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Strange Days : le passage à l'an 2000 selon Kathryn Bigelow

Dans la catégorie des séances-chocs, le cinquième long-métrage de Kathryn Bigelow se pose là.
Strange Days : le passage à l'an 2000 selon Kathryn Bigelow

Les films de vidéo-club ne sont pas (que) des divertissements qui tâchent. Choisis avec ingéniosité, ils peuvent tout aussi bien claquer la face de celles et ceux qui vous accompagnent. Et dans cette catégorie des séances-chocs, le cinquième long-métrage de Kathryn Bigelow se pose là.


Par Clément Arbrun.

Article à retrouver dans le hors-série Rockyrama « Video Pizza », toujours disponible sur notre shop ici.

Débarqué quatre ans après le succès planétaire de Point Break, Strange Days déploie un pitch prometteur : dans un Los Angeles futuriste, l'ex-flic minable Lenny Nero survit en dealant des simulations virtuelles troublantes de réalisme. Ces sortes de « démos » immersives en vue subjective offrent aux clients déviants leur dose d'érotisme ou de violence incarnée.


Mais tout part en vrille le jour où l'une de ces simulations le plonge dans le cerveau d'un maniaque, un tueur en série qu'il n'a pas d'autres choix que de poursuivre en compagnie de son amie garde du corps. On s'en doute, cette multiplicité de points de vue est le terrain de jeu idéal pour qui souhaite expérimenter. Challenge relevé haut la main par la seule réalisatrice oscarisée de l'histoire d'Hollywood jusqu'en 2021, enchaînant dès son magistral plan séquence d'ouverture des idées de mise en scène plus affolantes les unes que les autres. Embrassant le concept de son pitch, Bigelow prouve que la technologie peut non seulement générer du sens, mais des sens. Sa maîtrise technique façonne une expérience cinématographique tour à tour excitante, stimulante et écœurante. Toujours sensorielle.

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Un exercice de style accompli ? Si encore il n'y avait que ça ! Car en proposant une intrigue parallèle, elle aussi saisie en vue subjective – l'assassinat d'un rappeur noir par des forces de l'ordre tyranniques –, Kathryn Bigelow enrichit sa réflexion postmoderne sur le pouvoir des images d'une dimension sociale tout aussi subversive. Si elle attribue à son protagoniste une variété de perceptions, c'est pour mieux imposer à l'homme blanc et hétéro obsédé par sa petite personne qu'il est des expériences, non pas techniques, cette fois-ci, mais viscérales : celle des genres et des classes marginalisées, opprimées, violentées, violées. Ce vécu-là, la réalisatrice nous le fait ressentir au plus profond de notre chair, notamment lors d'une scène d'agression sexuelle insoutenable. 


Échec commercial aussi injuste qu'inexpliqué, cette dystopie exigeante écrite par James Cameron n'a jamais été autant d'actualité. De sa critique du racisme systémique et des violences policières (et non pas des « bavures ») à la force féministe virulente de son vrai personnage principal (l'Afro-Américaine Lornette Mason, dit « Mace », interprétée par la so badass Angela Bassett), l'auteure de Detroit dévoile déjà toute l'étendue politique de son art. Et, spoiler alert : vingt-cinq ans plus tard, à l'heure des mouvements Black Lives Matter et MeToo, on ne s'en est toujours pas remis. Car Strange Days est, plus qu'une révolution artistique, une révolution citoyenne. Et le postulat de science-fiction que propose ce chef-d'œuvre n'a plus grand-chose de fantaisiste.


Par Clément Arbrun.

Article à retrouver dans le hors-série Rockyrama « Video Pizza », toujours disponible sur notre shop ici.