prat paru dans notre livre "David Fincher, néo-noir",toujours disponible en librairie et sur notre shop

« Je pense que les gens sont des pervers. C’est le fondement de ma carrière. » Ainsi s’exprime le réalisateur dans une interview utilisée par le vidéaste Tony Zhou pour sa chaîne Every Frame A Painting. Vous êtes, je suis, nous sommes des pervers. C’est en nous, et il en va ainsi. Cet état de fait est une constante, de Seven à Millenium, de The Social Network à Gone Girl, à des degrés divers, d’importances variées. Mais la perversité, cette tendance maladive à accomplir des actes immoraux, agressifs, est bel et bien présente, comme un fil rouge, une ligne directrice, presque une marche à suivre. Pourtant, au-delà de ce goût pour le mal, se cache toujours, quelque part, une possibilité de faire le bien, une rédemption. Le salut est toujours possible, quand bien même il faudra, pour ce faire, endurer quantité de saloperies, et survivre. Mais The Game est d’une autre trempe. 


Nicholas Van Orton (Michael Douglas), homme d'affaires débordé, malin, sans scrupules et sans amis, mais avec un carnet de chèque et d’adresse bien rempli, reçoit le jour de son anniversaire un étrange cadeau de son frère Conrad (Sean Penn). Il s'agit d'un jeu dont Nicholas ne connaît pas les règles, la logique, ni même les enjeux, bien qu’il semble risquer réellement sa vie à chaque étape, chaque lancer de dés. Il prend peu à peu conscience qu'il est manipulé jusque dans sa propre maison par des conspirateurs désireux de lui faire vivre un enfer, et prenant plaisir à cela. Des pervers. Un sujet absolument parfait pour David Fincher, qui joue ici, derrière la caméra, le rôle de ces organisateurs d’escape game mortel à l’échelle d’une ville (l’appartement du personnage de Deborah Kara Unger n’est rien de plus qu’un plateau de cinéma, avec des murs en carton et un robinet qui ne coule pas). Toute la promesse de The Game est la suivante : nous ignorons, comme Nicholas Van Orton, ce qui est vrai, ce qui est faux, et ce qui est autre. Chaque phrase, chaque personnage est, pour nous comme pour le protagoniste, sujet à interrogation. Quant à notre héros malgré lui, nul doute que Fincher pensait volontairement à mal en plaçant l’interprète de Gordon Gekko dans le Wall Street d’Oliver Stone, personnalisation même des dérives d’un monde déshumanisé, capitaliste, crade. Chez Stone, le personnage de Gekko se fond dans Wall Street comme si, tout en dominant cet univers malsain, il n’en était finalement qu’un rouage diabolique, triomphant malgré une fin tragique, forcément. Chez Fincher, si les premières minutes laissent penser que Van Orton est ce même Gekko, star de la finance que rien ne peut atteindre, très vite, il se retrouve pris au piège d’un jeu dont il ne comprend même pas les règles. Fincher joue ici avec l’icône, avec l’un des rôles les plus fameux de son acteur, prend la main du spectateur pour mieux la lâcher par la suite.

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Greed is good

The Game est sans aucun doute l’un des films les plus sous-estimés, voire carrément méconnus de la carrière de David Fincher. Et c’est justement ici, chez Nicholas Van Orton, que prend racine ce manque de reconnaissance. Comment aimer ce héros qui n’en est pas un ? Comment prendre en sympathie un homme qui aurait de toute évidence figuré en haut de la liste des victimes de John Doe, deux années auparavant, toujours devant la caméra de David Fincher ? Nicholas Van Orton ne se rend pas aux fêtes auxquelles il est convié, mais se plaît à se faire lire les cartons d’invitation. Sa demeure, immense, n'abrite qu’une domestique avec laquelle il n’est pas plus aimable que cela, quand bien même elle s’occupe de lui comme une mère qu’il n’a apparemment jamais eue. Il ignore son frère, le méprise. Il est au sommet de son monde, mais il y trône seul. Pourtant, c’est ce cheminement vers la rédemption – un itinéraire compliqué par la personnalité problématique du personnage principal – qui rend la quête passionnante. David Fincher demande à Van Orton, ainsi qu’à nous, spectateurs, de faire fi de cette perversité qui nous habite. Sur le papier, rien de plus jouissif que de voir cet homme souffrir. Dans les faits, The Game prend tout son sens quand nous sommes de son côté. Van Orton, lui, va expérimenter une vie nouvelle, une libération. La pire torture ici n’étant ni d’être épié par un clown dans son salon, ni même ce taxi plongeant dans le fleuve, mais bel et bien la perte de contrôle. Pour la première fois de sa vie, il ne sait pas, il ne peut pas savoir. 

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Une ode au cinéma

L’une des critiques les plus régulièrement entendues ces dernières années au sujet de The Game est celle de l’impossibilité totale, physique, logistique, qu’un tel jeu puisse être mis en place. Il est tout simplement impossible que, lors de la révélation finale, Nicholas Van Orton se jette dans le vide à une minute bien précise, pour finalement chuter sans risque et atterrir au beau milieu d’une immense réception. Bien évidemment, tout cela est absurde. Volontairement. Le logo de Consumer Recreation Services est d’ailleurs le triangle de Penrose, aussi connu comme la tripoutre ou la tribarre, un objet impossible, contraire aux lois physiques connues de la nature, conçu par le mathématicien Roger Penrose dans les années cinquante. Pourtant, David Fincher attend de nous une totale suspension de crédulité. Tout cela, c’est du cinéma. Rien de plus, mais rien de moins. La tripoutre ne peut exister que sous la forme d’un dessin en deux dimensions. Et si des tentatives de créations en 3D ont plus ou moins abouti, elle n’est parfaite que sur le papier, elle est la possibilité d’un autre monde, d’une autre histoire, mais toujours distante, en suspens. De même, le jeu, et donc le film, ne peut exister que dans un autre univers, celui que Fincher imagine, mais aussi celui que nous sommes prêts à accepter. Le triangle, s’il existe sur le papier, doit pouvoir exister en vrai, non ? Non. The Game fonctionne de la même façon.


Mais le réalisateur ne se contente pas de si peu. Si Van Orton semble filer droit vers sa chute et vers le dénouement, tout au long du film, plusieurs autres pistes s’offrent à lui, des voies qu’il choisit de ne pas emprunter. Quand son stylo fuit, il doit se rendre aux toilettes pour nettoyer sa chemise. Un homme lui demande du papier, mais Van Orton préfère partir. Que se serait-il passé s’il avait engagé la conversation, accédé à sa requête ? Nous ne le saurons jamais, mais cette possibilité d’une autre histoire, d’une autre conclusion, existe. Il nous faut simplement croire. The Game est un film de croyants. Croyance en le septième art et sa capacité à nous changer, mais croyance aussi en quelque chose de plus grand, de l’ordre du Divin, là-haut ou en nous. Le personnage de Michael Douglas doit mourir pour comprendre, doit souffrir pour voir, interpréter les signes, les obstacles et les enjeux, et surtout, accepter de se perdre pour mieux se trouver. Certains diront que rien de tout cela n’a de sens. La vie n’en a pas beaucoup plus.


Article par Nico Prat paru dans notre livre "David Fincher, néo-noir",toujours disponible en librairie et sur notre shop

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