Terminator 2 : métal hurlant
Il n’est pas interdit de penser que Terminator 2 : Le Jugement dernier est le chef-d’œuvre ultime de James Cameron. Épique, brutal et visionnaire.
Il n’est pas interdit de penser que Terminator 2 : Le Jugement dernier est le chef-d’œuvre ultime de James Cameron. Épique, brutal et visionnaire, une mère-soldat y protège son enfant-messie, deux robots venus du futur s’y affrontent jusqu’à la destruction, alors qu’une famille dysfonctionnelle d’un genre nouveau tente de sauver l’humanité. Trente-cinq années ont passé, et pourtant, impossible d’oublier ses climax déments, son cyborg de mercure et ses grands sentiments. Ce blockbuster sidérant offre-t-il encore, plus de trois décennies après sa sortie, la vision d’une future apocalypse ?
Par Delphine Valloire.
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Cela faisait des années qu’Arnold Schwarzenegger mettait la pression, celle d’une superstar au sourire carnassier et aux 105 kilos de muscles, pour tourner une suite de Terminator. Après le cauchemar sous oxygène du tournage d’Abyss suivi de son relatif flop l’année précédente, James Cameron se sentait à peine prêt pour replonger dans un autre projet. Pour arriver à concrétiser cette suite, l’acteur réussit à convaincre le producteur Mario Kassar, directeur de Carolco Pictures, avec qui il vient de tourner Total Recall, de mettre de l’essence dans le moteur – c’est-à-dire des millions de dollars – pour que le film se fasse. Beaucoup d’essence. Avant toute chose, Kassar offre cinq millions de dollars à chacun des producteurs du premier Terminator, Hurd et Hemdale, pour qu’ils renoncent à leurs droits et obligations sur une suite. Au printemps 1990, il augmente la mise avec le plus gros chèque signé pour un réalisateur, six millions de dollars, à James Cameron afin qu’il écrive et réalise une suite parfaite… sous condition que le film sorte le 7 juillet 1991, jour de la fête nationale aux États-Unis, LA date parfaite de sortie des blockbusters de l’été. Une offre que Cameron ne peut refuser. Le cinéaste appelle dans la foulée William Wisher, son ami depuis le lycée, qui l’avait déjà aidé sur le scénario de Terminator, pour écrire avec lui le deuxième opus, et lui annonce : « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c’est que Terminator 2 va voir le jour. La mauvaise, c’est qu’on est déjà en retard. Alors, pourquoi tu ne viendrais pas à la maison tout de suite ? »
Les deux amis partent d’une phrase griffonnée par Cameron dans un cahier de notes des années auparavant : « Un jeune John Connor et un Terminator qui revient pour le protéger », et ils se mettent d’accord sur une règle absolue : il ne sera pas obligatoire de voir le premier Terminator pour comprendre le deuxième. Dès le premier jour, une partie de ping-pong diabolique se joue dans le bureau de Cameron : ils se relaient chacun sur un seul ordinateur, avec un seul clavier, pour écrire les scènes aussi vite qu’elles leur viennent. Celui qui cale laisse la place à l’autre. Si l’un des deux a une idée fantastique, l’autre l’écrit et l’augmente ou lui cède le clavier. C’est un feu continu, et plus l’échéance qu’ils se sont fixée arrive, plus les nuits deviennent blanches. À la fin du premier jet, chacun prend la moitié du script, puis l’annote, et de même avec l’autre moitié, avant de tout assembler. Ils vont plier le scénario en six semaines top chrono.

Ce scénario extrêmement bien ficelé porte en lui toute l’adrénaline de cette genèse : il comporte un climax fou toutes les dix minutes, et bombarde cascades, poursuites et effets spéciaux novateurs à pleine vitesse. Le script de ce blockbuster sous amphètes doit impérativement être bouclé pour Cannes en mai 1990. James Cameron et William Wisher le terminent après 36 heures de travail non-stop. Cameron lance l’imprimante qui déraille alors que la limousine l’attend déjà devant chez lui, arrive en trombe sur le tarmac où l’avion du producteur Kassar, blindé de stars et de réalisateurs parmi lesquels Oliver Stone ou Adrian Lyne, poireaute depuis plus de vingt minutes, traverse l’avion en s’excusant dans un silence de mort et sous les regards mauvais, colle le scénario dans les mains d’Arnold Schwarzenegger et s’endort comme une masse. À son réveil, il doit convaincre l’acteur qui craint qu’un « bon » Terminator déçoive le public ou abime son image.
