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TANGO & CASH : True Bromance

Tango & Cash, c’est la quintessence du « buddy movie » dégénéré de la toute fin des années quatre-vingt. Et vous savez quoi ? C’est aussi pour ça qu’on l’aime !
TANGO & CASH : True Bromance

Imaginez un film d’action dans lequel Sylvester Stallone tente de casser son image de bourrin en mettant des lunettes pour se donner de petits airs d’intello, dans lequel Kurt Russell enfile des bas résille pour échapper à la police et dans lequel Jack Palance fait mumuse avec deux souris de laboratoire en déclamant son texte d’un air péremptoire. Imaginez que ce film d’action passe du polar pur et dur au film de prison, pour terminer sur un climax digne d’un cartoon un peu concon du samedi matin. Vous ne rêvez pas : ce film d’action existe, il s’appelle Tango & Cash, et c’est la quintessence du buddy movie dégénéré de la toute fin des années quatre-vingt. Et vous savez quoi ? C’est aussi pour ça qu’on l’aime !

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Le buddy movie policier ne date pas de 48 heures de Walter Hill. D’autres films comme Les Anges gardiens (Freebie and the Bean – à ne pas confondre avec le film de Jean-Marie Poiré donc) de Richard Rush et Les Casseurs de gangs de Peter Hyams ont pavé le terrain dans les années soixante-dix. Les codes de ce genre sont très spécifiques : il s’agit de réunir deux forces de la nature qui vont embarquer dans une enquête à contrecœur, tant leurs différences de statut social et de caractère les opposent. Mais au fil des péripéties, les deux partenaires vont finir par s’apprécier mutuellement et boucler l’enquête avec pertes et fracas. Voilà un résumé sommaire mais efficace de la plupart des films de ce genre, dont la simplicité d’accès va lui permettre de connaître son apogée dans les années quatre-vingt, que ce soit au cinéma avec L’Arme fatale ou à la télévision avec Deux Flics à Miami


Le succès des buddy movies est tel que toutes les stars d’action doivent passer par là, y compris celles qui ont pris l’habitude d’occuper toute la place en haut de l’affiche. Arnold tourne avec James Belushi dans Double détente, Bruce Willis s’associe à Damon Wayans dans Le Dernier Samaritain et même le grand Clint Eastwood – qui règne en maître sur le cinéma d’action depuis 25 ans – se lance dans l’aventure en partageant la vedette avec Charlie Sheen dans La Relève. Pour éviter que les projets finissent vraiment par se ressembler, certaines productions redoublent d’ailleurs d’ingéniosité dans la proposition initiale. Les oppositions classiques ne suffisent plus et certains films tentent le tout pour le tout en proposant l’alliance entre un flic et un chien policier (Chien de flic et Turner & Hooch), un humain et un extra-terrestre (Futur immédiat, Los Angeles 1991) ou encore un vivant et un mort-vivant (Flic et Zombie).

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Dans ce contexte, Tango & Cash ne semble pas vraiment se différencier du tout-venant de la production du cinéma d’action de la fin des années quatre-vingt. Si ce n’est que son producteur Jon Peters a une idée très précise derrière la tête quand il reçoit le scénariste, Randy Feldman, pour lui faire part du projet : « Jon Peters m’a résumé son idée, celle d’un partenariat entre deux flics. L’un est riche, l’autre est pauvre et ils se retrouvent en prison. Ce n’était pas vraiment enthousiasmant, c’est comme s’il n’avait jamais entendu parler de L’Arme fatale. J’aimais bien l’idée de la rivalité entre les deux policiers, mais j’ai vite compris que le pitch du film n’était vraiment qu’un prétexte pour Peters, dont l’idée était surtout de réunir Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone à l’écran. » 


De toute évidence, l’affiche ferait saliver le moindre fan de cinéma d’action musclé et d’ailleurs, Sylvester Stallone est carrément partant. Mais malgré son habituelle compétitivité, Schwarzenegger préfère se casser sur Mars pour les besoins de Total Recall de Paul Verhoeven. Le projet est cependant sur les rails et il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Patrick Swayze est engagé, mais se désiste lui aussi. C’est finalement Kurt Russell qui donnera la réplique à Stallone, il faut noter que les deux vedettes n’avaient jamais vraiment partagé le haut de l’affiche auparavant, du moins dans le domaine du cinéma d’action. Enfin, même s’il a réalisé l’excellent Runaway Train (l’un des rares films de la Cannon nommés aux Oscars), le cinéaste russe Andreï Konchalovsky ne semble cependant pas être le choix idéal pour réaliser Tango & Cash, du moins selon la conception du studio Warner et des producteurs Jon Peters et Peter Gruber, qui viennent de produire deux succès faramineux avec Rain Man et Batman. Autant dire que leur position est telle qu’un cinéaste comme Konchalovsky n’a aucune chance de parvenir à imposer sa vision.


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Lorsque le tournage du film commence, le 12 juin 1989, la date de sortie est déjà prévue pour le 15 décembre de la même année. Il faut donc faire vite et la production est lancée alors que le scénario de Randy Feldman ne semble pas vraiment satisfaire une partie de l’équipe. Outre le climax qui n’a pas encore été écrit, il semblerait que les dialogues manquent de patate, et Sylvester Stallone lui-même décide de se charger de cette partie, comme le confirme le scénariste : « Je n’ai aucun problème avec Stallone, il s’est très bien comporté avec moi. Mais il avait des idées très arrêtées sur ce qu’il voulait faire. On me cite régulièrement des passages entiers du film, mais la plupart des dialogues ne me sont pas imputables, tout simplement parce qu’ils ont été écrits par Stallone lui-même. »


Ce n’est pas la seule problématique d’ego de Stallone, qui décide de renvoyer le chef opérateur Barry Sonnenfeld, car il considère que celui-ci ne l’éclaire pas à son goût. Il est alors remplacé par Donald E. Thorin, qui vient justement de signer la lumière de Haute Sécurité pour Stallone. Le processus de travail est tel que Tango & Cash est constamment réécrit à même le plateau, comme le confirmera le regretté Brion James, formidable second couteau à la trogne patibulaire qui incarne ici le méchant Requin – également baptisé « Gueule de con » dans la superbe VF du film. Et comme chacun sait, « pas de fête sans Gueule de con » ! « Je n’avais que deux scènes quand nous avons commencé le tournage de Tango & Cash », raconte Brion James. « Stallone et Kurt Russell me courent après et ensuite, je me faisais tabasser. Comment tirer un peu la couverture à moi, face à un casting d’acteurs avec de si fortes personnalités ? Je décide de prendre un accent cockney, histoire de ne pas interpréter un simple homme de main de plus, et l’équipe du film a adoré ! Du coup, Stallone a commencé à réécrire des séquences entières du film, car le scénario n’était pas vraiment terminé et je me suis retrouvé sur le tournage pendant quatorze semaines consécutives, car mon rôle a pris de l’ampleur. Je suis devenu le méchant principal du film, plus encore que le personnage de Jack Palance. » 


Jack Palance justement, parlons-en tiens ! Celui qui interprète Yves Perret – le baron du crime qui décide d’en faire baver à nos héros – avoue qu’il a accepté le rôle pour pouvoir donner la réplique à Stallone. Et même si les deux comédiens partagent une poignée de scènes, il semblerait qu’ils ne se soient jamais croisés sur le plateau, comme en témoignent des séquences pour la plupart tournées en champ/contre-champ et dans la pénombre. Dès la sortie du film, Jack Palance ne se gênera pas pour traîner la production – et Stallone – dans la boue, notamment lors d’une apparition mémorable chez Jay Leno.


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« Tango & Cash est de loin la pire production sur laquelle j’ai pu travailler. Et pourtant, j’ai travaillé sur Apocalypse Now ! » Cette sentence lapidaire vient de Larry J. Franco, producteur exécutif dont le travail consiste à faire rentrer le planning de tournage dans les temps et le budget imparti. Ce qui est impossible dans le cas de Tango & Cash, vu que le scénario est sans cesse retouché et que le tournage semble être le champ de bataille d’une guerre d’egos entre plusieurs personnes bien décidées à ne pas se mettre d’accord sur le film. Et pour cause, puisque dans cet environnement chaotique, Tango & Cash aurait vraiment été réalisé à plusieurs mains. 


D’un côté, le réalisateur de seconde équipe Peter MacDonald (qui a travaillé sur Rambo III – autre production à problèmes avec Stallone) est chargé de tourner les grosses séquences d’action, et notamment les échanges musclés dans la buanderie de la prison. De l’autre, Stallone lui-même reconnaît qu’il dirige Kurt Russell durant les séquences qui les concernent tous les deux. Pour sa part, Andreï Konchalovsky semble avoir une idée précise du film qu’il veut faire, même si ce n’est pas vraiment celui que le studio lui a commandé. « Andreï Konchalovsky est un type brillant, très intelligent et érudit », raconte Randy Feldman. « Mais il voulait vraiment déconstruire l’image iconique de Sylvester Stallone. Durant la scène de l’évasion, il voulait le faire grimper une gigantesque structure phallique, par exemple. Il y avait tout un sous-texte subversif dans sa vision du film, et il n’a pas pu la mener à terme. » Et enfin, Jon Peters est fidèle à sa réputation de producteur ingérable et complètement pété du ciboulot, puisqu’il exige que ses idées les plus farfelues soient mises à exécution, même quand elles ne cadrent pas vraiment avec le ton du film. Comme celle de transformer le personnage de Cash en travesti, le temps d’une séquence qui le fait hurler de rire. « Je lui ai dit que je ne trouvais pas cette idée vraiment drôle ou cohérente avec le récit », reconnaît Randy Feldman. « Ce n’est pas comme si nous étions en train de tourner Certains l’aiment chaud. En guise d’argumentation, Jon Peters m’a menacé de violences. Je me suis donc rendu sur le plateau pour expliquer à Kurt Russell que j’allais devoir écrire une séquence dans laquelle son personnage va se travestir. Pour toute réponse, Kurt Russell me dit : “J’en ai fait des choses stupides au cinéma, mais en général, je ne le fais pas exprès.” » La scène vaut son pesant de cacahuètes, mais il faut au moins lui reconnaître qu’elle marque les esprits (même si ce n’est pas forcément dans le bon sens du terme). 


Extrait de l'article "TANGO & CASH : True Bromance" issu de notre Rockyrama numéro 29 « Coppola, une affaire de famille » disponible sur notre shop