Tous ceux qui lisent ce Terminator 2 : Le Jugement dernier sont bluffés, enthousiastes, mais aussi terrifiés par l’ampleur du projet. La coproductrice B.J. Rack se souvient de sa première réaction en ces termes : « Nous l’avons tous regardé et nous étions horrifiés. Ce serait le film le plus important jamais réalisé. Chaque séquence ressemblait à la fin de Piège de cristal. » L’histoire commence avec un compte à rebours, résumé de la situation : le 29 août 1997, trois milliards d’humains vont mourir dans une guerre atomique. Les survivants devront se battre contre des machines et l’intelligence artificielle qui les contrôle, Skynet. Cette IA envoie un premier Terminator T-800 à travers le temps, en 1984, pour tuer la mère du chef des rebelles, Sarah Connor. Sans succès. Plus de dix ans plus tard, un nouveau Terminator T-1000 – sorte de soldat à la structure en métal liquide avec un pouvoir de mimétisme – est envoyé pour tuer l’enfant, pendant que simultanément un T-800 est envoyé par John Connor adulte dans le futur pour le protéger. Quel Terminator va trouver John en premier, et le T-800 arrivera-t-il à le convaincre qu’il est passé dans leur camp ?

Au cœur de ce récit se trouve une femme, une femme-soldat, quasiment une armée à elle toute seule, une femme en colère. Sarah Connor est toujours incarnée par Linda Hamilton, très loin de l’ingénue craintive du premier Terminator. Sarah a passé une décennie à tenter de se préparer à une catastrophe nucléaire, à surentraîner son jeune fils pour en faire un chef militaire, mais cette perspective apocalyptique fait vaciller sa raison. Quand le film débute à l’arrivée des deux Terminators, elle est internée en hôpital psychiatrique, à faire des pompes façon militaire en burn-out, et son fils est devenu un petit délinquant fuyant sa famille d’accueil. Quand James Cameron l’appelle pour la convaincre de reprendre le rôle, Linda Hamilton, qui sort de trois ans d’une série télé fantastico-romantique, La Belle et la Bête, rêve de plus de subversion et de complexité. Elle lui dit oui sur le principe, mais veut une Sarah Connor « folle ». « Folle, comme si j’étais devenue folle. À mettre dans un asile, internée. Laisse-moi jouer la folie. Laisse-moi péter un boulon. » Mis au défi, il lui répond en scellant le pacte : « D’accord. Eh bien, tu vas avoir ma version de la démence totale. »
La version que propose Cameron de cette folie est bien plus fine et bien plus au cordeau qu’il n’y paraît. Tout au long de l’histoire, le doute s’insinue sur son état. Est-elle aveuglée ? Est-elle lucide ? Va-t-elle perdre pied devant l’enjeu sidérant de l’annihilation d’une grande partie de l’humanité ? Est-elle elle-même devenue le troisième Terminator, une femme sans émotions, déterminée à mort et vouée à une seule cause ? Pour jouer cette Sarah Connor-là, Linda Hamilton va subir un entraînement hardcore de plus de trois mois avec un ancien des commandos israéliens, Uzi Gal, qui lui apprend à manier des armes de guerre – les AR-15 ou les M16 – comme une mercenaire, et à tirer tout en respectant les marques au sol du tournage. S’ajoute à cela une préparation physique plus qu’intense avec un coach – judo, régime, poids, exercices militaires – plusieurs heures par jour, qui lui donne des muscles tellement fuselés et saillants qu’Arnold Schwarzenegger – un ex-M. Univers, on le rappelle – la complimente le premier jour du tournage, bluffé. Visuellement, une force exceptionnelle se dégage d’elle : mâchoires serrées, lunettes noires d’aviateur, cheveux tirés en queue de cheval, marcel noir laissant voir ses biceps, treillis de combattante. Immédiatement, malgré sa folie, cette Sarah Connor incarne un néoféminisme guerrier, une mère solo, indestructible, surpuissante, seule contre tous. Une icône est née. Fascinante au point que James Cameron, qui est en train de divorcer de la réalisatrice Kathryn Bigelow, va succomber à Linda Hamilton, en héroïne d’un nouveau type : elle deviendra sa quatrième femme en 1997, puis restera en bons termes avec lui après leur divorce deux ans plus tard. Si Linda Hamilton et Arnold Schwarzenegger constituent les deux premiers piliers du casting, reste à trouver deux autres acteurs clés : le jeune John Connor et le T-1000.
Par Delphine Valloire.
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